Le 1er juin 2016 avait lieu à Paris l’audience d’appel du procès intenté par Frédéric Haziza à Alain Soral pour des commentaires d’internautes laissés sur le site E&R.
Entretien avec Damien Viguier
L’avocat et docteur en droit Damien Viguier est chargé de la défense d’Alain Soral. Malgré un emploi du temps très chargé, il a accepté de nous apporter son éclairage sur le procès qui oppose le fondateur d’Égalité & Réconciliation à Frédéric Haziza et répond notamment aux allégations publiées par ce dernier sur son compte Facebook.
Alimuddin Usmani : Maître Viguier, pouvez-vous nous faire un petit résumé de l’audience du 1er juin 2016 dans le procès en appel qui oppose votre client, Alain Soral, à Frédéric Haziza ?
Maître Damien Viguier : À l’ouverture des débats, deux personnes se sont présentées spontanément qui souhaitaient témoigner à ce procès. Elles n’avaient pas été citées à comparaître, mais comme le permet le code de procédure pénale, je les ai proposées à la cour. J’ai estimé qu’elles pouvaient aider les magistrats à forger leur conviction, en apportant de réels éclaircissements sur la personnalité de la partie civile, Frédéric Haziza. Il s’agissait des deux journalistes sur lesquels l’intéressé s’est rué lors du dernier dîner du CRIF à Paris, ainsi que chacun peut le constater sur Internet. Malheureusement, la présidente a refusé de donner l’autorisation de la cour.
Aucun prévenu n’a comparu personnellement puisque les propos en cause sont le fait d’inconnus, auteurs de commentaires sur Internet (« Réveillez-vous », « corso », « loic » etc.). La phase d’instruction a donc surtout porté sur Frédéric Haziza. Après que le président et le procureur lui ont adressé leurs questions, j’ai à mon tour procédé à son interrogatoire. J’ai commencé par lui demander pourquoi, alors que le service de presse d’Alain Soral avait machinalement envoyé une proposition à l’ensemble des télévisions, radios, revues et journaux, il avait éprouvé le besoin, lui seul, de faire cette réponse : « impossibilité pour moi d’offrir quelque tribune que ce soit à ceux qui véhiculent d’une manière ou d’une autre des messages de haine, de violence, de racisme ou d’antisémitisme. Le problème c’est que la pseudo-littérature d’Alain Soral est tout cela à la fois. » À cette première question il m’a répondu qu’il faisait ce qu’il voulait. Je lui ai alors demandé s’il avait pris la proposition, de la part de l’attaché de presse de Soral, que ce dernier participât à son émission, comme de la provocation. Il m’a répondu oui. Ensuite je lui ai demandé quelle était sa définition de l’antisémitisme. Mais il a refusé de me répondre. Je lui ai demandé quelle était sa définition d’un antisémite, et si pour lui Alain Soral, mon client, était antisémite simplement parce qu’il était Alain Soral. Toujours refus de répondre. J’ai alors enchaîné : connaissez-vous Vincent Lapierre ? Avez-vous agressé Vincent Lapierre ? M’avez-vous traité de crapule ? Il aurait été inhumain de poursuivre l’interrogatoire. La présidente est intervenue pour y mettre un terme.
Nous avons eu droit ensuite au plaidoyer de son avocate. Un peu long. Puis le Parquet. J’ai enchaîné et mon confrère l’a fini. Nous n’y pouvons rien : on doit à la vérité de dire que nous avons assisté à une inversion accusatoire : Frédéric Haziza était l’accusé.
Sur son compte Facebook, Frédéric Haziza écrit notamment : « Damien Viguier défend l’Inquisition et dénonce le procès de Nuremberg. » Quelle est la vérité à ce propos ?
Je ne vais pas tout reprendre, mais j’ai expliqué que nous avions affaire à une nouvelle religion qui a sa propre idée de l’ordre public. Une idée dangereuse. Une conception non plus de l’ordre public comme quelque chose d’observable : absence de destructions ou d’agressions physiques. Mais un ordre moral ou symbolique. Cette conception triomphe au conseil d’État, c’est l’interdiction du spectacle de Dieudonné à Nantes le 9 janvier 2014. Le spectacle est interdit, non pas à cause du risque de troubles matériellement observables dans l’espace physique, dans les rues ou dans la salle de spectacle (coups, blessures, incendies etc.), mais parce qu’en moquant les événements de la seconde guerre mondiale, en les prenant à la légère, en faisant rire du génocide juif, un trouble est porté dans les esprits. L’ordre symbolique est atteint. Aujourd’hui, le conseil constitutionnel, depuis la décision du 8 janvier 2016 (quasi deux ans après l’ordonnance Dieudonné), vient de rejoindre cette conception. Puisqu’il vient de déclarer la loi Gayssot constitutionnelle au nom de cet ordre public symbolique.
D’après la déclaration des droits de l’homme, l’expression est toujours libre, mais elle peut donner lieu à répression, en cas d’abus, dans les cas déterminés par la loi. Le problème c’est que ces « cas » se sont éloignés eux aussi de tout lien avec un quelconque dommage concret et sont devenus de plus en plus vagues. Comment faire la distinction, par exemple, entre l’apologie de terrorisme, interdite, et la glorification de la résistance, obligatoire ? Ou entre le négationnisme, prohibé, et le révisionnisme, permis ?
