On entend souvent parler, à juste titre, de l’excision, ablation du clitoris qui se pratique dans certaines cultures africaines et qui est imposée aux filles sans leur consentement. Cette pratique est considérée comme une atteinte intolérable à l’intégrité du corps des jeunes filles qui en sont victimes, et à juste titre. Dans ce cas, personne n’estime que le « droit des communautés », ou les anciens usages des pays d’origine, ne permettent de passer outre la Loi Républicaine, garante du respect de la personne humaine indépendamment de son appartenance communautaire assumée ou subie.
On insiste souvent sur la perte du plaisir sexuel consécutive à cette mutilation comme argument principal pour l’interdire. Mais, pour aller plus au fond des choses, il faudrait interdire toute forme de modification corporelle irréparable infligée à l’enfant par ses parents, à l’exception de celles qui sont médicalement nécessaires (on ne peut pas reprocher aux parents d’avoir fait procéder à l’ablation de l’appendice d’un enfant souffrant d’appendicite, évidemment).
Or on ne pense jamais au fait que la circoncision, quand elle est subie par un enfant mineur, incapable juridiquement de donner son consentement éclairé, relève exactement du même cas de figure.
On me dira que comparaison n’est pas raison et que la circoncision ne prive pas de plaisir sexuel comme, dit-on, l’excision. À quoi je répondrais que la plupart de ceux qui possèdent encore leur prépuce savent que c’est une zone érogène plutôt satisfaisante, si bien sûr il est bien conformé. En tout état de cause, ce n’est pas aux coupables ou à leurs complices d’estimer le préjudice subi par la victime.
Je ne propose pas, à cette étape, l’interdiction pure et simple de la circoncision des enfants non justifiée par des raisons médicales. Mais, pour faire avancer les mentalités, il serait nécessaire d’introduire immédiatement dans le Droit français la possibilité, pour les victimes de circoncision non consentie, de porter plainte à la fois contre leurs parents et le médecin pour obtenir une contrepartie au préjudice subi. Quant aux médecins (quand la circoncision est faite à la naissance et sous forme d’acte médical), leur contribution à des mutilations d’enfants devrait leur valoir, de la part du Conseil de l’Ordre, la radiation et une interdiction d’exercer la médecine, sans préjudice des poursuites éventuelles de la part des victimes.
Un tel dispositif n’interdirait évidemment pas la circoncision des majeurs consentants, ni celle qui est médicalement nécessaire. Un dossier médical bien constitué et dûment contrôlé pourrait mettre le médecin à couvert de plaintes abusives.
Ma comparaison entre excision et circoncision est certes peut-être excessive ; elle a vocation à provoquer la réflexion. La question demeure : celle du droit des parents à opérer une modification définitive sur le corps de leurs enfants. On en est à criminaliser la gifle et la fessée et on permet aux parents de faire couper des morceaux de leurs fils.
Si la question est aussi passionnante (malgré le caractère insignifiant de son pré… texte), c’est qu’elle peut agir comme révélateur de nos propres contradictions : nous sommes contre les revendications communautaires, mais nous sommes soucieux de la transmission des traditions. Les traditions les plus solidement transmises sont celles dans lesquelles on n’a pas peur de la violence éducative — de marquer la Loi dans les corps. À cela s’ajoute que nous ne sommes pas réactionnaires (au sens des réflexions contre-révolutionnaires d’un Joseph de Maistre ou d’un Bonald, valorisant systématiquement les « corps intermédiaires », pour parler comme Maurras, contre les droits des individus : car c’est au nom du droit des individus que l’on peut aussi défendre les individus… y compris contre les revendications de leurs propres communautés !), mais que nous sommes soucieux de la transmission des traditions qui ne peut se faire que par le truchement de ces corps intermédiaires qui sont la charpente qui porte la société…
On m’objecte quelquefois que, selon la même logique, il faudrait limiter considérablement le droit des parents de donner à leurs enfants une éducation de leur choix. Par exemple, interdire aussi le baptême des enfants ou autre endoctrinement précoce.
Il y a tout de même une différence profonde : au fond, l’acte de baptiser un enfant engage davantage les parents que l’enfant lui-même, car si, ultérieurement, il opte pour l’incroyance, ou choisit une autre religion, il pourra librement considérer qu’il ne s’est rien passé, c’est-à-dire, pour paraphraser une méchante formule de Pasqua sur les promesses électorales, que le rite n’engage que ceux qui y croient. Tandis que, dans le cas de la circoncision (dont, bien sûr, je ne m’exagère pas non plus la gravité…), le corps du sujet aura été modifié définitivement. Cela va un cran plus loin dans l’emprise des parents sur leur enfant.
Je ne suis pas contre la circoncision, que cela soit bien clair. Mais je suis contre toute modification irréversible imposée au corps d’un mineur sans nécessité médicale. Je pense que le corps de l’enfant n’est pas la propriété des parents. Son esprit non plus, du reste. Ce qui nous ramène à l’épineux problème de transmission de valeurs culturelles, voire spirituelles, dans la famille… La formule catholique actuelle de la « proposition de la foi » paraît honnête : ce n’est pas parce que l’on refuse aux parents le droit de propriété sur l’esprit de leurs enfants qu’on ne leur accorde pas le droit, voire le devoir éducatif, de témoigner pour leurs convictions. Le fait est qu’un esprit libre et fort a besoin de modèles parentaux affirmant des valeurs et des convictions — y compris, dirais-je, pour avoir la force de caractère qui lui permettra ultérieurement, le cas échéant, de faire d’autres choix, de pousser ses branches vers d’autres orients que ceux où le hasard de sa naissance a voulu qu’il plonge ses racines.
Aberration des idées hygiénistes et sanitaires dans le domaine de l’anthropologie religieuse
Dans le débat sur la circoncision, ses partisans font toujours entrer des considérations de type hygiéniste et sanitaire, dont force est de constater qu’elles sont de l’ordre de la « justification ad hoc » et purement artificielle.
Il n’est certes pas impossible qu’une pratique comme la circoncision (ou l’abstention du porc, par exemple) soit bénéfique pour la santé des populations concernées. Mais je crois que c’est une erreur typique du XIXe siècle d’essayer d’expliquer de cette manière des usages religieux. Il faudrait expliquer de la même manière pourquoi les Hindous (qui ne sont pas circoncis, du reste) s’abstiennent de manger du bœuf…
On voit bien que tous les interdits religieux ont une motivation essentiellement symbolique et que l’explication par des considérations hygiénistes n’est qu’une justification après-coup sans vérité historique. Le dernier des étudiants en histoire des religions est pénétré de cette évidence. Appliquer deux poids et deux mesures à l’évaluation du cas des religions à circoncision et comportant l’interdit du porc, d’une part, et aux religions (comme l’hindouisme) à castes et à abstention du bœuf, ce serait évidemment rentrer dans une logique tribaliste, et même franchement raciste, à laquelle nous ne pouvons pas souscrire.
