Le conflit afghan concerne un théâtre lointain, pratiquement inconnu de la grande majorité des Français. Notre contingent militaire, de l’ordre de 4 000 hommes, est engagé dans une zone relativement calme. Même quand il essuie des pertes, les marques de solidarité, y compris de la part de l’exécutif, ne sont pas toujours à la mesure des épreuves endurées, peut-être parce qu’il s’agit de soldats professionnels. Le coût de l’opération est présenté comme tolérable. Pas étonnant que ce conflit ne soit pas véritablement un sujet de débat politique en France.
L’opinion pressent aussi que, contrairement aux affirmations officielles, cette guerre n’est plus, depuis longtemps, une guerre contre le terrorisme international. Et, de fait, les partisans du djihad international et d’Al-Qaida, peu nombreux et isolés en Afghanistan, sont largement repliés au Pakistan. Ce n’est pas cette poignée de fanatiques que combattent les 150 000 militaires étrangers aujourd’hui présents en Afghanistan, mais trois mouvements, dont les objectifs sont d’abord nationaux et qui bénéficient d’un soutien significatif, surtout parmi la moitié pachtoune.
L’engagement français est présenté comme un gage de notre fidélité atlantique, une contribution à la reconstruction d’un des pays les plus pauvres du monde et une participation à un effort de stabilisation, pour l’empêcher de retomber dans le chaos qu’il a connu après la chute du gouvernement Najibullah, en 1992.
Mais notre loyauté dans l’Alliance atlantique ne se mesure pas à notre suivisme à l’égard d’une politique d’intervention politico-militaire exclusivement décidée à Washington. Jusqu’en 2003, nous avons, avec raison, considéré que la reconstruction de l’Afghanistan était d’abord une tâche civile. Puis nous nous sommes laissés entraîner dans une opération militaire otanienne sur la totalité du territoire afghan. Ensuite, comme le souhaitaient les Etats-Unis, nous avons progressivement accru notre engagement, en souscrivant à chaque fois aux changements de stratégie décidés par les présidents Bush et Obama.
Le bilan de l’action menée à ce jour est très discutable : un régime à la légitimité incertaine après une élection présidentielle entachée de fraudes massives, une administration impuissante face au pouvoir des chefs de guerre et de l’insurrection, profondément corrompue et mêlée à une production massive de drogue, dont le développement a coïncidé avec l’intervention de l’OTAN.
La politique conduite en ce domaine souffre d’être trop largement occidentale, alors que c’est l’ONU et sa Mission d’assistance en Afghanistan (Manua) qui devraient exercer la responsabilité principale de la gestion politique du conflit afghan.
Une initiative internationale s’impose. Membre permanent du Conseil de sécurité, la France devrait proposer de réunir les pays voisins de l’Afghanistan, ceux détenant un siège permanent au Conseil de sécurité et les membres de l’Union européenne et de l’Alliance atlantique (de manière à associer la Turquie). Cette conférence aurait pour tâche d’établir un statut international de l’Afghanistan, qui en ferait un Etat neutre, dont les autorités s’engageraient à n’apporter aucun soutien au terrorisme international.
Seul ce règlement, prévoyant un retrait total des troupes étrangères, à l’exception d’un volume limité et contrôlé d’assistance militaire technique, serait de nature à rassurer à la fois le Pakistan, l’Inde, l’Iran, la Chine et la Russie. Il devrait en particulier comporter un engagement du Pakistan de cesser de soutenir les mouvements islamistes pachtounes, en échange d’une reconnaissance par l’Afghanistan de la frontière pakistano-afghane actuelle.
Comment susciter une telle démarche ? La France doit retrouver une liberté d’action et une crédibilité qu’elle a largement perdues, en raison de son engagement au sein des dispositifs militaires intégrés de l’OTAN. Il lui faut pour cela retirer son contingent.
Ce retrait doit s’accompagner d’offres de participation aux efforts internationaux d’aide au développement et, en liaison notamment avec l’Allemagne, d’assistance à la restructuration des forces de sécurité intérieure, aujourd’hui très largement corrompues et inefficaces. L’intensification de l’effort militaire que vient de décider le président Obama doit être relayée par une intensification de l’effort civil.
Le développement de l’Afghanistan est actuellement entravé par l’insécurité, que la présence de l’OTAN contribue d’une certaine façon à alimenter. Le président Obama l’a bien compris en proposant de confier la responsabilité de la sécurité du pays aux forces afghanes à l’échéance de 2014. Cet objectif ne pourra cependant être atteint que dans le cadre d’un règlement international du type de celui esquissé plus haut, en associant toutes les parties à la construction de forces militaires afghanes viables.
L’armée nationale afghane actuelle est, en effet, en grande partie incapable d’agir de façon autonome, notamment parce qu’elle est affaiblie par des désertions et que ses soldats vont parfois jusqu’à retourner leurs armes contre les militaires étrangers qui les encadrent.
Le retrait français doit être immédiatement annoncé et sa mise en œuvre coordonnée avec le désengagement programmé des forces américaines et internationales. Il pourrait par exemple avoir lieu en même temps que les premiers retraits des troupes américaines, prévus pour juillet 2011. Ainsi la France pourrait-elle renouer avec l’inspiration du "plan d’action pour l’Afghanistan" présenté, en octobre 2001, par Hubert Védrine.
Son action s’inscrirait dans une tradition de politique étrangère notamment illustrée par le discours de Phnom Penh de 1966. Dans ce discours déjà, le général de Gaulle recommandait de renoncer à une "expédition lointaine" dès lors qu’elle apparaissait "sans bénéfice et sans justification" et de lui préférer "un arrangement international organisant la paix et le développement".