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Les racines asiatiques des premiers Européens révélées par leurs dents

L’Histoire est un éternel recommencement, sous des visages changeants. L’Europe, aujourd’hui envahie par les produits manufacturés venus d’Asie, a peut-être déjà été colonisée par cette dernière, voilà plusieurs centaines de milliers d’années. C’est la thèse que défendent, dans la dernière livraison des Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) américaines, publiée lundi 6 août, des spécialistes espagnols, géorgien et italien de l’évolution humaine. L’hypothèse la plus répandue parmi les paléoanthropologues, concernant le peuplement du globe, est celle du berceau africain. Plusieurs vagues migratoires successives se seraient produites depuis ce foyer originel, que les premiers représentants du genre Homo auraient quitté voilà quelque 2 millions d’années. L’homme moderne, Homo sapiens, y serait apparu il y a environ 200 000 ans, avant de se répandre en Asie et en Europe, puis sur le reste de la planète, voilà 100 000 ans. C’est la théorie du "out of Africa". L’étude publiée dans les PNAS met à mal ce scénario. Les auteurs ont scruté à la loupe plus de 5 000 dents fossilisées datant du pléistocène, sur une période s’étendant de l’émergence d’Homo erectus, 1,8 million d’années avant notre ère, à l’apparition de l’homme de Neandertal, il y a quelque 250 000 ans. Au vu de cette analyse dentaire comparée, deux groupes humains bien distincts apparaissent : l’un formé de fossiles découverts sur l’ensemble continental eurasiatique (Homo erectus, Homo heidelbergensis, Homo neanderthalensis), l’autre de fossiles exhumés en Afrique (Australopithecus afarensis, Australopithecus africanus, Homo habilis).


Robustes canines

L’examen montre "d’importantes différences morphologiques" entre les spécimens mis au jour. Chez les Eurasiates, la denture antérieure (incisives et canines) est marquée par une robustesse que l’on ne trouve pas au même degré chez leurs homologues africains. La denture postérieure (prémolaires et molaires) des premiers se caractérise, au contraire, par une importance réduite (perte des cuspides par exemple, c’est-à-dire des pointes en contact avec les dents opposées) par rapport aux seconds.

Autant d’indices qui donnent à penser que les cours de l’évolution en Eurasie et en Afrique "ont été relativement indépendants pendant une longue période". Au sein de l’ensemble eurasiatique, l’Asie aurait donc pu être un creuset de l’évolution des espèces. Et, au niveau génétique, avancent les chercheurs, son influence sur le peuplement de l’Europe aurait été "plus importante que celle de l’Afrique".

Les "paléodentistes", toutefois, n’écartent pas totalement la piste africaine. L’arrivée en Europe de nos lointains ancêtres serait peut-être la résultante d’un "puzzle complexe" de contacts et de migrations entre continents.


Pierre Le Hir "Habilis" et "Erectus" ont cohabité en Afrique de l’Est On pensait qu’Homo erectus, à l’origine de la première sortie d’Afrique, avait pour ancêtre Homo habilis (2,5 à 1,6 million d’années), le premier homme, baptisé ainsi car il savait tailler des outils. Des recherches réalisées par une équipe internationale sur les bords du lac Turkana, au Kenya, et publiées dans la revue Nature, jeudi 9 août, mettent à mal cette théorie. Elles semblent indiquer que les deux espèces ont cohabité pendant plusieurs centaines de milliers d’années, et pourraient donc être issues d’un ancêtre commun. Les scientifiques appuient leurs dires sur la découverte, dans les mêmes strates, de la mâchoire supérieure du plus récent Homo habilis connu à ce jour, datée de 1,44 million d’années, et du crâne presque complet d’un Homo erectus âgé de 1,55 million d’années.


LE MONDE, édition du 11.08.07l