C’est fait. Le candidat républicain reconnaissait sa défaite à 7 heures du matin, heure française. Battu avec un écart très faible en nombre de voix – quelques centaines de milliers au mieux - la démocratie indirecte (à étages successifs) des États-Unis qui opère à travers des « grands électeurs », aura été fatale au candidat de Tel-Aviv. L’Ohio perdu, sauve qui peut, l’élection est jouée (1).
Pourtant ce n’est pas faute à M. Netanyahou qui avait lundi soir, dans les ultimes derniers instants de l’affrontement électoral, usé de sa toute puissante influence en faveur du candidat républicain… S’adressant non seulement aux Juifs d’Amérique, mais aussi et surtout aux trente à quarante millions de sionistes judéo-protestants (sur un ensemble d’environ 90 millions de chrétiens évangélistes), il avait brandi une nouvelle fois la menace de la guerre. Las, rien n’y a fait. Les électorats noirs (afro-américains), hispaniques, « jeunes », féministes, gays et transgenres ont fait bloc et barré le passage au mormon ultra conservateur inconditionnellement pro-israélien, Mitt Romney.
L’Épée de Damoclès
Lundi soir, à quelques heures du scrutin, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, jetait en effet tout son poids dans la balance électorale, déclarant ubi et orbi dans un entretien télévisé diffusé en Israël, « Je suis bien sûr prêt, s’il le faut, à presser sur le bouton… et à lancer une attaque conventionnelle contre les sites nucléaires iraniens » [AFP 6/11]. Le Premier ministre hébreu répondait à la journaliste Ilana Dayan qui l’interrogeait : « êtes-vous vraiment prêt à presser sur le bouton ? » pour attaquer l’Iran. Réponse : « J’espère que ce ne sera pas le cas. En fin de compte, la responsabilité repose sur le Premier ministre, et tant que je serai Premier ministre, l’Iran n’aura pas l’arme nucléaire. S’il n’y a pas d’autre moyen, Israël est prêt à agir ». (2).
Autant dire que Barack Hussein Obama - réélu quasiment sans aucune marge de manœuvre et de ce fait condamné à composer avec l’opposition républicaine – va devoir vivre et diriger les Affaires de l’Union avec suspendue au-dessus de sa tête l’Épée de Damoclès de la menace judéenne. Sérieuse hypothèse - l’éventualité d’une guerre contre l’Iran à la seule initiative de Tel-Aviv - autant qu’hypothèque qui pèsera de façon démesurée sur les décisions de la Maison-Blanche.
Certes les esprits forts ne manqueront pas d’avancer que les Israéliens ne peuvent rien sans l’appui stratégique et logistique des États-Unis. Peut-être ? Mais rien aujourd’hui n’est moins sûr. Dans la nuit du 24 au 25 octobre [21 h GMT selon l’AFP] quatre aéronefs non identifiés bombardaient et détruisaient une usine d’armements – des matériels sans doute d’origine iraniennes, éventuellement des drones d’attaque - à Yarmouk au Sud de Khartoum, capitale du Soudan (3).
S’il s’agit réellement d’appareils ayant décollé du territoire hébreu – et qui donc ont dû recourir à des ravitaillements en vol, cela si l’on exclut d’entrée de jeu l’utilisation d’une base ou d’un porte-avions américains – ils auront parcouru quelque 1 900 km avant d’atteindre leur objectif. Une opération qui pourrait s’avérer être tout autant un vol d’entraînement pour d’éventuelles frappes en profondeur sur le territoire iranien, qu’un message particulièrement fort envoyé à qui de droit - à Téhéran, Washington, Moscou, Pékin et Bruxelles - quant à la capacité et à la détermination de Tel-Aviv d’agir à sa seule initiative… si bon lui semble. C’est cela qui fallait lire et entendre en filigrane dans les propos de M. Netanyahou lundi soir et pas seulement les paroles verbales audibles par un grand public occidental soigneusement et démocratiquement tenu à l’écart des dossiers et des enjeux. Sans l’indispensable pièce du puzzle que représentait la destruction de Yarmouk quelques jours plus tôt, les propos du leader juif pouvait apparaître comme un nième et lassant radotage sur un thème par trop ressassé.
Wag dhe dog… la queue remue le chien
Notons que l’intervention du Premier Ministre israélien à la veille d’un scrutin qui se présentait a priori comme devant être très serré, revêt quelque chose d’éminemment incongru… d’autant qu’il s’agissait d’une vraie première. L’on voit bien ici – in situ - qui entend régler les Affaires de l’Union nord-américaine – wag dhe dog, c’est la queue remue le chien et non le contraire – en s’ingérant si nécessaire dans les Affaires d’État. Intervention qui ne choque apparemment pas et qui est évidemment passée inaperçue de la grande presse… son premier rôle n’est-il pas de ne rien voir d’essentiel ? Reste qu’il ne s’agit en aucun cas de croire qu’Obama conduira dans les quatre années de son second et dernier mandat une politique qui se permettrait d’ignorer les desiderata de la puissance nucléaire et morale israélienne. Non. Le seul risque pour le Likoud, est qu’il se montre désormais moins souple, moins prévenant, moins facilement « gérable » que ne l’aurait été Romney par conviction personnelle et en remboursement de sa dette à l’égard de ses sponsors de l’ombre.