Et c’est alors que j’ai parlé de la procédure pénale, qui en principe est une garantie du respect du droit, plus encore que les lois de fond. Évidemment, à ce stade, il était difficile à Monsieur Haziza de suivre. C’est là que j’ai parlé de l’Inquisition. L’Inquisition est présentée dans les facultés de droit comme un système épouvantable, l’autre extrême, tout aussi mauvais, étant le système pénal accusatoire. On aime bien, en France, commencer ainsi, pour ensuite expliquer aux étudiants que le législateur a trouvé un compromis, un moyen terme équilibré, un mixte des deux extrêmes, métissé, si vous voulez, donc proche de l’idéal. En réalité, la procédure pénale française a pris les dangers de l’Inquisition sans les garanties que celle-ci présentait. Les juges sont des fonctionnaires, ce sont eux qui vous traînent en justice, comme sous l’Inquisition, mais les procès sont oraux (sans trace écrite de tout ce qui se dit) et la preuve est libre.
Tout cela permet donc un usage du procès à des fins politiques, et c’est cela qu’il faut dénoncer fondamentalement. Tant en droit interne qu’en droit international. C’est là que j’ai dit qu’il était déplorable d’utiliser le procès pour condamner l’ennemi avant de déclencher l’enfer sur les populations. Du point de vue de l’ordre classique, le procès de Nuremberg, qui intervenait au terme d’horreurs sans nom, et pour donner un cadre rituel à une condamnation politique prononcée depuis longtemps, est parfaitement condamnable. Relisez à ce sujet l’ouvrage de Maurice Bardèche.
Aujourd’hui des associations comme la Licra ou des gens comme Haziza, avec la complicité de politiciens professionnels tels Hollande ou Valls, sont aux commandes d’un système idéologique qui promeut le chaos, et tous ceux qui s’y opposent font les frais de la répression. C’est pourquoi magistrats et avocats sont les derniers gardiens du droit.
Toujours à votre encontre, Frédéric Haziza prétend que vous n’avez « pas hésité à utiliser le prétoire comme une tribune de propagande aux relents antisémites et pétainistes, devant une Cour médusée ». À quoi fait-il allusion ?
J’ai défendu l’État, il est vrai. De nos jours il ne faut pas. J’ai défendu la famille. Mais, finalement, le pire de tout, c’est que j’ai défendu Soral. Et ça c’est très grave aujourd’hui. Les gens subissent un tel bourrage de crâne quotidien, ils sont tellement abrutis avec une vision manichéenne du monde qu’ils ne peuvent pas le comprendre. C’est d’ailleurs un signe des temps très inquiétant.
Observez : vous pouvez casser les vitres d’un véhicule de police à coup de bélier, y mettre le feu alors que ses occupants y sont toujours, cela ne choque personne. Vous pouvez défendre les théories les plus délirantes. Vous pouvez tout faire et tout dire. Mais vous ne pouvez pas défendre celui qui dénonce tout cela. C’est pétainiste.
Quelle serait, selon vous, la réaction du peuple français si ce procès était diffusé en intégralité dans l’espace public ?
Le seul fait qu’il y ait des caméras partout dans l’espace public (dans les rues, dans les boutiques, dans le métro, devant les synagogues etc.) mais que cela soit interdit dans les salles d’audience, répond, je crois, à votre question.
La France est le pays des grands procès politiques, susceptibles de mobiliser l’opinion (Dreyfus, Callas, Jeanne d’Arc, etc.). L’appareil d’État ne craint donc pas la chicane et les arguties de procédure. La seule chose dont il a peur, c’est de l’utilisation du procès comme d’une tribune.
Comment faites-vous pour rester aussi « zen » face à la calomnie pratiquée à l’égard de votre client et de vous-même ?
Pour ce qui concerne mon client, je n’ai aucun mérite, cela fait partie de ma mission. Quant aux propos me concernant, il est vrai que je défends le système judiciaire inquisitorial. Il est vrai également que je condamne absolument Nuremberg. Mais ce ne sont pas des calomnies car il n’y a dans tout cela rien de mal.
Quant au « pétainisme », il faudrait en parler sérieusement. Sait-on par exemple que quantité de réformes entreprises dès la fin du XIXème siècle ont connu une accélération durant la Révolution nationale ? Des réformes qui sont toujours à l’ordre du jour. En matière de mariage par exemple. Cela mériterait une étude. De même pour l’« antisémitisme ». Savez-vous qu’il existe, directement rattaché au premier ministre Manuel Valls, une DILCRA : Direction interministérielle de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, dirigée par le préfet Gilles Clavreul, entouré d’une équipe de cinq personnes et assisté d’un conseil scientifique où figurent des chercheurs comme Pierre Nora, Jean-Yves Camus et d’autres, dont certains membres de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). La mission de ce conseil est d’« encourager des travaux de recherche sur le racisme, l’antisémitisme et les discriminations et éclairer le débat public sur des notions complexes et parfois polémiques, en les replaçant dans leur contexte historique, social et intellectuel » et « il peut proposer le financement, par la DILCRA, de travaux de recherche, l’organisation de colloques ou favoriser la mise en place d’unités d’enseignement et de recherche publiques, afin de développer des programmes de formation pour les acteurs tant publics que privés confrontés à la problématique du racisme, de l’antisémitisme et des discriminations ». Je vais leur proposer de financer les travaux d’Alain Soral. Ancien élève de l’EHESS, comme moi.