Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a rarement été aussi assiégé politiquement. Les difficultés qu’il rencontre reflètent l’incapacité de la droite israélienne à répondre à l’évolution du paysage politique, que ce soit dans la région ou dans le monde.
- Les troupes israéliennes d’occupation dans une de leurs distractions favorites : le kidnapping de jeunes enfants palestiniens
Les ennuis dont il est question ont pour contexte l’engagement qu’il a pris en 2009, sous la pression considérable du président américain nouvellement élu, Barack Obama, pour soutenir la création d’un État palestinien. Netanyahou n’avait jamais souhaité faire cette concession et le regrette depuis.
Le secrétaire d’État américain John Kerry a exploité cette promesse en imposant les pourparlers de paix actuellement en cours. Netanyahou est aujourd’hui confronté à un « accord-cadre » imminent qui pourrait l’obliger à prendre de nouveaux engagements et à favoriser ainsi un résultat qu’il refuse catégoriquement.
Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, n’apporte aucune aide de son côté. Plutôt que de s’accrocher à ses positions, il propose un hébergement constant. La semaine dernière, Mahmoud Abbas a déclaré au New York Times qu’Israël pourrait prendre cinq ans pour retirer tranquillement ses soldats et ses colons de la vallée du Jourdain, alors qu’il s’agit d’une zone-clé du territoire palestinien. L’État palestinien resterait démilitarisé, tandis que les troupes de l’OTAN pourraient rester « longtemps et partout où elles veulent ».
La Ligue arabe constitue un deuxième point épineux, puisqu’elle a renouvelé sa proposition émise en 2002, l’Initiative de paix arabe, qui promet à Israël des relations pacifiques avec le monde arabe en échange de son accord pour la création d’un État palestinien.
Pendant ce temps, l’Union européenne accentue la pression vis-à-vis de l’occupation et condamne régulièrement la construction frénétique de colonies par Israël, comme après l’annonce faite la semaine dernière indiquant la construction de 558 maisons de colons à Jérusalem-Est. Enfin, en arrière-plan, des sanctions planent sur les produits des colonies.
Les institutions financières européennes nous fournissent un baromètre utile mesurant l’état d’esprit qui règne parmi les 28 États membres de l’UE. Ces derniers sont devenus les pionniers inattendus du mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions : les banques fournissent un flot continu et les fonds de pension ont retiré leurs investissements au cours des dernières semaines.
Soulignant que les boycotts et les campagnes de « délégitimisation » ne feront que s’accélérer, Kerry a averti Israël en qualifiant sa politique traditionnelle comme étant « insoutenable ».
Ce message paraît sincère aux yeux de nombreux chefs d’entreprise israéliens qui sont venus appuyer le plan diplomatique des États-Unis. Selon eux, la mise en place d’un État palestinien permettra à Israël d’accéder à des marchés régionaux lucratifs et d’assurer une croissance économique continue.
Netanyahou a dû être déconcerté d’apprendre que parmi ceux qui ont rencontré John Kerry le mois dernier, lors du Forum économique mondial de Davos, pour lui apporter leur soutien, figurait Shlomi Fogel, proche de longue date du Premier ministre.
Les pressions qu’il subit sur ces différents fronts peuvent expliquer la décision de Netanyahou de convoquer précipitamment ses principaux ministres, afin d’élaborer une stratégie visant à contrer la tendance vers le boycott. Il a été proposé de lancer une campagne médiatique de 28 millions de dollars, de mener une action en justice à l’encontre des institutions qui recourent au boycott, mais aussi d’accentuer la surveillance des militants à l’étranger par le Mossad.
Sur la scène nationale, Netanyahou, connu pour accorder bien plus de valeur à sa survie politique qu’à toute autre préoccupation, se retrouve également malmené. Il est attaqué sur son flanc droit par des rivaux appartenant à sa coalition.
Naftali Bennett, à la tête de la colonisation, a provoqué ce mois-ci une polémique avec Netanyahou après l’avoir accusé d’avoir perdu son « sens moral » au cours des négociations. Dans le même temps, Avigdor Lieberman, ministre des Affaires étrangères issu du parti d’extrême droite Israel Beitenou, a radicalement changé d’approche et caresse Kerry dans le sens du poil, le qualifiant de « véritable ami d’Israël ». La direction politique peu probable de Lieberman ont rendu les querelles que Netanyahou mène contre les États-Unis « puériles et irréfléchies », selon les termes d’un analyste local.
C’est à la lumière de ces pressions croissantes sur Netanyahou que l’on doit comprendre son comportement de plus en plus incohérent, alors que le fossé se creuse avec les États-Unis.
Une situation de discorde est née le mois dernier suite aux propos insultants du ministre de la Défense à l’encontre de John Kerry. Cette situation aux conséquences néfastes ne s’est pas calmée depuis. La semaine dernière, Netanyahou a une nouvelle fois lancé ses plus proches alliés au cabinet à l’assaut de Kerry, l’un d’entre eux ayant indiqué que les déclarations du secrétaire d’État américain étaient « offensantes et intolérables ».
Susan Rice, conseillère de Barack Obama à la sécurité nationale, a fait part de son mécontentement en postant sur Twitter ce qui sonne comme un coup de semonce. Les attaques du gouvernement israélien étaient « totalement infondées et inacceptables », a-t-elle jugé. Tout doute possible sur le fait qu’elle parle au nom du président a été dissipé plus tard lorsqu’Obama a salué « la passion extraordinaire et la diplomatie de principes » dont John Kerry fait preuve.
Néanmoins, malgré les signes apparents, Netanyahou est moins seul qu’il en a l’air et bien loin d’être prêt à faire des compromis.
La majeure partie de l’opinion publique israélienne est derrière lui, grâce notamment aux magnats des médias, comme son ami Sheldon Adelson, qui attisent une atmosphère nationale d’assiègement et de victimisation.
Mais surtout, une grande partie des forces de sécurité et économiques d’Israël est de son côté.
Les colons ainsi que leurs alliés idéologiques se sont infiltrés en profondeur dans les plus hauts rangs de l’armée et du Shin Bet , le service de renseignements secrets d’Israël. Le journal Haaretz a révélé ce mois-ci une information inquiétante en affirmant que trois des quatre dirigeants du Shin Bet s’associent aujourd’hui à cette idéologie extrémiste.
En outre, des éléments influents des forces de sécurité apportent à la fois un soutien financier et idéologique à l’occupation. Au cours des dernières années, le budget de la Défense a atteint des niveaux records, dans la mesure où toute une frange supérieure de l’armée se sert de l’occupation pour justifier les salaires et retraites exagérément élevés qu’ils empochent.
Les entreprises génèrent également de vastes profits lors de ce statu quo, des industries de haute technologie aux industries voraces en ressources. Des indications de l’enjeu sont récemment apparues lorsqu’il a été annoncé que les Palestiniens devront acheter à Israël deux ressources naturelles essentielles (le gaz et l’eau) au prix fort, alors qu’ils en disposeraient en abondance sans l’occupation.
Soutenu par ces groupes d’intérêt, c’est un Netanyahou provocateur qui, cette fois-ci, pourra probablement faire face à l’assaut diplomatique des États-Unis. Kerry n’a toutefois pas tort de prévenir que dans le long terme, un nouveau triomphe de l’intransigeance israélienne sera finalement une victoire à la Pyrrhus.
Ces négociations pourraient ne pas aboutir à un accord, mais elles marqueront néanmoins un tournant historique. La délégitimisation d’Israël est bel et bien en cours, et ce sont les dirigeants israéliens eux-mêmes qui sont en grande partie responsables des dégâts.
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