Beaucoup de commentateurs et analystes ont tenté de faire le bilan politique de la première année du troisième mandat de Vladimir Poutine, c’est-à-dire sa neuvième année en tant que président de la fédération de Russie et sa treizième année au sommet de la scène politique russe.
Le premier mandat Poutine avait commencé dans le sang avec la tentative de déstabilisation orchestrée de la république Tchétchène qui avait conduit à la seconde guerre de Tchétchénie. Ce premier mandat sera également marqué par la prise d’otages du théâtre de Moscou en 2002 ainsi que par l’attentat du métro de Moscou en février 2004.
Le second mandat commencera lui aussi difficilement avec le double attentat sur les avions de ligne d’août 2004, l’abominable prise d’otages de l’école de Beslan et l’attaque de 2005 à Naltchik contre le bâtiment des forces de l’ordre. 2010 et 2011 connaitront également leurs attentats, dans le métro puis à l’aéroport de Domodedovo. Pourtant dans le même temps, l’intensification de la lutte contre les structures terroristes dans le Caucase a sans doute considérablement amoindri la capacité de ces cellules à frapper ailleurs en Russie et notamment dans la capitale russe, visée en priorité pour des raisons bien évidemment politiques. Sur le plan du terrorisme la situation s’est donc améliorée en Russie et ce sur la quasi-totalité du territoire.
La situation politique s’est elle aussi stabilisée. L’opposition parlementaire n’est pas plus qu’il y a 10 ou 12 ans en position de remporter des échéances électorales majeures puisque seul le parti communiste peut prétendre faire de l’ombre à Russie-Unie, ce parti (on doit sans doute plus parler de plateforme) centriste et conservateur. Mais le parti communiste, tout comme le parti nationaliste libéral-démocrate de Vladimir Jirinovski, souffrent d’une usure profonde due à l’ancienneté de leurs leaders respectifs, qui concourent politiquement depuis la fin de l’URSS. Curieusement du reste, cette usure politique semble frapper autant, voir plus, l’opposition que le pouvoir et ce contrairement aux prévisions de nombre d’experts.
L’opposition minoritaire et non parlementaire qui avait quand à elle réuni quelques dizaines de milliers de manifestants durant l’automne 2011 s’est logiquement essoufflée, minée par les scandales et les dissensions internes, tout comme sans doute et surtout par l’absence d’un quelconque programme politique. Aucune surprise à cela, il y a un an j’avais tenté d’expliquer que la jeune classe moyenne supérieure (dite classe créative) n’allait pas pouvoir se résoudre bien longtemps à confier le leadership des manifestations de l’opposition à des tendances radicales par exemple d’extrême gauche, prêtes à l’action violente, voire à basculer dans le terrorisme.
Illustration : Une de mes amies, journaliste pour une télévision publique me disait qu’elle était allée à Bolotnaia, puis lorsqu’elle a vu ce que devenaient ces rassemblements, à savoir occuper des quartiers pour jouer du tam-tam et dormir dehors (à l’époque révolue du slogan Occupy Moscow) elle m’a dit n’y avoir plus jamais mis les pieds. Ce mouvement, pâle copie d’un projet américain lui aussi sur le déclin, est rapidement mort. Mon amie a fini par voter Prokhorov aux élections, par défaut, ne sachant pas trop pour qui mettre son bulletin dans l’urne.
Une enquête par sondages vient de démontrer que les jeunes russes, contrairement à une idée reçue, ne font en réalité pas plus confiance à l’opposition qu’au pouvoir. Si un grand nombre de jeunes soutiennent les autorités, ils ragent en même temps contre les bureaucrates et le système administratif, et ce comme la totalité des russes. Si Vladimir Poutine reste l’homme politique préféré des jeunes, celui-ci est suivi par Vladimir Jirinovski et par Michael Prokhorov, et la grande majorité des jeunes interrogés n’a pris part à aucune manifestation de l’opposition. Pour Elena Omeltchenko, chef du Centre de recherche de la jeunesse de l’École des hautes études en sciences économiques : "Les jeunes gens ont de la bouillie dans la tête. Le nationalisme coexiste avec le libéralisme".
Ce mélange de deux tendances que l’on pourrait juger hautement contradictoires peut donner naissance a une nouvelle tendance hybride, dont l’une des formes a sans doute émergé discrètement en conséquence de l’évolution que la scène politique russe a connu ces 18 derniers mois : l’idéologie nationale-démocrate.
Plusieurs membres de la Chambre civile russe (organe consultatif auprès du Kremlin) s’attendent du reste à l’émergence de plusieurs partis nationalistes capables de concurrencer les partis parlementaires lors des prochaines élections législatives. Cette droitisation à venir de la société civile a visiblement été anticipée par le pouvoir russe, et ceci se traduit par l’émergence de figures fortes et nationalistes dans le cercle de gouvernance, que l’on pense par exemple à Dimitri Rogozine ou encore à Serguey Glaziev, tous deux anciens du mouvement politique Rodina (La Patrie).
On peut donc imaginer que de Bolotnaia 2011, il ne restera pas grand-chose dans le futur proche. Comme l’écrivait Dimitri Olchansky il y a de cela un peu plus d’un an : "Les gens qui ont manifesté à Bolotnaia et Sakharov sont victimes d’une illusion d’optique. (…) Ils pensent représenter le peuple russe dans son ensemble – mais sur ce point, ils se trompent. (…) Plus longtemps Poutine conservera le pouvoir, plus on aura de chances de voir la société russe évoluer de façon paisible et harmonieuse. Les nationalistes finiront de toute façon par prendre le pouvoir, c’est inévitable. Mais plus tard ce jour arrivera, plus ils seront civilisés".
Pourrait-on imaginer dans l’avenir une scène politique russe partagée entre un bloc centriste (concentré autour de Russie-Unie et/ou du Front populaire Russe) et un bloc nationaliste ? Et si la réelle opposition, après avoir été communiste de 1991 à aujourd’hui, devenait à l’avenir l’opposition nationaliste ?