Dans ce blog sur Belleville, la transmission du réel, tel qu’il est ressenti par ses riverains, se fonde sur la parole. A écouter les habitants, le quartier fourmille d’histoires sordides. Empreints d’un sentiment vague ou prononcé d’insécurité, nombre de Bellevillois rencontrés se plaignent du manque de présence policière. Pour en savoir plus sur cette discrétion réelle ou supposée des forces de l’ordre, je décide de rencontrer des policiers, acteurs incontournables de la vie citadine. Accompagné de deux de ses collègues, le fonctionnaire de police interviewé, a souhaité conserver son anonymat et ne pas révéler publiquement son syndicat d’appartenance, malgré la présence d’un de ses représentants lors de cet entretien. Quelques jours après cette rencontre, le ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux, en déplacement à Grenoble et Saint-Aignan déclarait : “Mon credo, c’est qu’il ne doit pas y avoir de territoire oublié, ni population négligée et aucune forme de délinquance tolérée.” Qu’en est-il à Belleville ?
Comment expliquez-vous qu’à Belleville, les gens se plaignent de l’absence des policiers et de la recrudescence des agressions, à l’encontre des personnes d’origine chinoise notamment ?
Même s’il y a une coordination des services de police entre les quatre arrondissements qui composent Belleville, on manque de policiers sur le terrain. Par exemple, dans le 19e, pour 184 000 habitants, il y a environ 500 fonctionnaires. Parmi eux, il n’y a pas que des policiers sur le terrain, il y a aussi des personnes dans les bureaux. En plus, ces fonctionnaires ne sont pas présents 24 heures sur 24. Plus c’est difficile pour les policiers, plus c’est difficile pour les gens qui ont affaire à la police. A Belleville, les gens nous en veulent parce qu’ils pensent qu’on ne fait rien pour arrêter les bandes. C’est faux. J’ai moi-même fait des planques de onze heures de suite pour “serrer” des gars en flagrant délit. Mais quand on arrête un délinquant, la justice a tellement de dossiers à traiter que le type se retrouve très vite dehors. Ça énerve les policiers et les victimes.
En 2008, rue Petit, rue de Crimée et aux abords du parc des Buttes-Chaumont, des violences entre jeunes avaient été qualifiées de conflits communautaires par les pouvoirs publics et les médias. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Parler de conflits communautaires est excessif. Il y a effectivement de nombreux Africains et Nord-Africains, dont la plupart sont musulmans. Beaucoup sont pauvres. Ils ne sont pas constitués en communauté au sens de la communauté juive qui s’est installée aux abords du parc des Buttes-Chaumont. Il y a aussi beaucoup de familles modestes dans cette communauté. Quant aux bandes, elles sont composées majoritairement de jeunes d’origine nord-africaine ou africaine. Ils se disent musulmans. Mais à les écouter, on s’aperçoit qu’ils ne connaissent pas leur religion. Du côté de la communauté juive, il y a aussi des bandes qui commencent à se comporter comme les autres bandes. Ça c’est nouveau. Quand il nous arrive d’arrêter des personnes de cette communauté, il y a souvent des rébellions. Ce qui était très rare avant. On se fait traiter immédiatement d’antisémite. Les gens qui nous insultent de cette manière sont le plus souvent des personnes d’âge mûr. Même si elles n’ont pas connu la seconde guerre mondiale, elles parlent de leur souffrance, de la guerre… Ils se “victimisent” très rapidement. Pourtant, il y a quelques années, les rapports avec la communauté juive était très bons. De toutes les façons, quelles que soient leurs origines, les personnes qu’on interpelle portent plainte systématiquement contre nous. Au cas où… Notre hiérarchie laisse faire. Jamais un mot de soutien. En plus l’IGS [Inspection générale des services] nous déteste.
De nombreuses personnes de confession juive ressentent peut-être un sentiment d’insécurité en raison de l’attitude hostile de quelques individus assimilés à des bandes de délinquants ?
Dans ces bandes, je pense que les jeunes sont antisémites, oui ! Mais en même temps, ils n’aiment pas les autres, d’une manière générale. Ils n’aiment pas ceux qui ne sont pas comme eux. La police a bien mis en place une ligne dédiée et une adresse mail à destination des personnes victimes d’agressions racistes et antisémites mais à ma connaissance elle est très peu utilisée. Au bout de la rue Petit, il y a une bande qui fait des petits trafics et commet régulièrement des agressions. C’est de l’ordre de deux à trois par semaine, si on fait une moyenne sur l’année. On ne peut pas dire qu’il y a plus de violences. Mais on remarque que la violence est plus dure*. Quand il y a des bagarres entre eux ou avec des jeunes de la communauté juive, c’est bien plus souvent pour régler des “différends commerciaux” que pour des raisons ethniques ou religieuses. Ce sont souvent des litiges autour de matériel volé.
* En France, les services de police et de gendarmerie ont constaté en 2007 176 000 cas de coups et blessures volontaires, 826 homicides et 1 040 tentatives d’homicide. Le nombre d’homicides perpétrés chaque année en France baisse depuis le milieu des années 1980 selon le Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales.