Des observateurs internationaux ont été envoyés en Syrie par l’ONU. Officiellement, leur but est de vérifier que le cessez-le-feu promis par Damas soit respecté. En 1999, une autre mission d’observation avait été envoyée au Kosovo par l’OSCE. Loin de s’en tenir à ses objectifs déclarés, celle-ci avait alors précipité la guerre en révélant au public occidental le soi-disant « massacre de Racak », une mise en scène qui a servi de prétexte aux bombardements de l’OTAN.
Octobre 1998. Depuis plusieurs mois, de violents combats opposent les forces de l’ordre serbo-yougoslaves à une guérilla albanaise du nom de l’« UCK ». Cette dernière réclame l’indépendance du Kosovo, province du sud de la Serbie. Les grands médias soutiennent unanimement la guérilla albanaise et accusent les Serbes de massacres, nettoyage ethnique, voire génocide.
Sous la pression internationale, le président yougoslave Slobodan Milosevic accepte l’envoi d’une mission d’observation de l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) et retire du Kosovo un partie importante de ses troupes. Des observateurs internationaux sont déployés sur le terrain d’octobre 1998 à mars 1999, soit quelques jours avant le début des bombardements de l’OTAN (1).
Le 15 janvier, le chef de la mission d’observation – un certain William Walker – tient une conférence de presse dans le village de Racak : 45 « civils innocents » viennent d’être retrouvés morts « d’une balle dans la tête ou dans la nuque ». Walker évoque la présence de « mutilations » sur les corps et qualifie la scène de « crime contre l’humanité (2) ». Toute la presse s’empare de l’événement, nouvelle preuve de la barbarie des Serbes. Libération dénonce en « une » « L’impunité des massacreurs ».
Le Figaro affirme que les victimes sont de simples « paysans albanais » et que leur « extermination » constitue un « acte de barbarie gratuit ». Le Monde écrit en première page : « Les victimes ont été tuées d’une balle dans la tête, tirée à bout portant. » Dans son éditorial, la rédaction du journal prévient : « Le massacre [...] fait partie de la stratégie grand-serbe. Intégralement, sciemment. [...] Depuis la Bosnie, cette "politique" a un nom : l’épuration ethnique (3). »
Deux mois plus tard, l’OTAN entame sa campagne de bombardements contre la Yougoslavie. Dans son rapport, la Mission d’observation de l’OSCE note : « Le massacre de Racak a provoqué un tollé international et a changé les perspectives de la communauté internationale vis-à-vis des autorités serbes et yougoslaves [...] Les meurtres ont été perçus comme un tournant décisif en ce qui concerne les efforts déployés pour résoudre pacifiquement le conflit [...] »(4). En d’autres termes, Racak a assuré à l’OTAN le soutien de l’opinion publique pour une opération militaire.
Une réussite médiatique totale, car il sera démontré après la guerre que ce « massacre » était une mise en scène. En effet, un rapport d’autopsie a révélé que la quasi totalité des corps retrouvés étaient ceux d’hommes en âge de se battre ; que ceux-ci avaient été tués de loin ; que les balles venaient de directions différentes, réfutant l’idée d’un peloton d’exécution ; qu’enfin les prétendues mutilations étaient des morsures post mortem dues à des animaux sauvages (5).
Bref, ces résultats démentaient catégoriquement les propos de Walker selon lesquels les victimes de Racak étaient des « civils tués d’une balle dans la tête ». Ils allaient au contraire dans le sens de la version officielle serbe, qui affirmait que les cadavres étaient ceux de membres de l’UCK morts lors d’un affrontement avec les forces de l’ordre. Précisons que l’UCK n’était pas composée de « vertueux démocrates », comme l’ont raconté les grands médias à l’époque.
