Depuis dimanche, la France a un nouveau visage, celui de ses 129 morts.
Ils sont le visage de la nouvelle France, la France d’Après.
En un jour, une nuit, tout a basculé.
Ces Français sont morts, mais leurs visages sont étrangement vivants.
Source et informations complémentaires sur les victimes : francetvinfo.fr
« Les tueurs sont impitoyables. Ils ont pourtant épargné un jeune majeur « typé », comme le décrit une amie, dont la peau mate le fait souvent passer pour un jeune d’origine maghrébine. « Ils l’ont visé, puis se sont repris, explique cette proche. Ils lui ont dit : Toi, t’es des nôtres !, et ils ont tiré sur un autre jeune à ses côtés. » »
Ils ont été sacrifiés, mais on ne sait pas encore sur quel autel (la politique étrangère d’une France soumise aux intérêts oligarchiques ?), et l’heure n’est pas encore aux polémiques stériles, puisqu’elles ne ramèneront pas nos morts. Quand on a perdu, toute l’équipe se renvoie la faute, plutôt que la balle. Et là, la France a perdu. Elle a perdu sa légèreté, sa virginité, presque, celle d’une nation encore heureuse ou insouciante il y a quelques jours. Et puis, le fossé. La fosse, pourrait-on dire.
Nous voilà ravalés au rang de nation terrorisée, meurtrie, bombardée, abattue. À nous les images de guerre, d’obus de mortier sur un marché de Bagdad, de « bavure » américaine sur un mariage yéménite ou afghan. On n’en est pas encore aux clichés sordides de ces pères qui portent le cadavre de leur enfant dans les bras, en hurlant, un cri qu’on n’entend heureusement pas, puisqu’il s’agit d’une photo, ces photos qu’on regarde d’un œil distrait, tellement elles sont devenus banales.
Celles de la guerre Israël/Palestine, qui n’est même pas une guerre, juste une politique d’écrasement. Dans le genre dur, hard, gore, il y a les guerres oubliées du type RDC, cet immense territoire où les pouvoirs régionaux se battent pour le coltan, pour les diamants, un sous-sol riche qui fait saliver les voisins. Et les occidentaux.
Rassurez-vous, Survivants, la France n’en est pas encore là, tombée à cet état de sauvagerie, on résiste, voyez-vous. La barbarie, ce n’est pas pour nous. Avec Je Suis Terrasse, la Parisienne retrouve ses droits, sa légèreté, sa raison d’être. Elle reprend possession des Deux Magots, habillée pour la séduction. Oui, il y a eu un choc des mondes au Bataclan, les dingues de la Kalach sans avenir qui sont venus supprimer l’avenir de la tribu des Insouciants. Le choc culturel, il est là. Le choc des civilisation, si vous voulez, si on peut dire que les Daechiens sont porteurs d’une civilisation. Pourtant, ils sont les soldats inconscients d’une civilisation avancée, plus que la nôtre encore, qui l’est déjà pas mal : celle de l’Empire, ou de la Mondialisation, ou de l’Oligarchie, ces mots sur lesquels ont a du mal à mettre des visages.
En bas, à la base, on voit enfin les visages : depuis qu’on connaît la liste – effroyable – des victimes du massacre, on connaît aussi ceux des bourreaux. Et on découvre, d’un côté, la France cool qui boit des coups après le boulot, un boulot branché, du centre de Paris, qui est le centre de la France, et la France (puisque la plupart des tueurs étaient français d’origine, « des Français de papier », peut-être, comme dit Zemmour, mais des Français administratifs) qui vient des déserts, culturels, éducatifs, économiques, la France de rien. La France sans plaisirs, sans avenir, la France du sacrifice, et finalement du sacrifice humain.
Oui, nos Daechiens ont emporté du monde dans la tombe, ils ont emmené dans leur fureur ceux qui ne leur ressemblaient pas du tout – c’est plus facile, de tuer son opposé –, peut-être même leurs complémentaires. Comme si ceux que la revue Causeur appelle les Homo Festivus, qu’on appelle plus communément les bobos, étaient la part manquante des Daechiens, et réciproquement. Comme si un bloc avait été cassé, et que d’un côté, on avait le plaisir, le bonheur, la vie rêvée des Anges, et de l’autre, la souffrance, la rage et la mort. Tout ce que l’occidental rejette.
Les fantômes qu’on avait rejetés sont revenus, et ils nous ont emportés avec eux dans le monde des Ténèbres. C’est la parabole de La Machine à explorer le temps, le roman de H.G. Wells. Sur la Terre règnent de doux et beaux êtres, les Éloïs, qui habitent un vrai paradis. Mais en dessous, grenouillent les Morlocks, créatures hideuses devenues cannibales. De temps en temps, un Morlock sort du territoire des Ombres, capture un Éloï, l’emmène dans le monde du Dessous, et le dévore.
On ne sait pas encore si le pouvoir français va descendre chez les Morlocks faire un « killing », comme disent les Américains, ou un « carton », comme disent les Français, mais on se doute que les Éloïs et les Morlocks font partie du même monde. Ce sont deux créatures générées par le même moteur social, économique, politique. Certains, des esprits malades, imaginent même que les Morlocks sont dressés par des Éloïs suprêmement malins, voire maléfiques, pour tenir en respect les autres Éloïs et conserver un pouvoir sans pareil.
Les innocents Éloïs comprendront-ils que l’ennemi, c’est le Maître ?