Quelques remarques sur les aspects médicaux de la question de la circoncision
Les populations non-circoncises ont-elles d’ailleurs réellement plus de problèmes de santé que les autres ? Il n’y a aucun argument scientifique solide en faveur de la circoncision généralisée, quoique les Américains aient essayé de produire des statistiques dans ce genre, à propos de la transmission du sida (plus faible, selon eux, chez les circoncis). Mais le peu de fiabilité scientifique de leurs chiffres montre à l’évidence qu’il ne s’agit que d’une construction ad hoc pour justifier leurs préjugés et leurs pratiques.
Voici ce que certains disent : « Les preuves scientifiques existent (1) et nombre d’études prouvent que la circoncision diminue considérablement la contamination sexuelle des individus, le repli entre le prépuce et le gland étant un lieu idéal d’incubation pour les micro-organismes. Elle n’est donc pas anachronique et elle est même totalement d’actualité. L’OMS pense même que cela pourrait être un moyen faisant diminuer considérablement la pandémie de sida en Afrique. Si les Américains circoncisent leurs garçons en grande majorité sans connotation religieuse ce n’est pas un hasard. »
Toutefois, même si l’argument n’est pas tout à fait faux, il est ridicule de prétendre que là serait la solution relativement à cette épidémie. Cela limiterait peut-être les risques de contamination, mais seulement pour les hommes... Les femmes, elles sont plus souvent contaminées lorsque leur partenaire est circoncis.
Ce genre de message peut, de plus, donner à penser que l’usage du préservatif serait facultatif : on se demande si ceux qui préconisent ce genre de solution n’auraient pas quelques penchants génocidaires à l’égard des populations africaines, notamment ? Veulent-ils faire de l’Afrique un vaste territoire vide d’êtres humains pour en mieux ponctionner les richesses naturelles tout en en faisant une vaste réserve naturelle pour touristes « lili-bobos » ?
Autre risque, si l’on veut creuser le versant médical de la question : après circoncision, en cas de rapports trop rapides, du fait des problèmes de cicatrisation, les risques de contamination sont accrus.
De plus, l’étude elle-même est sujette a caution... car force est de constater qu’aux Etats-Unis, où la circoncision hygiéniste est largement répandue, le sida n’en est pas moins fortement présent...
Enfin, ne prendre que ce point comme base de référence, c’est oublier le contexte culturel dans lequel a été menée l’étude, c’est-à-dire en Afrique. Et comme, lors de l’étude, on a donné des préservatifs aux groupes circoncis et au groupe non circoncis, on s’est juste penché sur les statistiques finales... sans se demander si les volontaires pour la circoncision, du fait de leur démarche volontaire, n’étaient pas, à la base, plus susceptibles d’utiliser le préservatif que les non-volontaires... Bref, on a affaire à une étude faible en valeur probante, du fait de son insuffisance méthodologique.
De plus, dans la même logique, on pourrait aussi bien proposer de reboucher le nombril (un nid à microbes) ; et puis se couper les doigts (qui portent des germes en bien plus grand nombre que la bouche). L’hygiénisme à l’américaine est d’autant plus ridicule qu’il s’exerce à géométrie variable.
Une étude sérieuse aurait aussi dû prendre en compte, par exemple, les septicémies entraînées par des circoncisions faites dans des conditions hygiéniques déplorables, ce qui est souvent le cas. On pourrait encore parler des cironcisions mal faites qui endommagent le système urinaire...
Voici un passage d’un intéressant article du Figaro :
« De nombreux risques éthiques.
Certes, certaines extrapolations font état d’une diminution de 2 millions des nouvelles infections et de 300 000 du nombre des décès dans les dix prochaines années, du fait de la diffusion d’une telle mesure. Mais ces modélisations ne tiennent pas compte de la vie sexuelle réelle des individus. En Ouganda, à Rakai, les hommes nouvellement circoncis ont augmenté la fréquence de leurs rapports dans l’année suivant l’intervention, selon une étude récente.
En outre ,“la systématisation d’un tel acte comporte de nombreux risques éthiques”, met en garde le CNS. La circoncision n’étant pas souhaitable pour les hommes déjà infectés, il faudra donc leur proposer un dépistage avant. Avec le risque d’induire des campagnes de test obligatoire. Et de provoquer leur rejet dans les populations qui redouteront d’être stigmatisées.
Autre argument, la promotion de la circoncision masculine pour des raisons médicales et non pour des raisons rituelles pourrait fragiliser la politique de lutte contre l’excision féminine. Et, dans le cadre de rapports sexuels entre hommes, aucune recherche n’a démontré qu’elle diminue les risques, contrairement aux affirmations de certains sites. Plus globalement, dans les pays où le manque de personnel médical est déjà un frein à l’accès aux traitements, “il semble difficile d’ajouter la charge supplémentaire qui consisterait à circoncire plusieurs millions de personnes”, pointe le CNS, qui redoute que l’apologie de cette mesure ne brouille les messages de prévention déjà existants. Avec paradoxalement, une montée en puissance des contaminations... »
Rappelons enfin que la circoncision est remboursée par la sécurité sociale. De fait, rien de plus simple que de faire contribuer la solidarité nationale à une pratique religieuse en invoquant faussement un prétexte médical (quid de la Loi de 1905 de la « séparation des Eglises et de l’Etat » ?). Et personne ne parle de la douleur de l’enfant. Si la circoncision médicalisée non-consentie est une mutilation, la circoncision rituelle, sans anesthésie est en plus une violence faite aux enfants. Que dirait-on si on scarifiait un nourrisson ?
L’insuffisance du point de vue des intéressés : les femmes excisées ne s’estiment pas mutilées
La plupart des femmes africaines excisées ne considèrent pas l’excision comme une mutilation... puisqu’elles la reproduisent elles-mêmes sur leurs propres filles. Ce n’est pas l’avis de celui qui opère, mais de celui qui subit, qui doit primer, du moins quant à l’appréciation de l’une et l’autre de ces pratiques communautaires dans le Droit français.
Du reste, les victimes peuvent difficilement appréhender la chose comme une mutilation quand tout le monde autour de soi a subi le même traitement. Il n’en demeure pas moins que c’est intervenir de manière extrêmement invasive sur le corps de l’autre. Le fait que la mutilation soit socialement admise ne remet pas pour autant en cause son caractère intrinsèque ; ou bien, si le fait qu’elle soit socialement admise ailleurs la légitime, le fait qu’elle soit contraire à nos mœurs devrait autoriser à l’interdire sur le territoire de la République, du moins quand elle est infligée à de jeunes enfants, encore une fois, incapables de donner leur consentement éclairé à cette modification corporelle irréversible. Les femmes-girafes ne sont pas mutilées, du point de vue des populations qui perpétuent cette pratique...
