L’ancien président américain avait mis en place un système d’écoutes pour garder une trace historique de ses conversations. Quelque 340 heures ont été rendues publiques mercredi et montrent l’étau du Watergate se resserrer. Parmi les sujets abordés : la guerre du Vietnam, l’URSS, le scandale du Watergate... mais aussi la haine des juifs et des noirs.
Les 340 heures de bande audio ont été rendues publiques mercredi par les archives nationales. Elles couvrent la période charnière d’avril à juillet 1973, trois mois mouvementés lors desquels la commission d’enquête du Sénat américain sur l’affaire du Watergate accumulait des éléments décisifs contre la présidence qui ont conduit Nixon à devenir le premier et unique président américain à démissionner de ses fonctions, l’année suivante en 1974.
On y découvre ainsi un homme coutumier des jurons. Le 30 avril, Richard Nixon, qui vient de s’adresser à la nation pour répondre du scandale du Watergate, explique ainsi à un de ses conseillers, dont il vient d’annoncer la démission : « Je sais que c’est un moment éprouvant pour toi, Bob, mais merde je ne veux plus jamais aborder ce putain de Watergate, jamais, jamais… »
Dans une conversation début juillet, Richard Nixon se plaint à son chef de cabinet : « le président des États-Unis ne peut pas être malmené par un maudit sénateur sénile ».
Une allusion vindicative au président du comité d’enquête du Watergate, le démocrate Sam Ervin, alors âgé de 76 ans.
On entend aussi Nixon singer la voix des sénateurs qui posent des questions aux témoins sollicités dans l’affaire. Le chef d’État rage contre les personnalités qui ne lui ont pas semblé assez fidèles.
Il veut voir un de ces « traîtres » exclu de toute investiture, un autre est traité de « connard plus que parfait ».
En revanche, deux futurs successeurs à la Maison-Blanche se démarquent par leur prévenance. Ronald Reagan et George Bush Sr appellent Nixon après son intervention du 30 avril. George Bush dit avoir regardé son allocution avec « grande fierté », Nixon lui confie sa frustration vis-à-vis des journalistes : « le peuple américain me comprendra, au diable les commentateurs ».
« Nous sommes tous derrière vous, vous êtes dans nos prières », assure de son côté Reagan, alors gouverneur de Californie. Ce à quoi Nixon répond : « c’est très gentil à vous… Nom de dieu Ronald, nous devons construire une paix mondiale et c’est sur quoi je travaille ! »
Parmi les bandes rendues publiques figure son entretien d’une heure avec le dirigeant soviétique Leonid Brejnev, lors du sommet historique du 18 juin 1973, dans l’intimité du Bureau ovale de la Maison-Blanche.
Après avoir justifié l’absence de son épouse, malade, le Russe remercie son hôte de son invitation dans sa maison personnelle en Californie, la Casa Pacifica.
« Au début, j’avais des doutes sur cette visite », explique Brejnev. Mais « je suis très heureux d’y aller, et je pense que ce symbolisme deviendra réalité ».
« Nous dirigeons les deux pays les plus puissants et, bien que nous ayons naturellement des points de vue différents dans les négociations, il est essentiel que ces deux pays travaillent ensemble, quand c’est possible. Nous pouvons changer le monde », insiste plus tard Nixon.
Les deux hommes apparaissent très à l’aise, comme des amis de longue date, notamment quand Brejnev parle de son petit-fils en train de passer des examens d’entrée à l’université.
Richard Nixon se révèle aussi très impressionné par les Chinois qu’il qualifie de « peuple le plus capable et compétent de la planète ». « La relation sino-américaine est vraiment la clé de la paix dans le monde », estime le président.
Mais ces enregistrements confirment aussi la tendance de Richard Nixon à tenir des propos aux résonances racistes. Le président ne mâche pas ses mots, et imagine des complots partout.
Le 19 avril, a repéré The Atlantic Wire, il décroche son téléphone pour joindre Henry Kissinger, son secrétaire d’Etat.
Nixon craint alors de voir "les juifs" saboter un sommet imminent avec l’URSS, ce qu’il promet de leur faire payer.
"Laissez-moi vous dire Henry, ça va être la pire chose qu’il va arriver aux juifs dans l’histoire américaine". Plus loin il rajoute : "Je vais rejeter la faute sur eux, et je vais le faire publiquement à 9 heures du soir devant 80 millions de personnes". Kissinger, pourtant juif, lui répond : "Je suis entièrement d’accord".
Richard Nixon avait l’habitude d’exprimer son antisémitisme auprès de ses proches collaborateurs. Dans un coup de fil à Robert Ziegler, son porte-parole, il fait part de son désir de virer son avocat Leonard Garment : "Que Dieu maudisse son âme juive !". Le 12 juillet, il discute des futures nominations judiciaires avec son chef d’Etat-major Al Haig : "Pas de juifs, c’est clair ? Nous en avons assez !"
D’autres extraits antisémites avaient été rendus public en 2010, décrites dans le New York Times. "Les juifs ont juste une personnalité très agressive, mordante et exécrable" ; "Le truc, c’est l’insécurité. L’insécurité latente. La plupart des juifs ne sont pas sûrs d’eux. Et c’est pour ça qu’ils ont besoin de prouver des choses".
En 2004, les archives nationales avaient aussi dévoilé de nombreux mémos et transcriptions où l’on avait pu lire les opinions homophobes du président, et ses propos comparant "les nègres" à "des chiens".
Les noirs en prennent encore pour leur grade dans la nouvelle livraison. Dans une réunion du 14 juin 1973, il déclare auprès de sa conseillère Anne Armstrong qu’ils ne peuvent pas diriger la Jamaïque.
"Les noirs en sont incapables. Nulle part, et ils ne seront pas en mesure de le faire avant une centaine d’année, peut-être même pas dans mille... Connaissez-vous un pays noir qui a été bien géré ?"