Classée sur la liste des organisations terroristes par les USA avant la guerre, cette guérilla avait instauré au Kosovo un régime de terreur, assassinant ses opposants, y compris les Albanais modérés. Comme il fut démontré par la suite, elle se finançait en capturant des Serbes qu’elle tuait pour revendre leurs organes au marché noir (6). Aussi, pour beaucoup de Yougoslaves, une réaction de l’Etat était nécessaire et légitime.
Mais, dira-t-on, même si Racak était une mise en scène, et même si l’UCK était une organisation terroriste, les Serbes n’ont-ils pas été responsables de la mort de civils innocents ? N’ont-ils pas mis en place, comme l’évoquaient les médias à l’époque, un « nettoyage ethnique », un « génocide » ? La réponse se trouve dans l’Acte d’Accusation du Tribunal Pénal International (TPIY) inculpant Milosevic de crime contre l’humanité (7).
Pour toute la période précédant l’entrée en guerre de l’OTAN, cet acte ne mentionne comme faits répréhensibles qu’une seul chose : le massacre de Racak. Tous les autres chefs d’accusation sont postérieurs au déclenchement des bombardements. Autrement dit, avoir parlé de « nettoyage ethnique » ou de « génocide » pour justifier la guerre du Kosovo était totalement infondé. D’ailleurs, ces deux termes sont absents de l’Acte d’Accusation du TPIY, y compris pour la période postérieure au début des frappes.
C’est donc bien grâce à un médiamensonge que l’OTAN est entrée en guerre contre la Yougoslavie en 1999. N’ayant aucune preuve du « génocide » auquel elle prétendait vouloir mettre un terme, elle en a créé une : le massacre de Racak. Pour la cause, des soldats albanais ont été maquillés en civils innocents. Et cette mise en scène fut l’œuvre de la « Mission d’observation » de l’OSCE qui, comme on l’apprit par la suite, était en fait composée d’agents de la CIA (8).
Que faut-il donc attendre des observateurs déployés aujourd’hui par l’ONU en Syrie ? Malheureusement pas grand-chose : si leurs analyses contredisent la version officielle des événements, elles seront jugées partiales et non valables, ou seront tout simplement passées sous silence. Si au contraire elles fournissent des éléments permettant d’accabler Bachar El-Assad, elles feront la « une » et seront considérées d’une objectivité imparable.
Paradoxalement, la mission supposée contrôler le cessez-le-feu syrien pourrait servir d’étincelle à une nouvelle guerre occidentale. Il ne suffirait pour cela que d’un massacre bien médiatisé. Réel ou inventé, peu importe pour nos dirigeants, du moment que cela leur permette d’apporter leur « solution » au conflit : une solution qui, comme au Kosovo, en Afghanistan, en Irak et en Libye, serait encore une fois pire que le mal que l’on prétend combattre.
(1) Le Monde, 14 et 29 octobre 1998 ; 21/22 mars 1999.
(2) Libération, 18 janvier 1999.
(3) Journaux datés des 18 et 19 janvier.
(4) OSCE Kosovo Verification Mission, KOSOVO/KOSOVA As Seen, As Told. An Analysis of the Human Rights Findings of the OSCE Kosovo Verification Mission. October 1998 to June 1999, p. 512. Disponible sur internet.
(5) Lalu K., Penttilä A. et Rainio J., « Independent forensic autopsies in an armed conflict : investigation of the victims from Racak, Kosovo », Forensic Science International, 116, pp. 171-185.
(6) Voir le rapport de la mission du Conseil de l’Europe : Marty D. (rapporteur), Traitement inhumain de personnes et trafic illicite d’organes humains au Kosovo, AS/Jur (2010) 46, Commission des questions juridiques et des droits de l’homme, 12 décembre 2010.
(7) TPIY, Acte d’accusation de Slobodan Milosevic, fait par le Procureur Louise Arbour à La Haye le 22 mai 1999, points 97 et 98. Disponible sur internet. [viii] Laverty A. et Walker T., « CIA aided Kosovo Guerilla Army », The Sunday Times, 12 mars 2000, p. 28.