Une objection : « Dire que les femmes excisées ne pensent pas qu’elles sont mutilées est de l’ignorance et de l’antiféminisme, dira-t-on. Elles le reproduisent sous le fait d’un manque d’éducation et de la pression masculine de sociétés machistes. En revanche la circoncision est pratiquée non seulement dans des milieux pauvres et peu éduqués mais aussi et surtout dans des milieux parfaitement civilisés et médicalement. L’ultra-majorité des garçons américains sont circoncis à la naissance et de nombreux intellectuels circoncis seraient tout à fait capables de dénoncer une mutilation s’ils pensaient être mutilés. »
Il n’est pas dit qu’un plus haut niveau d’instruction garantisse contre la névrose ni contre la propension à trouver naturel ce dont on a été la victime, surtout de la part de ses parents pour qui, dans la plupart des cas, on a de l’affection. Par ailleurs, l’objection insinue que l’excision ne se pratique que chez des populations arriérées... ce qui est loin d’être le cas ! Et, dans la catégorie des arguments « lili-bobos », s’il y a « antiféminisme » à faire observer que les femmes excisées ne s’estiment pas mutilées, n’y a-t-il pas « racisme » à justifier la circoncision par le fait qu’elle se pratique aussi dans des milieux « civilisés » (pour exprimer la pensée implicitement néo-colonialiste, quoique apparemment « relativiste culturelle », de contradicteur). Enfin, le fait que la circoncision se trouverait aussi dans des milieux cultivés ne change évidemment rien à l’affaire. Il y a aussi des personnes éminemment instruites qui brutalisent leurs enfants avec la meilleure conscience du monde : en somme, être instruit et être éduqué, ce n’est pas la même chose ; il faut être naïf pour croire aux « Lumières » au point d’imaginer que le progrès moral soit mécaniquement entraîné par le progrès des techniques.
Pour nous, en dernière analyse, il s’agit bien du sentiment d’avoir été mutilé, dont seule la victime peut être juge, sans aller bien sûr jusqu’à permettre aux enfants de porter plainte contre leurs parents pour des choses qui objectivement ne peuvent guère être considérés comme préjudice subi. Ma position n’est ni l’interdiction absolue de la circoncision des enfants mineurs sans nécessité médicale, ni la pleine liberté du côté des parents de modifier à leur convenance et selon leurs croyances le corps de leur enfant : elle consiste dans la reconnaissance du droit pour les « patients » à porter plainte contre ceux qui les auraient ainsi mutilés.
On dira que cette proposition est de nature à détruire la famille en créant une opposition violente entre parents et enfants. Mais que dirait-on d’une telle réponse, si elle venait par exemple d’un partisan de la pédophilie incestueuse ou de la maltraitance des enfants (« Je l’ai fait, il est à moi, j’en fais ce que je veux… ») ? Est-ce détruire la famille que poser des limites aux droits des parents sur leurs enfants, surtout quand on laisse l’initiative aux enfants (dans le cadre d’une loi qui permettrait de justes plaintes, mais empêcherait les procédures abusives) d’exprimer ainsi leur mécontentement légitime ?
« La critique de la circoncision est antisémite »…
Autre objection spécieuse : « Les pourfendeurs de la circoncision ont souvent été et sont souvent encore des gens ayant des idées extrémistes. Elles sont souvent raccordées à du racisme et de l’antisémitisme au sens large (Juifs et Arabes). »
Les pourfendeurs, pourrait-on se demander, sont-ils d’abord ceux qui pourfendent les idées, ou ceux qui pourfendent les corps ?
Mais, pour aller au fond des choses sans se piquer de bel esprit, on voit bien qu’il y a là un argument purement ad hominem : « Ceux qui défendent l’idée sont méchants, donc l’idée est mauvaise ». Hélas, il devait arriver parfois même à Hitler ou à Staline de penser que 2+2=4, et l’on ne s’avise guère de dénoncer ceux qui pensent comme eux sur ce chapitre d’être complices des « totalitarismes » (soit dit pour reprendre à titre purement ironique cette catégorie éminemment mal faite).
La question n’est pas « qui ? », mais « quoi ? », et surtout de ne pas déplacer la discussion sur le terrain de la persécution des communautés quand il s’agit de la mutilation des individus. Ce n’est pas aimer l’homme Juif ou Musulman que de lui interdire d’être propriétaire de son corps comme un autre, et c’est de cela seul qu’il est question.
Ce qui est vraiment fascinant, c’est de voir comment une prise de position élémentaire en faveur de la libre disposition de son propre corps par l’individu est stigmatisée comme une proposition raciste… Et cela même par des gens qui trouvent absolument indiscutable la revendication féministe de l’avortement libre au nom précisément du libre droit pour la femme de disposer de son propre corps. Attention, que l’on ne me fasse pas dire que je suis anti-avortement, ce n’est pas la question ici : je m’amuse juste des indignations à géométrie variable, qui n’ont aucun scrupule à faire du même principe, quand il est appliqué à des enfants qui n’ont rien demandé à personne, une idée raciste, et quand on l’applique à des femmes adultes quelquefois irresponsables, une idée progressiste. « Français, encore un effort, si vous voulez être vraiment républicains », comme nous y invite Sade dans un texte impayable de La Philosophie dans le boudoir…
Circoncision et castration symbolique, ou : d’une synthèse paradoxale de la filiation et de sa négation…
On pourrait parler de l’orthodontie systématique, à titre de comparaison, ou de toute autre pratique orthopédique (voir la gravure placée en tête du Surveiller et Punir de Foucault, qui est peut-être son seul livre vraiment bon). C’est évidemment plus neutre et cela ne soulèverait pas les mêmes objections. Mais c’est un bon exemple d’un dispositif évidemment plutôt positif en soi (tout le monde préfère avoir les dents à peu près bien rangées), mais qui est tout de même aussi un vecteur de transmission d’angoisses parentales et une sorte d’ingérence bizarre dans le corps de l’enfant… En fait, au fond, c’est cela qui m’intéresse dans cette affaire : qu’est-ce qui passe — psychologiquement, mentalement, spirituellement — avec la circoncision religieuse ? Transmission, passage de la « Loi » (les textes bibliques en fond effectivement le sceau de l’Alliance), héritage spirituel au père au fils, ou aliénation, mutilation symbolique ?…
Voici, pour ce qui concerne le Judaïsme (je n’ai pas, à cette étape, trouvé un texte équivalent du côté musulman) ce que dit Maimonide (1135-1204, auteur très important de la pensée juive médiévale) sur la circoncision dans son Guide des Egarés (III, 49, p. 606 de la trad. fr., le passage est long, je n’en donne qu’un morceau) :
« Je crois que l’un des motifs de la circoncision, c’est de diminuer la cohabitation et d’affaiblir l’organe , afin d’en restreindre l’action et de le laisser en repos le plus possible. (…)
Ce précepte n’a point pour but de suppléer à une imperfection physique ; il ne s’agit, au contraire, que de remédier à une imperfection morale. LE VÉRITABLE BUT, C’EST LA DOULEUR CORPORELLE À INFLIGER À CE MEMBRE et qui ne dérange en rien les fonctions nécessaires pour la conservation de l’individu, ni ne détruit la procréation, MAIS QUI DIMINUE LA PASSION ET LA TROP GRANDE CONCUPISCENCE. Que la circoncision affaiblisse la concupiscence ET DIMINUE QUELQUEFOIS LA VOLUPTÉ, C’EST UNE CHOSE DONT ON NE PEUT PAS DOUTER ; CAR SI, DÈS SA NAISSANCE, ON FAIT SAIGNER CE MEMBRE EN LUI ÔTANT SA COUVERTURE, IL SERA INDUBITABLEMENT AFFAIBLI.
