D’après les informations disponibles sur internet, Radio J, première radio juive de France, a invité Marine Le Pen à participer à son forum politique dimanche 13 mars. Contactée par Guysen, la radio dément formellement avoir lancé une telle invitation et affirme être contrainte de recevoir la candidate du Front National à cause des règles du CSA. Mais le FN, lui aussi joint par Guysen, est catégorique : c’est M. Frédéric Haziza (animateur de l’émission) qui a fait la demande auprès de Marine Le Pen, et non l’inverse. Retour sur des déclarations contradictoires et sur les réactions de la communauté juive.
Le FN pour la première fois sur une radio juive.
En plus de cinquante ans de carrière politique, jamais Jean Marie Le Pen n’a été invité à participer au forum de Radio J, rendez-vous politique hebdomadaire du dimanche. Et pour cause, sa vie politique a été émaillée de multiples scandales, de déclarations antisémites, racistes, provocatrices, xénophobes, négationnistes et homophobes. L’homme a progressé dans l’arène politique, précisément en se construisant une image médiatique basée sur des propos scandaleux, relayés de journaux en journaux.
C’était donc tout naturellement qu’une radio juive, reconnue sur la scène nationale, s’honorait en refusant de lui donnait la parole et de lui offrir la possibilité d’élargir son audience et par conséquent de poursuive sa progression dans l’opinion publique. Visiblement, à Radio J, les règles ont changé. Le Front National, qui n’a en aucune manière changé un mot de son programme haineux, n’est plus dirigé par Jean-Marie mais par sa fille Marine. Celle-ci, qui a toujours affirmé se reconnaitre dans les idées de son père, semble à présent être considérée comme fréquentable par les dirigeants de cette radio juive.
Mais lorsque ce 8 mars Guysen téléphone à M. Serge Hajdenberg, président de Radio J et rédacteur en chef de l’antenne, le discours est autre : ‘‘Nous n’avons pas lancé d’invitation à Marine Le Pen. C’est elle qui, dans le cadre de la loi sur l’audiovisuel, dans le contrat signé avec le CSA, qui a demandé à participer. Nous sommes dans une période électorale qui impose un temps de parole égal aux candidats. Ce n’est pas notre initiative, en aucun cas.’’.
La réalité de la loi est plus nuancée que ce que l’affirme M. Hajdenberg. Dans sa Recommandation n° 2011-2 du 4 janvier 2011, le CSA (cliquez ici pour la consulter) énumère les medias qui seront soumis à surveillance : Radio J n’est cité nulle part. Le CSA fait prévient simplement que, sur sa demande, un décompte du temps de parole est susceptible d’être demandé aux radios. De plus, Jean Marie Le Pen a lui aussi mené de nombreuses élections et Radio J ne s’était jusqu’alors pas soucié du contrôle du CSA. ‘‘Mais M. Le Pen ne nous a jamais demandé d’intervenir sur notre antenne et nous ne l’avons jamais invité’’, rétorque le président de Radio J.
Le Front National : ‘‘C’est M. Frédéric Haziza qui a invité Marine Le Pen’’.
Au Front National, les propos tenus sont radicalement différents. Contacté par Guysen, M. Alain Vizier (directeur de la communication de Marine Le Pen) se dit même surpris de la ligne de défense de la radio juive. ‘‘Radio J obéirait aux ordres de Marine Le Pen ? Mais c’est le monde à l’envers !’’, s’exclame-t-il.
‘‘Ce n’est pas Marine Le Pen qui a demandé, je suis surpris que Radio J tienne ce genre de propos’’, dit-il plus sérieusement. ‘‘Pour être clair : c’est M. Frédéric Haziza, qui anime l’émission du dimanche, qui a invité Marine Le Pen. Nous voyons très souvent M. Haziza car il anime également une émission sur La Chaîne Parlementaire, il est très connu en France, il ne fait pas que Radio J. Il a estimé que Marine Le Pen n’était pas Jean Marie Le Pen et qu’elle avait toute sa place dans cette émission politique’’, ajoute-il pour enfoncer le clou.
