Révélations. Le long passage de Manuel Valls au Grand Orient de France, de 1989 à 2005, est très étonnant à au moins deux titres.
Primo le fait que l’actuel Premier ministre n’en parle jamais, pas plus que les journalistes qui signent des biographies ou des portraits de lui dans la presse écrite ou audiovisuelle.
Deusio, par le choix de sa loge-mère, « ni maîtres ni dieux », où il fut initié en 1989, un atelier de trublions, de rebelles, de libertaires, d’anarchistes, de socialistes autogestionnaires ou de communistes… Surprenant pour ceux qui voient en lui à Matignon l’incarnation du social-libéralisme sécuritaire. Au terme de plusieurs semaines d’enquête, L’Express publie ce 20 mai un dossier de couverture titré « Un franc-maçon nommé Valls » .
Contrairement à une légende logique mais fausse, son ami de trente cinq ans Alain Bauer n’est pour rien dans l’entrée en maçonnerie de Manuel Valls. Bauer a été initié en 1981 au GODF avant de devenir Grand Maître en 2000. Il assure n’avoir jamais parlé de franc-maçonnerie avec son ami Manuel jusqu’en 1995. J’ai découvert que le parrain de Manuel Valls fut en fait le rocardien Jean-Pierre Antebi, à l’époque Grand Secrétaire aux Affaires extérieures au Conseil de l’ordre du GODF, et que les deux hommes ont été présentés par le frère Yves Colmou (27 ans plus tard, il est aujourd’hui l’un de ses plus proches conseillers à Matignon). C’est Antebi qui a entraîné Valls dans la loge qu’il avait contribué à fonder en 1986, « ni dieux ni maîtres ».
Dans mon article, je raconte l’histoire singulière de la création de cette loge « poil à gratter » pour laquelle le Grand Maître de l’époque Roger Leray a manifestement eu plaisir à allumer les feux en 1986. Il est rare que la naissance d’une loge soit un tel événement. Exceptionnel également qu’un atelier soit lancé avec la lecture d’une charte, un texte audacieux, percutant. Et toujours en vigueur. J’en publie dans L’express de larges extraits.
J’ai pu rencontrer plusieurs anciens vénérables maîtres (qui se faisaient appeler « maillet d’Orient ») de Ni maîtres ni dieux où Manuel Valls venait « s’encanailler », alors qu’il était déjà un socialiste ambitieux, conseiller au cabinet de Michel Rocard, à Matignon.
Dans ce dossier que publie L’Express, je dresse le portrait du parrain de Valls, toujours resté dans l’ombre, Jean-Pierre Antebi, un courtier en assurances partagé entre trois passions militantes : le PS, le GODF et la LICRA. Un homme haut en couleurs emporté par la maladie en 2007, à l’âge de 64 ans. Il était si fier de sa recrue pour laquelle il voyait il y a un quart de siècle un destin de président de la République !
Manuel Valls restera six ans et demi à « ni maîtres ni dieux » avant de changer de loge fin 1995, car les jours des tenues (réunions) deux fois par mois n’étaient pas compatibles avec ses obligations au siège du PS. Là, il ne cherche pas midi à quatorze heures : il demande à Alain Bauer d’organiser son transfert dans la loge dont il est le vénérable maître, L’Infini maçonnique. Tout ce récit permet de mieux comprendre quel animal politique il est devenu - d’Evry à Matignon - sa colonne vertébrale, ses valeurs, ses convictions. Il manquait une pièce au puzzle Valls.