Des inconnues au chapitre international
Dans quelques jours l’Autorité palestinienne présentera à l’Assemblée générale des Nations Unies une demande de reconnaissance pour un État palestinien à naître. État qui ne pourra pas avoir d’existence autre que formelle sans avoir été avalisé par le Conseil de sécurité. Ce qui ne risque pas d’arriver en raison du véto automatique des anglo-américains. Une telle reconnaissance de principe par l’Assemblée générale où une majorité de membres s’y déclarent favorables, constituerait cependant un dur caillou dans la godasse israélienne. Un écueil que Tel-Aviv doit éviter à tout prix sous peine de voir son influence diminuer un peu plus au Proche-Orient (où il prétend plus que jamais imposer sa loi) et dans des opinions publiques occidentales de moins en moins dupes des sempiternelles manipulations d’un État expert toutes catégories dans le mensonge, le terrorisme et le trucage.
Au dossier palestinien s’ajoute évidemment ceux, brûlants, de la Syrie et de l’Iran. La Syrie étant aujourd’hui le front chaud d’une guerre indirecte, mais déjà plus ou moins mondiale en ce qu’elle est le théâtre d’un affrontement à peine feutré entre Bloc occidentaliste (É-U/UE) et Bloc eurasiatique (Chine et Russie)… M. Barack Hussein Obama a donc du pain sur la planche et il lui faudra louvoyer ferme s’il veut maintenir l’option choisie du « smart power » – la diplomatie armée – qu’il a faite sienne sous l’influence de Zbigniew Brezinski… mais également sur les conseils avisés de ses chefs d’état-major et des Services de renseignement beaucoup plus réservés sur la question que les néoconservateurs et Likoudniki de Washington. Après tout, la doctrine américaine, conséquence des désastres militaires irakien et afghan, a évolué : la superpuissance a dû rogner et réduire ses ambitions à un seul « champ de bataille » et non plus deux, simultanés, comme précédemment.
Israël en dernier ressort
Pivot et pilier de la politique extérieure américaine, les positions démocrates ou républicaines à l’égard de l’État hébreu sont et resteront interchangeables… « Si Israël est attaqué, nous serons derrière lui, pas seulement diplomatiquement, pas seulement culturellement, mais aussi militairement » déclarait encore récemment Mitt Romney, démagogue, adepte du créationniste politique, qui désignait insolemment – mais pas du tout inconsidérément – Jérusalem comme capitale éternelle d’Israël… où il était allé se faire adouber fin juillet, en pleine campagne électorale, toujours par le susnommé Benjamin Netanyahou.
Pour sa part, Barack Hussein Obama, la main sur le cœur jurait ses grands dieux : « Je serai aux côtés d’Israël s’il est attaqué… Nous ferons tout ce qui est nécessaire pour préserver l’avantage militaire israélien, qu’Israël doit toujours avoir la possibilité de se défendre seul contre toute menace ». Nous le croyons bien volontiers sur parole. N’en demeure pas moins qu’il ne s’est pas rendu une seule fois dans l’État hébreu depuis son entrée en fonction en janvier 2009 ses relations avec Bibi n’étant pas – paraît-il - au beau fixe… Nous voilà cependant prévenus : que Tsahal monte une provocation, un incident, un attentat comme elle en possède l’art et la manière, et Washington se verra ou se croira obligé de voler aussitôt, mécaniquement, à son secours. Au pire, de lui emboîter le pas. Avec Romney les choses auraient pu aller plus vite. Avec Obama nous devrons veiller au grain pour tenter – s’il se peut - de voir d’où le coup pourrait venir, où la mèche de la machine infernale ne fera pas long feu. Cela au moment où les attentats connaissent un regain d’intensité en Irak, en Syrie, au Liban… et au Bahreïn, autre foyer secondaire possiblement détonnant à surveiller de près !
(1) On verra à ce propos avec le plus vif intérêt l’excellent petit film de l’acteur « libéral » (gauchiste/progressiste au sens américain), George Clooney « Les Marches du Pouvoir » - The Ides of March, les Ides de Mars - sorti il y a tout juste un an, le 7 octobre 2011, quant au rôle déterminant des états charnière, les « swing states », la bataille des primaires se jouant a priori dans l’Ohio.
(2) Selon la chaîne 2 sur laquelle s’exprimait le chef du gouvernement israélien le soir du lundi 5 oct. 2012, ce dernier et son ministre de la Défense, Ehoud Barak, auraient en 2010 donné l’ordre opérationnel de préparer une offensive contre des installations nucléaires iraniennes. Frappes qui ont été annulées au dernier instant en raison de l’opposition conjointe du général Gaby Ashkenazi, à l’époque chef de l’état-major hébreu et de celle du chef du Mossad, Meïr Dagan.
(3) En avril 2011, le Soudan avait déjà imputé à l’État hébreu un raid aérien à Port-Soudan dirigé contre un véhicule où deux personnes avaient trouvé la mort. En janvier 2009, l’Est du Soudan avait subi une première attaque aérienne « étrangère » visant un convoi d’armes.