« Supermarché », « plaque tournante », « aimant », « porte d’entrée » : si les termes divergent, policiers, magistrats, chercheurs ou responsables politiques s’accordent à dire que Lille est au coeur du trafic d’héroïne en France.
Rue Alexandra David-Néel, quartier de Lille-Sud. Classé ZSP et en pleine rénovation comme en témoigne une piscine dernier cri construite à proximité. Au pied de deux tours sans âme, une vingtaine de jeunes, parfois d’une douzaine d’années, « chouffent » (guettent) en cette belle journée d’automne et regardent attentivement tout nouvel arrivant. Quelques toxicos repartent, eux, tête baissée avec leur dose de poudre.
Il y a beaucoup d’héroïne à Lille, qui est probablement une plateforme et une porte d’entrée. On est les discounters de l’héroïne au niveau national, soupire Didier Perroudon, directeur départemental de la sécurité publique du Nord.
La capitale des Flandres « paye » sa proximité géographique avec Rotterdam, Bréda et Anvers, principaux points d’arrivée de cette drogue en Europe. Le gramme d’héroïne coûte deux à trois fois moins cher qu’ailleurs en France, entre 15 et 20 euros contre 50. Autre facteur, elle est plus pure, « coupée à 15% » contre « entre 6 à 8% » ailleurs sur le territoire, note Nathalie Lancial, sociologue, chargée d’études pour l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT).
« Les prix sont imbattables, c’est de bonne qualité par rapport à d’autres endroits, tout est disponible facilement, donc Lille devient une plaque tournante pour le trafic », résume Mme Lancial, avec des acheteurs venant de Reims, Nantes ou même Bordeaux. Sans compter une spécificité locale, illustrant la paupérisation des usagers d’héroïne lillois : « Les dealers s’adaptent à leur clientèle, ils acceptent de vendre par demi-gramme, voire plus petit, si quelqu’un a six euros en poche, il en aura pour six euros », appuie-t-elle, soulignant que désormais seul un quart des toxicomanes consomme « l’héro » en l’injectant. La plupart « chassent le dragon » : ils la font chauffer sur l’aluminium avant d’en respirer les vapeurs.
Plus de 10 000 euros par jour
Le long du métro aérien de Lille, aux stations Porte de Valenciennes, de Douai et d’Arras, les lieux de rendez-vous sont connus de tous. « Pourquoi là ? Il y a des accès faciles avec l’autoroute et le métro qui permet aux “tox” de venir », explique Philippe Nouarault qui dirige la sûreté départementale du Nord. Certaines « supérettes » font « plus de 10. 000 euros par jour » et peuvent vendre « entre 500 et 700 doses par jour », avec un pic après le 5 de chaque mois « parce que les allocs sont tombées », relève le commissaire.
À l’hôtel de ville, la municipalité reconnaît que la situation est « très, très difficile » avec un trafic qui engendre son cortège de délits. « On a une délinquance du vol de vélo car ça représente une dose », maugrée Arnaud Deslandes, directeur de cabinet de Martine Aubry. Et les plus « accrocs » à cette drogue particulièrement addictive ont besoin de 3 à 4 grammes, soit de trouver une petite centaine d’euros par jour. « Ça génère un flux de délinquance. Le consommateur doit aller par tous les moyens se payer sa dose, quitte à agresser une vieille dame pour lui voler sa chaîne », dit-il.