Les Docteurs ont dit expressément : “La femme qui s’est livrée à l’amour avec un incirconcis peut difficilement se séparer de lui” (Berechit Rabba 80) ; c’est, selon moi, le motif le plus important de la circoncision. Et qui a donc le premier pratiqué cet acte ? N’est-ce pas Abraham, si renommé pour sa chasteté ? ».
Certes, il s’agit d’un vieux texte du Moyen Age et je veux bien admettre, ou du moins laisser hors du débat, l’idée que la circoncision ne diminue peut-être pas le plaisir sexuel, contrairement à l’avis de ce savant auteur. Mais ce qui est important, c’est de montrer par cette citation que, selon les Docteurs de la Religion Juive, la circoncision est bien, disons, une castration symbolique liée à la réprobation du plaisir sexuel, exactement… comme l’excision chez les peuples qui la pratiquent !
On a là une curieuse construction, qui garantit la filiation (« être fils », et donc pouvoir un jour « être père ») par une castration symbolique. Paradoxe qui aurait de quoi réjouir les psychanalystes, qui y ont d’ailleurs certainement déjà pensé…
Le fond du problème : de la transmission ou l’inscription de la Loi dans les corps
Bien sûr, (1) les parents font ce qu’ils peuvent. Comme le dit à peu près Spinoza, « tout être est aussi parfait qu’il le peut être dans l’instant considéré » (tous les reproches que l’on fait présupposent à tort que la personne incriminée aurait pu faire autre chose, c’est-à-dire être autre qu’elle n’était au moment des faits). (2) Je suis également conscient aussi des dangers de l’« hyper-judiciarisation » des rapports sociaux. Bref, j’ai outré ma pensée pour faire réfléchir.
Au fond, ce qui nous intéresse, pour donner plus de champ au débat, c’est la question de la transmission (culturelle et matérielle). Je n’ai en fait parlé de circoncision qu’à partir de cette préoccupation : de quelle manière quelque chose passe de génération en génération, y compris à travers une forme de violence (physique ou psychologique).
La circoncision (dans un cadre religieux), c’est l’inscription de la Loi (j’allais dire : de l’Image du Père…) dans le corps du sujet… C’est la filiation culturelle inscrite dans la chair la plus intime… Au fond, c’est la continuation de toutes les « marques sur le corps » des sociétés les plus archaïques (tatouages, infibulations, scarifications…) qui se font au moment du rite de passage et marquent l’insertion définitive de l’individu dans son groupe culturel… C’est Nietzsche qui, sans y penser (il avait en tête surtout les châtiments monstrueux prévus par la loi dans les époques anciennes) a donné dans La Généalogie de la Morale les concepts permettant de penser cette inscription de la loi dans les corps ; et c’est Deleuze qui a eu la finesse de le percevoir, en rapprochant le texte de Nietzsche à la fois des découvertes des ethnologues et d’une nouvelle passionnante de Kafka, Dans la colonie pénitentiaire, où la mise à mort du condamné se fait au moyen d’une machine qui inscrit la loi dans le corps du patient.
Mon souci est celui-ci : il n’y a plus de pères — et il n’y a plus de fils parce qu’il n’y a plus de pères — et par là il n’y a plus de tradition, et cela en partie à cause du caractère central de l’individu dans le Droit (et la culture) post-révolutionnaire et en partie à cause de la décomposition sociale et morale intrinsèquement liée au déploiement du mode de production capitaliste. Du reste, c’est à mon avis l’explication principale de la raison pour laquelle nombre de Français d’aujourd’hui se tournent, par exemple, vers le bouddhisme tibétain : au-delà de l’effet de mode purement « bobo », cela exprime le besoin sincère d’un ré-enracinement dans de nouvelles filiations, maintenues intactes dans des sociétés archaïques, quand on n’a plus de pères, et que le père — ou surtout les mères féministes — se sont déchaînés pour couper la filiation et détruire, pour leurs fils, la possibilité d’« être pères ». Ce qui est d’autant plus effrayant que Lacan, par exemple, dans le Séminaire sur la psychose, explique quelque part la folie par « le manque d’un signifiant — le signifiant être père ».
Je ne propose évidemment pas de revenir à une pensée excessivement archaïque des « corps intermédiaires » au sens de Maurras ou des « communautés » au sens du communautarisme actuel — deux constructions dans lesquelles l’individu est à bien des égards dépossédé de nombre de ses droits en étant réduit au rôle de simple membre d’un groupe culturel et social (même s’il se prend au jeu pervers de la revendication de droits communautaires). Je cherche, bien plutôt, la synthèse de la liberté individuelle et de la transmission sans laquelle, pour citer encore une fois Lacan, « les non-dupes errent… ».
En fait, le vrai fond de cet article, c’est bien la question de la transmission et de la filiation :
(1) On ne peut devenir un adulte au plein sens du terme sans hériter, symboliquement, d’une tradition dans laquelle, qu’on le veuille ou non, on s’enracine. Sans cela, on a des individus démoralisés et désorientés : libertarisme dépressif du petit consommateur français. Et, à cet égard, supériorité de force des traditions qui ne craignent pas de « marquer la Loi dans les corps ».
(2) Mais, dans bien des cas, les modalités de cette transmission sont aliénantes, violentes, peut-être au point d’empêcher à jamais l’individu de devenir un adulte capable de vivre debout. C’est peut-être de ce côté-là que se trouve la régression tribaliste et toutes les formes de racisme et de vision réactionnaire de la terre et des racines dont les sionistes enragés sont le meilleur exemple que l’on ait sous les yeux.
(3) D’où la question : « Comment remettre les individus debout, leur permettre de vivre fiers et libres, c’est-à-dire rétablir filiations et transmissions et l’enracinement nécessaire à l’amour de soi et à l’épanouissement, sans leur faire perdre leur liberté ni leur raison sous la forme d’un discours communautaire complètement archaïque avec ses mutilations physiques (rarement, chez les peuples modernes qui ont abandonné le “marquage sur le corps” propre aux peuples archaïques) ou mentales (plus souvent, de nos jours) ? »
Pour ce qui concerne les traditions majoritaires des gens ordinaires d’ici, mettons : comment fais-je pour assumer mon enracinement dans l’identité française comme un facteur d’épanouissement (libération, « augmentation de la puissance d’agir et de sentir et de penser », comme dit Spinoza) et non de racornissement tribal ? Certes la circoncision des enfants est choquante ; mais en France c’est une pratique minoritaire. Donc, ce qui me préoccupe plus, c’est ceci (déjà bien pensé par Hegel, contre Rousseau), que toute éducation a une dimension aliénante, mais que l’absence de transmission (éducation soixante-huitarde) bloque encore plus le développement de l’individu…
Il me semble qu’il faudrait chercher des éléments de solution dans la lecture de Barrès, qui, parti d’un individualisme forcené (« égotisme », comme il l’appelle lui-même), voué au « culte du Moi », en est arrivé au nationalisme intégral, non comme négation du Moi ou aliénation communautaire, mais comme découverte du fait que la seule possibilité d’épanouissement total de la « puissance d’agir, de sentir et de penser » de l’individu (pour parler comme Spinoza) se trouve dans son enracinement, ou dans son ré-enracinement, dans le terroir qui lui est naturel.
