A la tête du Mossad, Meir Dagan a gardé le silence pendant plus de huit ans. Il restait muet lorsqu’un journaliste lui parlait de telle ou telle opération. L’assassinat à Damas d’Imad Moughnieh, le chef des opérations du Hezbollah ? De Mahmoud Al Mabhouh du Hamas à Abou Dhabi ? La découverte et le bombardement d’un site nucléaire en Syrie ? L’infiltration d’un virus informatique dans le programme nucléaire iranien ? No comment ! Dagan haussait à peine les sourcils. Quelques rares détails ont filtré sur sa manière de diriger l’agence de renseignement israélienne. Dans son bureau, une photo attirait régulièrement le regard des visiteurs. Celle du rabbin Ber Erlich Sloshny, le grand père maternel de Meir Dagan. Agenouillé, enveloppé dans son châle de prière il attend la mort de la main des SS dans la ville de Lukov en Pologne. Son petit fils la montrait, parait-il, à certains agents avant leur départ en mission.
Et voilà, qu’à la retraite, il ne cesse de s’exprimer en public. D’abord pour lancer une mise en garde : « Les projets de frappe militaire contre l’Iran sont une stupidité, ce serait une dangereuse aventure. » Et de révéler, selon le quotidien Yediot Aharonot, qu’il avait réussi à empêcher une telle aventure avec l’aide du chef du Shin Beth Youval Diskin et du général Gaby Ashkenazi, le chef d’état major. Tous deux ont depuis quitté leurs fonctions. Selon Meir Dagan, une frappe contre l’Iran déclencherait une guerre régionale impliquant la Syrie et le Hezbollah libanais. Aujourd’hui a-t-il dit « je crains que plus personne ne puisse stopper Netanyahu et Ehud Barak (le ministre de la Défense) […] Je ne veux pas que pèse sur ma conscience une guerre comme en 1973.. »
Octobre 1973, c’était le grand traumatisme de la guerre déclenchée par les Syriens et les Egyptiens sur le plateau du Golan et le long du canal de Suez. Plus de 2500 morts et des dizaines de milliers de blessés israéliens. Une surprise stratégique. Les renseignements militaires, l’establishment politique du pays, la presse n’avaient pas vu les signes annonciateurs d’un des conflits les plus sanglants de l’histoire d’Israël. Les propositions d’un règlement intérimaire avancées par le président égyptien Anouar el Sadate et auxquelles le gouvernement israélien avait répondu par une fin de non recevoir. Aveugle, Israël serait aujourd’hui dans une situation identique à celle qui a précédé la guerre de Kippour.
Meir Dagan n’a pas toujours été une Cassandre. Commandant d’une unité spéciale chargée de lutter contre les réseaux palestiniens à Gaza dans les années cinquante avant de devenir général dans les années quatre vingt. Ariel Sharon, son chef et mentor disait de lui, avec tendresse, que sa spécialité était de séparer la tête du corps d’un arabe. Les deux hommes sont restés très proches. En 2001, durant la campagne électorale, qui a vu la victoire électorale de Sharon, Dagan avait préparé un plan destiné à écraser l’intifada palestinienne comportant notamment le démantèlement de l’Autorité autonome. Aujourd’hui, visiblement inquiet face à l’échéance de septembre, l’éventualité de la reconnaissance de la Palestine par l’Onu, il souligne la nécessité d’une initiative de paix israélienne. « Si nous n’offrons rien, si nous ne prenons pas l’initiative, nous serons dans une situation difficile… » Et de se déclarer en faveur de l’initiative arabe de 2002, qui propose une normalisation diplomatique avec le monde arabe en échange d’un Etat palestinien sur les lignes de 1967 et d’une « solution juste » pour les réfugiés…
Toutes choses très peu appréciées dans l’entourage de messieurs Netanyahu et Barak. Le chef du gouvernement et son ministre de la défense préfère garder le silence et leurs proches réagir. Des ministres assurent que Dagan est irresponsable, met en danger la capacité de dissuasion du pays. Le Président de la Knesset va plus loin et qualifie l’ancien patron de menace pour la sécurité de l’état. Les sites de l’extrême droite sont franchement insultants. Sur le web francophone d’Arutz 7, la radio des colons, le général Dagan se fait qualifier « d’imbécile qui ne comprend rien à la mentalité arabe. » On aura tout vu !. La gauche, bien entendu pavoise. Elle avait bien besoin d’une telle adhésion à ses thèses.
Et dans ce contexte, le ministre français des affaires étrangères, Alain Juppé, est venu présenter aux Israéliens et aux Palestiniens un plan destiné à relancer la négociation avant le mois de septembre. Il s’agit d’organiser durant le mois de juillet une conférence de paix à Paris où seraient négociée la question des frontières « sur la base de la ligne de 1967, avec des échanges de territoires négociés ». Les parties auraient ensuite un an pour discuter des questions les plus épineuses : Jérusalem Est et les réfugiés palestiniens. La diplomatie française tente d’obtenir l’accord formel – et le soutien – des Etats-Unis et des autres membres du quartet pour cette initiative. Pour l’instant, personne n’a dit non.
Charles Enderlin