Au sein de la communauté juive, on déplore l’évènement.
Le CRIF espère faire annuler l’évènement.
Ariel Goldman, vice-président du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF) se dit ‘‘peiné et consterné’’. Par téléphone il déplore que ‘‘la première radio juive crée en France donne la parole à un parti qui n’a jamais fait amende honorable. Même s’il y a un semblant de renouveau avec Marine Le Pen, on voit très bien avec son entourage que les choses n’ont pas changé et ne sont pas sur le point de changer. Elle demeure infréquentable’’.
Ariel Goldman se veut toutefois combatif : ‘‘On a encore quelques jours pour faire pression sur nos amis de radio J pour faire en sorte que cet évènement honteux ne se produise pas’’.
RCJ, autre radio juive parisienne qui partage la même fréquence que Radio J (94.8 FM) déplore complètement cette stratégie. Contactée par Guysen, elle nous a fait part de son indignement : ‘’RCJ est complètement contre ce choix. Nous sommes réellement scandalisés. On a reçu des milliers de mails et d’appels par de personnes qui se sont trompées de radio pensant que nous l’avions invitée. C’est franchement insupportable’’.
Sammy Ghozlan (à la tête du Bureau National de Vigilance contre l’Antisémitisme), lui aussi n’approuve pas le choix de Radio J. ‘‘A mon sens, cette invitation n’est pas une bonne idée. Tout d’abord parce que Marine Le Pen n’a pas réellement donné de signe de changement et qu’il y a des gens derrière elle qui sont des négationnistes. Jusqu’à présent le FN n’a pas montré qu’il était un parti républicain même s’il bénéfice de la médiatisation qu’on connait’’, explique-t-il à Guysen par téléphone.
Marine Le Pen poursuit avec succès sa campagne de dédiabolisation
Peu importe qui a invité qui, Mme Le Pen poursuit sa stratégie de dédiabolisation. La fille succède au père, et applique avec brio les recommandations de ses conseillers en communications sans rien changer aux idées controversées de son parti. En passant à l’antenne d’un média juif respectable, elle offre à son parti une chance inespérée de redorer son image, de faire oublier, entre autres, les propos de son père sur la Shoah.
Par ailleurs, si le président de Radio J assure ne pas l’avoir invitée et être conscient de la tentative de manipulation de Mme Le Pen, il affirme préparer cette interview comme n’importe quel rendez-vous politique, sans chercher donc en aucune façon à dénoncer le programme du FN ou à briser sa progression dans l’opinion française.
‘‘Elle passe sur toutes les radios et télévisions de France. Excusez-moi mais tout le monde ici l’interview ! Elle est même passée dans Haaretz (grand quotidien israélien de gauche, ndlr) qui lui a consacré une page entière. Est-ce que vous avez appelé Haaretz pour lui poser des questions à l’époque ?’’, s’interroge-t-il.
‘‘Il y a bien des députés arabes israéliens qui appellent à la destruction d’Israël et ça ne vous empêche pas de faire du journalisme. J’ai plus rien à démontrer. Nous ne laverons pas plus blanc que blanc’’, conclu-t-il à notre micro.
Quoi qu’il en soit tout le monde sera au rendez-vous dimanche 13 mars pour écouter Marine Le Pen tenter de se laver de tout soupçon d’antisémitisme. Les médias, juifs et non-juifs, auront tous l’oreille tendue. Il reviendra à M. Frédéric Haziza, directeur du service politique de Radio J et animateur de l’émission de pas laisser l’occasion à Mme Le Pen de berner les auditeurs.
Puisque, la polémique est lancé ; que les derniers sondages ont replacé sur le devant de la scène cet historqiue parti d’Extrême droite, à lui à présent d’utiliser ce moment fort de la politique française pour tenter de redéfinir ce qu’est un parti républicain, ce qu’il faut attendre de la démocratie française, de rappeler les valeurs et les principes censés animés ses acteurs. A lui enfin de rappeler aux Juifs tentés de voter pour elle que le FN n’a pas changé et que la lutte contre le racisme ne se limite pas à l’antisémitisme.