S.A.
(1)
Les Nations Unies envisagent la circoncision pour faire reculer le sida
On insiste souvent sur la perte du plaisir sexuel consécutive à cette mutilation comme argument principal pour l’interdire. Mais, pour aller plus au fond des choses, il faudrait interdire toute forme de modification corporelle irréparable infligée à l’enfant par ses parents, à l’exception de celles qui sont médicalement nécessaires (on ne peut pas reprocher aux parents d’avoir fait procéder à l’ablation de l’appendice d’un enfant souffrant d’appendicite, évidemment).
Or on ne pense jamais au fait que la circoncision, quand elle est subie par un enfant mineur, incapable juridiquement de donner son consentement éclairé, relève exactement du même cas de figure.
On me dira que comparaison n’est pas raison et que la circoncision ne prive pas de plaisir sexuel comme, dit-on, l’excision. À quoi je répondrais que la plupart de ceux qui possèdent encore leur prépuce savent que c’est une zone érogène plutôt satisfaisante, si bien sûr il est bien conformé. En tout état de cause, ce n’est pas aux coupables ou à leurs complices d’estimer le préjudice subi par la victime.
Je ne propose pas, à cette étape, l’interdiction pure et simple de la circoncision des enfants non justifiée par des raisons médicales. Mais, pour faire avancer les mentalités, il serait nécessaire d’introduire immédiatement dans le Droit français la possibilité, pour les victimes de circoncision non consentie, de porter plainte à la fois contre leurs parents et le médecin pour obtenir une contrepartie au préjudice subi. Quant aux médecins (quand la circoncision est faite à la naissance et sous forme d’acte médical), leur contribution à des mutilations d’enfants devrait leur valoir, de la part du Conseil de l’Ordre, la radiation et une interdiction d’exercer la médecine, sans préjudice des poursuites éventuelles de la part des victimes.
Un tel dispositif n’interdirait évidemment pas la circoncision des majeurs consentants, ni celle qui est médicalement nécessaire. Un dossier médical bien constitué et dûment contrôlé pourrait mettre le médecin à couvert de plaintes abusives.
Ma comparaison entre excision et circoncision est certes peut-être excessive ; elle a vocation à provoquer la réflexion. La question demeure : celle du droit des parents à opérer une modification définitive sur le corps de leurs enfants. On en est à criminaliser la gifle et la fessée et on permet aux parents de faire couper des morceaux de leurs fils.
Si la question est aussi passionnante (malgré le caractère insignifiant de son pré… texte), c’est qu’elle peut agir comme révélateur de nos propres contradictions : nous sommes contre les revendications communautaires, mais nous sommes soucieux de la transmission des traditions. Les traditions les plus solidement transmises sont celles dans lesquelles on n’a pas peur de la violence éducative — de marquer la Loi dans les corps. À cela s’ajoute que nous ne sommes pas réactionnaires (au sens des réflexions contre-révolutionnaires d’un Joseph de Maistre ou d’un Bonald, valorisant systématiquement les « corps intermédiaires », pour parler comme Maurras, contre les droits des individus : car c’est au nom du droit des individus que l’on peut aussi défendre les individus… y compris contre les revendications de leurs propres communautés !), mais que nous sommes soucieux de la transmission des traditions qui ne peut se faire que par le truchement de ces corps intermédiaires qui sont la charpente qui porte la société…
On m’objecte quelquefois que, selon la même logique, il faudrait limiter considérablement le droit des parents de donner à leurs enfants une éducation de leur choix. Par exemple, interdire aussi le baptême des enfants ou autre endoctrinement précoce.
Il y a tout de même une différence profonde : au fond, l’acte de baptiser un enfant engage davantage les parents que l’enfant lui-même, car si, ultérieurement, il opte pour l’incroyance, ou choisit une autre religion, il pourra librement considérer qu’il ne s’est rien passé, c’est-à-dire, pour paraphraser une méchante formule de Pasqua sur les promesses électorales, que le rite n’engage que ceux qui y croient. Tandis que, dans le cas de la circoncision (dont, bien sûr, je ne m’exagère pas non plus la gravité…), le corps du sujet aura été modifié définitivement. Cela va un cran plus loin dans l’emprise des parents sur leur enfant.
Je ne suis pas contre la circoncision, que cela soit bien clair. Mais je suis contre toute modification irréversible imposée au corps d’un mineur sans nécessité médicale. Je pense que le corps de l’enfant n’est pas la propriété des parents. Son esprit non plus, du reste. Ce qui nous ramène à l’épineux problème de transmission de valeurs culturelles, voire spirituelles, dans la famille… La formule catholique actuelle de la « proposition de la foi » paraît honnête : ce n’est pas parce que l’on refuse aux parents le droit de propriété sur l’esprit de leurs enfants qu’on ne leur accorde pas le droit, voire le devoir éducatif, de témoigner pour leurs convictions. Le fait est qu’un esprit libre et fort a besoin de modèles parentaux affirmant des valeurs et des convictions — y compris, dirais-je, pour avoir la force de caractère qui lui permettra ultérieurement, le cas échéant, de faire d’autres choix, de pousser ses branches vers d’autres orients que ceux où le hasard de sa naissance a voulu qu’il plonge ses racines.
Aberration des idées hygiénistes et sanitaires dans le domaine de l’anthropologie religieuse
Dans le débat sur la circoncision, ses partisans font toujours entrer des considérations de type hygiéniste et sanitaire, dont force est de constater qu’elles sont de l’ordre de la « justification ad hoc » et purement artificielle.
Il n’est certes pas impossible qu’une pratique comme la circoncision (ou l’abstention du porc, par exemple) soit bénéfique pour la santé des populations concernées. Mais je crois que c’est une erreur typique du XIXe siècle d’essayer d’expliquer de cette manière des usages religieux. Il faudrait expliquer de la même manière pourquoi les Hindous (qui ne sont pas circoncis, du reste) s’abstiennent de manger du bœuf…
On voit bien que tous les interdits religieux ont une motivation essentiellement symbolique et que l’explication par des considérations hygiénistes n’est qu’une justification après-coup sans vérité historique. Le dernier des étudiants en histoire des religions est pénétré de cette évidence. Appliquer deux poids et deux mesures à l’évaluation du cas des religions à circoncision et comportant l’interdit du porc, d’une part, et aux religions (comme l’hindouisme) à castes et à abstention du bœuf, ce serait évidemment rentrer dans une logique tribaliste, et même franchement raciste, à laquelle nous ne pouvons pas souscrire.
Quelques remarques sur les aspects médicaux de la question de la circoncision
Les populations non-circoncises ont-elles d’ailleurs réellement plus de problèmes de santé que les autres ? Il n’y a aucun argument scientifique solide en faveur de la circoncision généralisée, quoique les Américains aient essayé de produire des statistiques dans ce genre, à propos de la transmission du sida (plus faible, selon eux, chez les circoncis). Mais le peu de fiabilité scientifique de leurs chiffres montre à l’évidence qu’il ne s’agit que d’une construction ad hoc pour justifier leurs préjugés et leurs pratiques.
