Eh bien au moins c’est clair : les Frères musulmans syriens sont prêts à accepter une « intervention » turque dans leur pays d’origine. C’est le chef exilé de la Confrérie, Mohammad Riad Shafka, qui l’a déclaré, jeudi 17 novembre, au cours d’une conférence de presse.
« Le peuple syrien acceptera une intervention venant de Turquie, plutôt que de l’Occident, s’il s’agit de protéger des civils (…) Nous pouvons avoir besoin de demander d’avantage de la Turquie car c’est un voisin ». Certes, la Turquie est un voisin de la Syrie, et ce voisinage lui permet déjà d’envisager de couper une grosse partie de l’alimentation en électricité de ce pays (voir notre article « Erdogan contre Lawrence d’Arabie » , mis en ligne le 16 novembre).
Une fuite en avant qui ne peut mener loin
A vrai dire, nous n’attendions pas moins des Frères musulmans syriens, totalement dans la main, comme du reste le CNS dont ils sont la principale composante, du gouvernement turc qui les héberge.
Déjà, le dit CNS aurait expressément demandé à Ankara d’établir une zone d’exclusion aérienne sur la zone-frontière syrienne (avec la Turquie). Le leader de la Confrérie syrienne a refusé de confirmer cette information publiée par le quotidien pro-gouvernemental turc Sabah, mais il a reconnu avoir discuté « avec plusieurs gouvernements (..) de tous les moyens possibles pour arrêter les violences ». Bref, la guerre pour arrêter les violences ; simple mais il fallait y penser, et Dieu sait que les Frères musulmans ne sont pas les seuls à y penser !
Une « intervention » militaire de la Turquie en Syrie, cela signifie l’internationalisation d’un conflit interne limité, et quand nous écrivons « internationalisation », nous ne voyons pas que la Syrie et la Turquie s’embraser. C’est cette réalité qui rend extravagante la déclaration de Mohammad Riad Shafka. Croit-il, et Erdogan avec lui, que Moscou et Téhéran resteraient sans réagir à pareille agression, même bénie par Hillary Clinton et Alain Juppé ?
A Moscou, Ghalioun, le chef du CNS, s’est vu fixer des limites à ne pas dépasser par Lavrov (voir notre article « Ghalioun et le CNS reçus mais « déboutés » à Moscou », mis en ligne le 16 novembre). Et croit-il que ce genre de déclaration va renforcer la popularité – déjà limitée – de la confrérie et de tout le CNS en Syrie ? Revenir en Syrie dans les fourgons des Turcs ou de l’OTAN c’est apparemment le seul espoir de ces radicaux exilés, aussi émigrés dans l’âme que pouvaient l’être les royalistes français de 1814/15 restaurés dans leurs privilèges en même temps que leur roi par les armées coalisées !
Effets de manche turcs à répétition
Il est vrai que la Turquie d’Erdogan a acquis une certaine crédibilité, une expertise même dans le domaine des interventions musclées : elle en a lancé une récemment encore du côté du Kurdistan irakien. Mais la Syrie n’est pas affligée, comme son voisin et allié irakien, d’une sécession de fait de sa minorité kurde.
On ne voit donc pas le Premier ministre turc passer à l’acte. Il se console par une logorrée verbale ininterrompue : jeudi 17, il s’en est pris carrément à la communauté internationale coupable selon lui de ne pas suivre le cas syrien « avec l’attention et la sensibilité qu’elle mérite ». On ne doit pas regarder les mêmes médias, Erdogan et nous ! Là où nous rejoignons malgré tout cet agité néo-ottoman-islamiste-néoconservateur, c’est quand il affirme que la Syrie n’a pas été bombardée par l’Occident humaniste « parce qu’elle n’est pas suffisamment riche en ressources énergétiques », au contraire de la Libye.
Très bien, M. Erdogan, votre pays va donc engager tout seul une croisade pour la « libération » de la Syrie ? Non, bien sûr, votre popularité électorale pâtirait forcément d’une telle aventure, extrêmement aléatoire, et à partir de là toutes vos ambitions géopolitiques risqueraient de finir aux poubelles de l’Histoire. Le gouvernement turc est condamné aux effets de manche, de même d’ailleurs que l’OTAN et la Ligue arabe. Ce qui ne rend pas sa démarche moins condamnable sur le fond.