- Dessin de Mix & Remix en hommage à Alain Soral, penseur qu’il appréciait, un dessin non publié dans la presse mainstream
Les humoristes de scène ont quasiment tous baissé leur froc depuis l’affaire Dieudonné et la répression qui s’est abattue sur le courageux Breton franco-camerounais. Les dessinateurs d’humour, moins exposés, ont pour certains réussi à poursuivre une œuvrette relativement subversive, grâce au fait que leur audience était réduite. Dès qu’on peut toucher le grand public, surveillance, délation et censure se font plus virulentes.
Ainsi, alors que les comiques de one man show pliaient genou après les autres, sur injonction directe ou indirecte du CRIF, de la LICRA et de leurs relais médiatiques, une bande de dessinateurs entretenait la flamme de la liberté d’expression ou de la mal-pensance, selon le catéchisme officiel. Tout ce qui ne pense pas comme il faut est taxé de mal-pensance. C’est le prix à payer.
Si aujourd’hui tout le monde ou presque en France connaît, apprécie, ou du moins reconnaît le talent de Reiser, le dessin d’humour ne s’est pas arrêté avec sa disparition en 1983. Au contraire, son trait non académique d’apparence facile a décomplexé toute une génération de « crobardeux » (nom donné aux dessinateurs dans le métier). Certains le pompaient allègrement – Chenez dans L’Équipe–, d’autres s’inspiraient de son champ d’expression permettant de déconner sur tout et tout le monde, avec un certain courage éditorial : Vuillemin et son complice Gourio se feront incendier dans les années 80 pour leur Hitler = SS.
On pourrait croire qu’il existe deux races de dessinateurs, les bons et les mauvais, ceux qui savent bien dessiner et les autres. Mais ça, c’était la catégorisation d’antan. Jacques Faizant – l’ancêtre de droite de Plantu –, diffusé dans Le Figaro pendant 40 ans, de 1960 à 1999, symbolise la sage satire politique française. Un humour bourgeois, bienveillant, teinté d’ironie et de patriotisme.
- 1970 : Jacques Faizant ose la Marianne en mini-jupe
Au même moment, un canard sorti de nulle part, mais surtout d’en bas, Hara-Kiri, donne dès 1961 leur chance à des dessinateurs non-conformes, c’est-à-dire pas forcément passés par les Beaux-Arts. Le dessin d’humour change. De conciliant et compatible avec le Système, il devient incompatible, dit aussi « méchant ».
Cependant, là encore, il y a deux sortes de méchanceté : la méchanceté qui correspond à une réalité, sociale ou politique, et la méchanceté gratuite. C’est ce qui fait la différence entre le Reiser anarcho-écologiste du Charlie Hebdo des années 70, tapant à gauche et à droite, et les dessinateurs exclusivement anti-FN du Charlie Hebdo période Philippe Val. Le jour et la nuit. L’un se foutra ouvertement de tous les pouvoirs, sans forcer le trait sur l’église, et en incluant les musulmans et les juifs ; les autres focaliseront maladivement sur le FN, les catholiques, et la droite sarkozienne, croyant taper là sur le vrai pouvoir, le sabre et le goupillon. Pas de bol, l’église et l’armée ne pesaient déjà plus grand-chose, la loi de 1905, Vatican 2 et la fin de la conscription en 1996 étant passés par là…
Ce Charlie Hebdo, journal libéral libertaire totalement sur la ligne sioniste dominante – Sarkozy le soutiendra pendant son procès en liberté d’expression, d’autres diront en « liberté d’insulter » – maquillé en brûlot anti-pouvoir, avant de finir dramatiquement, aura été le lieu du basculement de l’humour, de l’insoumission à la soumission aux principes de fond oligarchiques. La pliure spectaculaire aura lieu en juillet 2008 lors de l’affaire Siné, qui aura le malheur de sortir une demi-vanne sur le mariage du fils Sarkozy avec l’héritière Darty. Une paille que tout le monde balance dans les bistrots, mais qui aura le même effet médiatique que la blague de Dieudonné en décembre 2003 sur le colon radical juif. Après cela, dans le monde du dessin de presse, il y aura ceux qui restent debout, et ceux qui se couchent.