Voici ce que certains disent : « Les preuves scientifiques existent (1) et nombre d’études prouvent que la circoncision diminue considérablement la contamination sexuelle des individus, le repli entre le prépuce et le gland étant un lieu idéal d’incubation pour les micro-organismes. Elle n’est donc pas anachronique et elle est même totalement d’actualité. L’OMS pense même que cela pourrait être un moyen faisant diminuer considérablement la pandémie de sida en Afrique. Si les Américains circoncisent leurs garçons en grande majorité sans connotation religieuse ce n’est pas un hasard. »
Toutefois, même si l’argument n’est pas tout à fait faux, il est ridicule de prétendre que là serait la solution relativement à cette épidémie. Cela limiterait peut-être les risques de contamination, mais seulement pour les hommes... Les femmes, elles sont plus souvent contaminées lorsque leur partenaire est circoncis.
Ce genre de message peut, de plus, donner à penser que l’usage du préservatif serait facultatif : on se demande si ceux qui préconisent ce genre de solution n’auraient pas quelques penchants génocidaires à l’égard des populations africaines, notamment ? Veulent-ils faire de l’Afrique un vaste territoire vide d’êtres humains pour en mieux ponctionner les richesses naturelles tout en en faisant une vaste réserve naturelle pour touristes « lili-bobos » ?
Autre risque, si l’on veut creuser le versant médical de la question : après circoncision, en cas de rapports trop rapides, du fait des problèmes de cicatrisation, les risques de contamination sont accrus.
De plus, l’étude elle-même est sujette a caution... car force est de constater qu’aux Etats-Unis, où la circoncision hygiéniste est largement répandue, le sida n’en est pas moins fortement présent...
Enfin, ne prendre que ce point comme base de référence, c’est oublier le contexte culturel dans lequel a été menée l’étude, c’est-à-dire en Afrique. Et comme, lors de l’étude, on a donné des préservatifs aux groupes circoncis et au groupe non circoncis, on s’est juste penché sur les statistiques finales... sans se demander si les volontaires pour la circoncision, du fait de leur démarche volontaire, n’étaient pas, à la base, plus susceptibles d’utiliser le préservatif que les non-volontaires... Bref, on a affaire à une étude faible en valeur probante, du fait de son insuffisance méthodologique.
De plus, dans la même logique, on pourrait aussi bien proposer de reboucher le nombril (un nid à microbes) ; et puis se couper les doigts (qui portent des germes en bien plus grand nombre que la bouche). L’hygiénisme à l’américaine est d’autant plus ridicule qu’il s’exerce à géométrie variable.
Une étude sérieuse aurait aussi dû prendre en compte, par exemple, les septicémies entraînées par des circoncisions faites dans des conditions hygiéniques déplorables, ce qui est souvent le cas. On pourrait encore parler des cironcisions mal faites qui endommagent le système urinaire...
Voici un passage d’un intéressant article du Figaro :
« De nombreux risques éthiques.
Certes, certaines extrapolations font état d’une diminution de 2 millions des nouvelles infections et de 300 000 du nombre des décès dans les dix prochaines années, du fait de la diffusion d’une telle mesure. Mais ces modélisations ne tiennent pas compte de la vie sexuelle réelle des individus. En Ouganda, à Rakai, les hommes nouvellement circoncis ont augmenté la fréquence de leurs rapports dans l’année suivant l’intervention, selon une étude récente.
En outre ,“la systématisation d’un tel acte comporte de nombreux risques éthiques”, met en garde le CNS. La circoncision n’étant pas souhaitable pour les hommes déjà infectés, il faudra donc leur proposer un dépistage avant. Avec le risque d’induire des campagnes de test obligatoire. Et de provoquer leur rejet dans les populations qui redouteront d’être stigmatisées.
Autre argument, la promotion de la circoncision masculine pour des raisons médicales et non pour des raisons rituelles pourrait fragiliser la politique de lutte contre l’excision féminine. Et, dans le cadre de rapports sexuels entre hommes, aucune recherche n’a démontré qu’elle diminue les risques, contrairement aux affirmations de certains sites. Plus globalement, dans les pays où le manque de personnel médical est déjà un frein à l’accès aux traitements, “il semble difficile d’ajouter la charge supplémentaire qui consisterait à circoncire plusieurs millions de personnes”, pointe le CNS, qui redoute que l’apologie de cette mesure ne brouille les messages de prévention déjà existants. Avec paradoxalement, une montée en puissance des contaminations... »
Rappelons enfin que la circoncision est remboursée par la sécurité sociale. De fait, rien de plus simple que de faire contribuer la solidarité nationale à une pratique religieuse en invoquant faussement un prétexte médical (quid de la Loi de 1905 de la « séparation des Eglises et de l’Etat » ?). Et personne ne parle de la douleur de l’enfant. Si la circoncision médicalisée non-consentie est une mutilation, la circoncision rituelle, sans anesthésie est en plus une violence faite aux enfants. Que dirait-on si on scarifiait un nourrisson ?
L’insuffisance du point de vue des intéressés : les femmes excisées ne s’estiment pas mutilées
La plupart des femmes africaines excisées ne considèrent pas l’excision comme une mutilation... puisqu’elles la reproduisent elles-mêmes sur leurs propres filles. Ce n’est pas l’avis de celui qui opère, mais de celui qui subit, qui doit primer, du moins quant à l’appréciation de l’une et l’autre de ces pratiques communautaires dans le Droit français.
Du reste, les victimes peuvent difficilement appréhender la chose comme une mutilation quand tout le monde autour de soi a subi le même traitement. Il n’en demeure pas moins que c’est intervenir de manière extrêmement invasive sur le corps de l’autre. Le fait que la mutilation soit socialement admise ne remet pas pour autant en cause son caractère intrinsèque ; ou bien, si le fait qu’elle soit socialement admise ailleurs la légitime, le fait qu’elle soit contraire à nos mœurs devrait autoriser à l’interdire sur le territoire de la République, du moins quand elle est infligée à de jeunes enfants, encore une fois, incapables de donner leur consentement éclairé à cette modification corporelle irréversible. Les femmes-girafes ne sont pas mutilées, du point de vue des populations qui perpétuent cette pratique...
