La fin du mandat de François Chérèque à la CFDT, le 28 novembre 2012, avait donné un aperçu des liens que pouvait entretenir l’élite syndicale avec les cercles de pouvoir. Juste après avoir quitté la tête de la célèbre confédération syndicale, il fut élu président du cercle de réflexion Terra Nova le 12 janvier 2013 [1]. Quelque peu étrange lorsqu’on est censé avoir passé sa vie à défendre les ouvriers et les employés.
Rappelons que ce think tank, selon l’immonde terminologie franglaise, avait avant les dernières élections présidentielles conseillé au parti socialiste de cibler ses propositions sur les bobos et les immigrés et de se détacher de l’électorat populaire, jugé trop rétrograde. Ce troublant passage de la défense des petites gens aux réseaux technocratiques n’est pas nouveau. Son prédécesseur, Nicole Notat, a connu le même type de parcours.
Institutrice de formation, elle adhère à la CFDT (Confédération française démocratique du travail, issue d’une scission de la Confédération fédérale des travailleurs chrétiens) après Mai 68. Elle fait ses armes à la Sgen-CFDT de la Meuse (Syndicat général de l’Éducation nationale) pour finalement en devenir la patronne. Sa carrière connaît une accélération lorsqu’elle devient secrétaire nationale en charge de l’Éducation, puis de l’Emploi et de la Formation professionnelle. Nicole Notat doit sans doute ces postes à l’exigence de parité. Elle a alors 38 ans.
La jeune louve, répondant au doux surnom de « tsarine », est peu appréciée des militants, qui l’assimilent à un apparatchik au tempérament très froid [2]. Trois ans plus tard, Notat est élue à la tête de la CFDT. Parallèlement, elle occupe des fonctions importantes à l’UNEDIC (Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce, organisme paritaire traitant du chômage). Proche de Jacques Delors, elle défend le traité de Maastricht et la monnaie unique.
Lors des manifestations contre la réforme des retraites du Premier ministre Alain Juppé, elle subit de lourdes critiques pour avoir soutenu le gouvernement de droite. Son attitude a entraîné la création du syndicat SUD, composé d’anciens de la CFDT. C’est sûrement son action qui a permis de qualifier la CFDT de syndicat « jaune », adjectif du jargon syndical signifiant traître ou soumis à l’employeur. Il semble d’ailleurs que son successeur Chérèque ait largement suivi les pas de son aînée, notamment sur le dossier des retraites. La récente signature par la CFDT de l’accord national interprofessionnel sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi en date du 11 janvier 2013 illustre à merveille cette évolution [3].
Après son départ de la CFDT précédé d’un discours visant à combattre l’extrême droite, Notat fonde Vigeo, une entreprise de notation sociale et environnementale [4]. Elle a aussi d’autres casquettes : membre du conseil d’orientation du cercle de réflexion En temps réel, ancienne membre de la HALDE, présidente depuis 2011 du club Le Siècle, membre du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe, médiatrice au sein de la SNCF, membre du conseil d’administration de la Coface, membre du conseil de surveillance du Monde et membre du groupe de travail « Promouvoir et valoriser l’entrepreneuriat responsable ». Voici pour exemple quelques autres membres d’En temps réel : Laurent Joffrin, Emmanuel Macron, secrétaire adjoint de l’Élysée, Olivier Nora, président de Grasset et de Fayard, Laure Adler ou encore Pascal Lamy.
Ses nombreux fromages montrent une nouvelle fois les liens très malsains du monde syndical avec les politiques et le grand patronat. Si le syndicalisme européen est sans doute globalement sur une ligne sociale-démocrate, il reste tout de même plus indépendant de l’oligarchie que le syndicalisme français. Le très faible taux de syndicalisation du privé, environ 4 %, s’explique en grande partie par l’absence de nécessité pour le salarié français d’adhérer à l’un des syndicats signataires de la convention de branche pour pouvoir en bénéficier. Récoltant très peu de cotisations syndicales, les syndicats sont tenus de tapiner pour le système politique et patronal au détriment des intérêts des salariés. Mme Nicole Notat en est l’exemple le plus frappant.