Ceux qui ont baissé leur froc, ceux qui ne l’ont pas baissé
Difficile pour Plantu, qui a pourtant essayé, coincé par la rédaction socialo-sioniste du Monde, de soutenir Siné (il soutiendra aussi Dieudonné). Mais il le fera avec un dessin pour une fois pas nunuche.
Delfeil de Ton, dans Le Nouvel Obs, un ancien d’Hara-Kiri, soutiendra mordicus ce vieux déconneur de Siné. Siné, un personnage, celui-là : pro-FLN dans les années 60, anticlérical au possible – mais de tous les cléricalismes, et cela inclut la religion politiquement dominante –, anar de pure gauche, alcoolo assumé, amateur de jazz, un dessinateur au trait rudimentaire mais reconnaissable dans le monde entier. Ultra politisé, il assoira néanmoins son succès sur les livres de… chats (et accessoirement le confortable boulot de productrice de sa femme). Et dans son canard, d’abord hebdomadaire puis mensuel, il accueillera tous les dessinateurs qui n’entraient plus dans la ligne officielle, incarnée par le triste Charlie Hebdo.
On y retrouvera, aux côtés de plumes gauchistes mais pas sionistes (Christophe Alévêque, qui sera un des rares humoristes à soutenir Dieudonné, avant de chavirer dans un clip pour la LICRA, Didier Porte, Isabelle Alonso), des dessinateurs comme le très graphique Jiho, le très druckerien Geluck, le très vilain Berth – du moins dans Zoo – qui demandera à E&R de retirer un de ses dessins mis en ligne (il craignait probablement pour ses piges dans Mon Quotidien, le journal bien-pensant pour enfants), le très communiste Faujour, le très compatible Aranega (passé au Canard enchaîné et à toute la presse magazine possible et imaginable) et enfin Mix & Remix.
Un nom bizarre pour un dessinateur peu connu du grand public, mais très apprécié des dessinateurs. De la même façon, il y a des écrivains pour écrivains.
Mix & Remix, avec ses personnages simplifiés à l’extrême dans des décors blancs à la 2001 L’Odyssée de l’espace, c’est-à-dire vides, ses gros nez au-delà de toute caricature, faisait dans la finesse d’expression, graphique et textuelle. Chacun de ses dessins est une piqûre acide, qui n’a pas besoin de la violence, du sang, de l’insulte ou du sexe pour exploser. Les dessins raffinés de Mix & Remix sont des bombinettes muettes, mais très perturbantes pour l’esprit, d’une bonne perturbation. L’antithèse absolue, ce sont les dessins de Charlie Hebdo qui représentent Marine Le Pen en étron, ou un catholique en violeur d’enfant : pas drôle, peu efficace, et dénotant un courage de lâches, car allant dans le sens du vent.
- L’humour Charlie actuel prend bien soin de ne pas fâcher le pouvoir profond et préfère s’en prendre aux pauvres gens
La famille « Trait minimaliste »
Mix & Remix, aussi discret que drôle, aura eu le courage de faire un dessin sur Alain Soral, ni cassant ni insultant – suffisamment rare pour être souligné – car il appréciait le personnage et ses vidéos.
Avant de mourir, M&R, de son vrai nom Philippe Becquelin, dessinera à mort sur Facebook, ses dessins illuminant les conversations quotidiennes d’un paquet de groupes d’amis. Autre chose que la surproduction faussement subversive actuelle.
Ses albums sont toujours là, édités par le très nietzschéen Suisse Frédéric Pajak.
Dans la riche arborescence du dessin d’humour, les amateurs relieront le trait de Mix & Remix à celui de Bosc, de Reiser, bien sûr, mais aussi à celui du travesti argentin Copi (ex-Hara-Kiri, mort du sida en 1987), du trop peu connu Pessin, et de Chimulus, qui a lui aussi disparu cette année. Décidément, le cancer n’aime pas l’humour noir. Comme les bien-pensants.