Hier j’étais invitée à passer le « grand oral » de l’émission de RMC Les Grandes Gueules pour présenter Afro, le livre dont Brigitte Sombié et moi sommes auteures.
Interrogée au sujet de la représentation des minorités dans les médias, dont mes interlocuteurs constataient comme moi qu’elle n’était pas juste, j’ai indiqué qu’une grande partie des émissions les plus visibles par le grand public comme « Le Grand Journal pas du tout aux couleurs de la France ». Pour préciser ma pensée, j’ai ajouté que cela me semblait « encore plus marquant dans une émission comme « C à vous », quand on voit qu’il y a effectivement une personne d’origine maghrébine, une personne noire, mais qui font la cuisine pendant que des Blancs parlent de politique… ». Face à la réaction d’un de mes interlocuteurs, (« Mais comment osez-vous dire ça ? ») j’ai précisé ma pensée : « En termes de symbolique, ça dit quand même des choses sur la place que l’on réserve aux minorités en France ».
Déferlement immédiat de tweets dont certains confinaient au délire !
Tandis que certains s’évertuaient avec aplomb à m’expliquer que la cuisine n’avait rien de « dégradant » alors même que ce mot n’avait jamais franchi mes lèvres, d’autres – tout en nuance – qualifiaient mes propos de « folie totale ».
Pourtant, rien dans mon affirmation ne remettait en cause les compétences, ni le mérite de Babette de Rozières ou d’Abdel Alaoui dont les talents ne sont plus à démontrer.
Je soulignais simplement le fait qu’il existe aujourd’hui en France des domaines dans lesquelles les personnes non-blanches étaient autorisées à déployer l’étendue de leurs qualités pour atteindre des sommets, comme dans le sport ou la musique mais que d’autres perçus comme plus « sérieux », « intellectuels » et socialement très valorisés restaient désespérément hermétiques à leur savoir-faire.
La plupart des réactions omettent soigneusement d’évoquer le fond du problème : en 2015, en France, il est encore possible de composer des plateaux de télévision exclusivement blancs. La symbolique, que j’évoque est ainsi balayée d’un revers de manche par des twittos ou des médias bien peu disposés à réfléchir à une question d’importance préférant sans doute alimenter une polémique stérile. Le problème que j’ai tenté de soulever dépasse de loin les réactions à cette phrase. En effet, sans modèles alternatifs, comment les personnes non-blanches peuvent-elles se projeter en dehors des quelques rares exemples de réussites qui sont proposés dans l’espace médiatique ? Comment les enfants français de 2015, ceux qui sont d’origine maghrébine, asiatique, ou noire, peuvent ils s’imaginer plus tard à la place d’Anne-Sophie Lapix ou de ses chroniqueurs qui ne leurs ressemblent pas ?