Une objection : « Dire que les femmes excisées ne pensent pas qu’elles sont mutilées est de l’ignorance et de l’antiféminisme, dira-t-on. Elles le reproduisent sous le fait d’un manque d’éducation et de la pression masculine de sociétés machistes. En revanche la circoncision est pratiquée non seulement dans des milieux pauvres et peu éduqués mais aussi et surtout dans des milieux parfaitement civilisés et médicalement. L’ultra-majorité des garçons américains sont circoncis à la naissance et de nombreux intellectuels circoncis seraient tout à fait capables de dénoncer une mutilation s’ils pensaient être mutilés. »
Il n’est pas dit qu’un plus haut niveau d’instruction garantisse contre la névrose ni contre la propension à trouver naturel ce dont on a été la victime, surtout de la part de ses parents pour qui, dans la plupart des cas, on a de l’affection. Par ailleurs, l’objection insinue que l’excision ne se pratique que chez des populations arriérées... ce qui est loin d’être le cas ! Et, dans la catégorie des arguments « lili-bobos », s’il y a « antiféminisme » à faire observer que les femmes excisées ne s’estiment pas mutilées, n’y a-t-il pas « racisme » à justifier la circoncision par le fait qu’elle se pratique aussi dans des milieux « civilisés » (pour exprimer la pensée implicitement néo-colonialiste, quoique apparemment « relativiste culturelle », de contradicteur). Enfin, le fait que la circoncision se trouverait aussi dans des milieux cultivés ne change évidemment rien à l’affaire. Il y a aussi des personnes éminemment instruites qui brutalisent leurs enfants avec la meilleure conscience du monde : en somme, être instruit et être éduqué, ce n’est pas la même chose ; il faut être naïf pour croire aux « Lumières » au point d’imaginer que le progrès moral soit mécaniquement entraîné par le progrès des techniques.
Pour nous, en dernière analyse, il s’agit bien du sentiment d’avoir été mutilé, dont seule la victime peut être juge, sans aller bien sûr jusqu’à permettre aux enfants de porter plainte contre leurs parents pour des choses qui objectivement ne peuvent guère être considérés comme préjudice subi. Ma position n’est ni l’interdiction absolue de la circoncision des enfants mineurs sans nécessité médicale, ni la pleine liberté du côté des parents de modifier à leur convenance et selon leurs croyances le corps de leur enfant : elle consiste dans la reconnaissance du droit pour les « patients » à porter plainte contre ceux qui les auraient ainsi mutilés.
On dira que cette proposition est de nature à détruire la famille en créant une opposition violente entre parents et enfants. Mais que dirait-on d’une telle réponse, si elle venait par exemple d’un partisan de la pédophilie incestueuse ou de la maltraitance des enfants (« Je l’ai fait, il est à moi, j’en fais ce que je veux… ») ? Est-ce détruire la famille que poser des limites aux droits des parents sur leurs enfants, surtout quand on laisse l’initiative aux enfants (dans le cadre d’une loi qui permettrait de justes plaintes, mais empêcherait les procédures abusives) d’exprimer ainsi leur mécontentement légitime ?
« La critique de la circoncision est antisémite »…
Autre objection spécieuse : « Les pourfendeurs de la circoncision ont souvent été et sont souvent encore des gens ayant des idées extrémistes. Elles sont souvent raccordées à du racisme et de l’antisémitisme au sens large (Juifs et Arabes). »
Les pourfendeurs, pourrait-on se demander, sont-ils d’abord ceux qui pourfendent les idées, ou ceux qui pourfendent les corps ?
Mais, pour aller au fond des choses sans se piquer de bel esprit, on voit bien qu’il y a là un argument purement ad hominem : « Ceux qui défendent l’idée sont méchants, donc l’idée est mauvaise ». Hélas, il devait arriver parfois même à Hitler ou à Staline de penser que 2+2=4, et l’on ne s’avise guère de dénoncer ceux qui pensent comme eux sur ce chapitre d’être complices des « totalitarismes » (soit dit pour reprendre à titre purement ironique cette catégorie éminemment mal faite).
La question n’est pas « qui ? », mais « quoi ? », et surtout de ne pas déplacer la discussion sur le terrain de la persécution des communautés quand il s’agit de la mutilation des individus. Ce n’est pas aimer l’homme Juif ou Musulman que de lui interdire d’être propriétaire de son corps comme un autre, et c’est de cela seul qu’il est question.
Ce qui est vraiment fascinant, c’est de voir comment une prise de position élémentaire en faveur de la libre disposition de son propre corps par l’individu est stigmatisée comme une proposition raciste… Et cela même par des gens qui trouvent absolument indiscutable la revendication féministe de l’avortement libre au nom précisément du libre droit pour la femme de disposer de son propre corps. Attention, que l’on ne me fasse pas dire que je suis anti-avortement, ce n’est pas la question ici : je m’amuse juste des indignations à géométrie variable, qui n’ont aucun scrupule à faire du même principe, quand il est appliqué à des enfants qui n’ont rien demandé à personne, une idée raciste, et quand on l’applique à des femmes adultes quelquefois irresponsables, une idée progressiste. « Français, encore un effort, si vous voulez être vraiment républicains », comme nous y invite Sade dans un texte impayable de La Philosophie dans le boudoir…
Circoncision et castration symbolique, ou : d’une synthèse paradoxale de la filiation et de sa négation…
On pourrait parler de l’orthodontie systématique, à titre de comparaison, ou de toute autre pratique orthopédique (voir la gravure placée en tête du Surveiller et Punir de Foucault, qui est peut-être son seul livre vraiment bon). C’est évidemment plus neutre et cela ne soulèverait pas les mêmes objections. Mais c’est un bon exemple d’un dispositif évidemment plutôt positif en soi (tout le monde préfère avoir les dents à peu près bien rangées), mais qui est tout de même aussi un vecteur de transmission d’angoisses parentales et une sorte d’ingérence bizarre dans le corps de l’enfant… En fait, au fond, c’est cela qui m’intéresse dans cette affaire : qu’est-ce qui passe — psychologiquement, mentalement, spirituellement — avec la circoncision religieuse ? Transmission, passage de la « Loi » (les textes bibliques en fond effectivement le sceau de l’Alliance), héritage spirituel au père au fils, ou aliénation, mutilation symbolique ?…
Voici, pour ce qui concerne le Judaïsme (je n’ai pas, à cette étape, trouvé un texte équivalent du côté musulman) ce que dit Maimonide (1135-1204, auteur très important de la pensée juive médiévale) sur la circoncision dans son Guide des Egarés (III, 49, p. 606 de la trad. fr., le passage est long, je n’en donne qu’un morceau) :
« Je crois que l’un des motifs de la circoncision, c’est de diminuer la cohabitation et d’affaiblir l’organe , afin d’en restreindre l’action et de le laisser en repos le plus possible. (…)
Ce précepte n’a point pour but de suppléer à une imperfection physique ; il ne s’agit, au contraire, que de remédier à une imperfection morale. LE VÉRITABLE BUT, C’EST LA DOULEUR CORPORELLE À INFLIGER À CE MEMBRE et qui ne dérange en rien les fonctions nécessaires pour la conservation de l’individu, ni ne détruit la procréation, MAIS QUI DIMINUE LA PASSION ET LA TROP GRANDE CONCUPISCENCE. Que la circoncision affaiblisse la concupiscence ET DIMINUE QUELQUEFOIS LA VOLUPTÉ, C’EST UNE CHOSE DONT ON NE PEUT PAS DOUTER ; CAR SI, DÈS SA NAISSANCE, ON FAIT SAIGNER CE MEMBRE EN LUI ÔTANT SA COUVERTURE, IL SERA INDUBITABLEMENT AFFAIBLI.
