“Et j’vais vous montrer comment déboîter le programme du FN par la rhétorique et par l’intelligence !”
Les avis sont partagés, quant à l’authenticité de cette vidéo. Si l’on pense que l’auteur de cette diatribe est sincère, alors il est effectivement très ignorant, pour ne pas dire plus, et surtout victime de sa vanité : ça, pour devenir célèbre, il va le devenir, mais pas exactement comme il l’entendait.
Si c’est un fake, cela ouvre des champs relativement inexplorés dans le domaine de l’humour Internet. Car le troisième degré est rare, surtout en politique, et il est difficile à déconstruire. Ainsi, les deux débiles de La Tour Montparnasse infernale étaient incritiquables, du fait même de leur puérilité : « Si tu ne ris pas avec nous, tu es exclu du rire ». Un humour pas si facile à incarner, d’ailleurs.
- Extrait de La Tour Montparnasse infernale (2001)
Eric et Ramzy jouaient aux « plus cons que nous c’est pas possible », et ça a bien fonctionné. Depuis, le duo s’est séparé, et Eric, véritable moteur créatif de l’association, a joué et réalisé une série novatrice en matière de recherche fondamentale humoristique : Platane. Un mélange de vie personnelle et de fiction, tout simplement ce qui s’est fait de mieux en déconne télévisuelle mainstream ces dernières années, depuis les interventions de Berroyer sur Canal+, avec sa secrétaire au téléphone. Ça date, voyez-vous.
Le troisième degré, sous ses airs faciles, est très casse–gueule : il faut en permanence maintenir le même niveau de crétinerie, c’est-à-dire, au fond, faire l’enfant. Redevenir un enfant, tiens, comme le préconisait le Christ. Beaucoup se sont essayés au genre : Omar & Fred n’avaient pas le degré de poésie suffisante, et pour le coup, faisaient de la daube déguisée en troisième degré. Et pas du troisième degré déguisé en daube. Grosse nuance.
Mais aujourd’hui, pour les créateurs en herbe, plus besoin de passer sous les Fourches Caudines des chercheurs de « talents » et autres producteurs de Canal+, qui avaient le monopole de l’humour sur petit écran.
La baisse de niveau de la chaîne cryptée, associée à l’explosion créative du Net, a rendu caduques ces rois du pétrole. Même s’ils ont racheté à coups de millions des « fermes » de youtubeurs confirmés, avec plus ou moins de succès. Mais quand on rachète, c’est qu’on ne sait plus créer. N’importe qui pouvant faire sa vidéo marrante, l’écrémage est énorme. Les humoristes diffusés sur Youtube ou Dailymotion commencent très tôt, à l’image de Kev Adams, et sont en général très mauvais. Mais comme leur public est généralement aussi mauvais qu’eux, ça ne pose aucun problème. Pas la peine de donner de la confiture aux gorets.
Il y en a pour tous les goûts, et ça ne se discute pas. L’humoriste devient générationnel, ethnique, sur-spécialisé : il y a le spécialiste du tuto de drague, de sexe, de vie quotidienne, de lycée… Les idées sont courtes, les dents longues. On se vend littéralement à la pub, ou à des diffuseurs mainstream complètement dépassés, ne sachant pas juger la qualité, ou s’en foutant, du moment que le public « jeune » suit, avec les annonceurs à leur cul. La télé a perdu les jeunes, et seul l’humour aurait pu les lui ramener. Mais comme les producteurs et responsables des programmes dits « jeunesse » ne sont pas des lumières, ils mettent beaucoup d’argent sur des tocards, et ça finit en naufrage pour tout le monde : chaîne, humoriste, et public.
Circuit court de l’humour
La démocratisation de l’humour (qui a toujours été démocratique, ou du moins anti-hiérarchique, par définition) mais surtout de ses moyens de diffusion, permet à chacun de devenir drôle, ou presque, et de trouver son public.
Les médiocres font 30 vues, les moyens 3 000, les bons 30 000 : le darwinisme entre en jeu. Il y a ceux qui se remettent en question, qui s’améliorent, passant du statut d’amateur à celui de semi-professionnel, tant au niveau de l’écriture que de la mise en forme. De nouveaux métiers émergent, où la promotion est absente – la viralité faisant office de promotion – et où la scène disparaît. Un business classique est menacé. Le consommateur se rapproche du producteur, c’est le circuit court de l’humour. Pas de pollution publicitaire, people ou autre, pas de soumission à l’idéologie dominante incarnée par les vendeurs de biens culturels, et surtout, pas (trop) de censure. Même si les plus ambitieux savent déjà évacuer les sujets chauds (qu’ils ne maîtrisent d’ailleurs pas), pour se consacrer aux petits tracas du quotidien de leur public : sexualité, bahut, fête. Loin, très loin du surréalisme politique d’un Dieudonné. Car il est bon de rappeler la hiérarchie en la matière, le superprédateur qui trône en haut de la chaîne alimentaire.
Certains youtubeurs de l’humour, souvent plus calculateurs que drôles, devant le succès en ligne de Dieudonné, sont tentés de sauter sur son créneau pour des raisons uniquement commerciales. Peut-être que le grossissement de ces troupes antisystème changera le rapport de forces actuel, entre humoristes alignés et non alignés. Souvent, dans la Nature, les choses évoluent par étapes brutales ou chemins incongrus. Il est possible que demain, si Dieudonné jette l’éponge (pour aller vivre au Cameroun, comme il l’annonce après une dernière tournée), une horde de proto-Dieudonné vienne occuper la place du poids lourd de l’humour français, roi absolu du troisième degré (cet humour qui permet de mélanger subtilement premier et second degrés). Tout serait alors à recommencer, et en cent fois pire, pour les propriétaires et gardiens de la liberté d’expression.
Dieudonné répond ici à Nabilla, qui a lancé « berk, non merci » à son invitation :