Les Docteurs ont dit expressément : “La femme qui s’est livrée à l’amour avec un incirconcis peut difficilement se séparer de lui” (Berechit Rabba 80) ; c’est, selon moi, le motif le plus important de la circoncision. Et qui a donc le premier pratiqué cet acte ? N’est-ce pas Abraham, si renommé pour sa chasteté ? ».
Certes, il s’agit d’un vieux texte du Moyen Age et je veux bien admettre, ou du moins laisser hors du débat, l’idée que la circoncision ne diminue peut-être pas le plaisir sexuel, contrairement à l’avis de ce savant auteur. Mais ce qui est important, c’est de montrer par cette citation que, selon les Docteurs de la Religion Juive, la circoncision est bien, disons, une castration symbolique liée à la réprobation du plaisir sexuel, exactement… comme l’excision chez les peuples qui la pratiquent !
On a là une curieuse construction, qui garantit la filiation (« être fils », et donc pouvoir un jour « être père ») par une castration symbolique. Paradoxe qui aurait de quoi réjouir les psychanalystes, qui y ont d’ailleurs certainement déjà pensé…
Le fond du problème : de la transmission ou l’inscription de la Loi dans les corps
Bien sûr, (1) les parents font ce qu’ils peuvent. Comme le dit à peu près Spinoza, « tout être est aussi parfait qu’il le peut être dans l’instant considéré » (tous les reproches que l’on fait présupposent à tort que la personne incriminée aurait pu faire autre chose, c’est-à-dire être autre qu’elle n’était au moment des faits). (2) Je suis également conscient aussi des dangers de l’« hyper-judiciarisation » des rapports sociaux. Bref, j’ai outré ma pensée pour faire réfléchir.
Au fond, ce qui nous intéresse, pour donner plus de champ au débat, c’est la question de la transmission (culturelle et matérielle). Je n’ai en fait parlé de circoncision qu’à partir de cette préoccupation : de quelle manière quelque chose passe de génération en génération, y compris à travers une forme de violence (physique ou psychologique).
La circoncision (dans un cadre religieux), c’est l’inscription de la Loi (j’allais dire : de l’Image du Père…) dans le corps du sujet… C’est la filiation culturelle inscrite dans la chair la plus intime… Au fond, c’est la continuation de toutes les « marques sur le corps » des sociétés les plus archaïques (tatouages, infibulations, scarifications…) qui se font au moment du rite de passage et marquent l’insertion définitive de l’individu dans son groupe culturel… C’est Nietzsche qui, sans y penser (il avait en tête surtout les châtiments monstrueux prévus par la loi dans les époques anciennes) a donné dans La Généalogie de la Morale les concepts permettant de penser cette inscription de la loi dans les corps ; et c’est Deleuze qui a eu la finesse de le percevoir, en rapprochant le texte de Nietzsche à la fois des découvertes des ethnologues et d’une nouvelle passionnante de Kafka, Dans la colonie pénitentiaire, où la mise à mort du condamné se fait au moyen d’une machine qui inscrit la loi dans le corps du patient.
Mon souci est celui-ci : il n’y a plus de pères — et il n’y a plus de fils parce qu’il n’y a plus de pères — et par là il n’y a plus de tradition, et cela en partie à cause du caractère central de l’individu dans le Droit (et la culture) post-révolutionnaire et en partie à cause de la décomposition sociale et morale intrinsèquement liée au déploiement du mode de production capitaliste. Du reste, c’est à mon avis l’explication principale de la raison pour laquelle nombre de Français d’aujourd’hui se tournent, par exemple, vers le bouddhisme tibétain : au-delà de l’effet de mode purement « bobo », cela exprime le besoin sincère d’un ré-enracinement dans de nouvelles filiations, maintenues intactes dans des sociétés archaïques, quand on n’a plus de pères, et que le père — ou surtout les mères féministes — se sont déchaînés pour couper la filiation et détruire, pour leurs fils, la possibilité d’« être pères ». Ce qui est d’autant plus effrayant que Lacan, par exemple, dans le Séminaire sur la psychose, explique quelque part la folie par « le manque d’un signifiant — le signifiant être père ».
Je ne propose évidemment pas de revenir à une pensée excessivement archaïque des « corps intermédiaires » au sens de Maurras ou des « communautés » au sens du communautarisme actuel — deux constructions dans lesquelles l’individu est à bien des égards dépossédé de nombre de ses droits en étant réduit au rôle de simple membre d’un groupe culturel et social (même s’il se prend au jeu pervers de la revendication de droits communautaires). Je cherche, bien plutôt, la synthèse de la liberté individuelle et de la transmission sans laquelle, pour citer encore une fois Lacan, « les non-dupes errent… ».
En fait, le vrai fond de cet article, c’est bien la question de la transmission et de la filiation :
(1) On ne peut devenir un adulte au plein sens du terme sans hériter, symboliquement, d’une tradition dans laquelle, qu’on le veuille ou non, on s’enracine. Sans cela, on a des individus démoralisés et désorientés : libertarisme dépressif du petit consommateur français. Et, à cet égard, supériorité de force des traditions qui ne craignent pas de « marquer la Loi dans les corps ».
(2) Mais, dans bien des cas, les modalités de cette transmission sont aliénantes, violentes, peut-être au point d’empêcher à jamais l’individu de devenir un adulte capable de vivre debout. C’est peut-être de ce côté-là que se trouve la régression tribaliste et toutes les formes de racisme et de vision réactionnaire de la terre et des racines dont les sionistes enragés sont le meilleur exemple que l’on ait sous les yeux.
(3) D’où la question : « Comment remettre les individus debout, leur permettre de vivre fiers et libres, c’est-à-dire rétablir filiations et transmissions et l’enracinement nécessaire à l’amour de soi et à l’épanouissement, sans leur faire perdre leur liberté ni leur raison sous la forme d’un discours communautaire complètement archaïque avec ses mutilations physiques (rarement, chez les peuples modernes qui ont abandonné le “marquage sur le corps” propre aux peuples archaïques) ou mentales (plus souvent, de nos jours) ? »
Pour ce qui concerne les traditions majoritaires des gens ordinaires d’ici, mettons : comment fais-je pour assumer mon enracinement dans l’identité française comme un facteur d’épanouissement (libération, « augmentation de la puissance d’agir et de sentir et de penser », comme dit Spinoza) et non de racornissement tribal ? Certes la circoncision des enfants est choquante ; mais en France c’est une pratique minoritaire. Donc, ce qui me préoccupe plus, c’est ceci (déjà bien pensé par Hegel, contre Rousseau), que toute éducation a une dimension aliénante, mais que l’absence de transmission (éducation soixante-huitarde) bloque encore plus le développement de l’individu…
Il me semble qu’il faudrait chercher des éléments de solution dans la lecture de Barrès, qui, parti d’un individualisme forcené (« égotisme », comme il l’appelle lui-même), voué au « culte du Moi », en est arrivé au nationalisme intégral, non comme négation du Moi ou aliénation communautaire, mais comme découverte du fait que la seule possibilité d’épanouissement total de la « puissance d’agir, de sentir et de penser » de l’individu (pour parler comme Spinoza) se trouve dans son enracinement, ou dans son ré-enracinement, dans le terroir qui lui est naturel.
S.A.
(1)