Le site Internet Gleeden.com, spécialisé dans les rencontres extraconjugales, fut lancé fin 2009. Il avait à l’époque provoqué de vives réactions, très hétérogènes. Quelques années plus tard, le site revendique plus de 2 millions de membres, dont une grande majorité en France. Si l’on sait qu’un tel chiffre n’a certainement aucune valeur compte tenu des différents biais inhérents aux statistiques données par les plateformes de rencontres (membres inactifs, faux profils, déséquilibre numérique homme/femme…), on admettra que le concept a beaucoup séduit dans l’Hexagone.
Le positionnement marketing du site est très clair : sur un créneau haut de gamme (palpable par le niveau des tarifs), il s’agit d’offrir un espace d’opportunités de rencontres extraconjugales pour les femmes en couple. Par extension, on peut comprendre que sont concernées en premier lieu les femmes mariées « cherchant » des aventures plutôt éphémères et tout à fait charnelles. Il découle de ce positionnement une communication faisant l’éloge de l’infidélité, à laquelle on « goûte » et par laquelle on s’affranchit de « la routine ». Si le ciblage sur les rencontres extraconjugales existait déjà via le géant anglo-saxon Ashley Madison (créé en 2001), Gleeden a affiné l’approche et a déployé des moyens substantiels pour s’imposer comme la référence de cette niche sur le marché français, tout en poursuivant un déploiement au niveau mondial.
Le contenu du site, très élaboré, tend à créer un environnement communautaire complet. On y retrouve un blog, des articles d’actualité, mais aussi des concours (sur le thème « raconter une anecdote infidèle », par exemple) ou des événements ( comme « la journée de l’infidélité ») [1]. Les appuis symboliques (multiples références au péché originel biblique) et les développements métaphoriques (la fidélité conjugale mise à l’égal de la fidélité à un simple produit de consommation quotidien) sont pour le moins matière à réflexions…
Gleeden.com est l’une des startups d’une société nommée BlackDivine, basée aux États-Unis et dirigée par deux web-entrepreneurs français, Ravy et Teddy Truchot. Ces derniers indiquent que le lancement de Gleeden est une opération des plus sérieuses, qui a nécessité un conseil juridique conséquent ainsi que de lourds investissements [2]. Ce dernier point ne saurait être contesté par les utilisateurs des transports parisiens, qui se sont vu imposer des campagnes d’affichage promotionnel massives de la part du site ces dernières années.
Les frères Truchot justifient la nature de leur business en expliquant qu’ils n’ont fait que « répondre à un besoin », qu’ils ne jouent qu’un rôle de « facilitateur » dans une société où l’adultère « se banalise » [3]. On retrouve donc une base argumentaire régulièrement usitée pour supporter des activités potentiellement critiquables sur le plan moral. La base idéologique de cette optique consiste à réduire les sociétés humaines à un simple marché, où se rencontrent l’offre, panoplie de services n’ayant pour raison d’être que le profit, et la demande, superposition de désirs prosaïques et égocentrés.
C’est cette même approche, issue de l’esprit libéral-libertaire en constante propagation, qui justifie d’autres phénomènes Internet décriés, comme aujourd’hui la prostitution d’étudiantes [4], et demain peut-être la marchandisation de l’enfant.
Quelles que soient les conséquences de l’utilisation des services de Gleeden.com, les fondateurs refuseront assurément d’en assumer la moindre part de responsabilité, puisque la mère de famille, ou plutôt devrions-nous dire la consommatrice, aura fait ses propres « choix ». Mais au-delà de la véritable question morale qui se pose lorsque l’on se joue ainsi de la frontière poreuse entre « l’incitation » et « l’assistance » aux désirs, il faut rappeler des faits concrets, à savoir que les plateformes web d’interactions libres de tous types sont aujourd’hui l’une des voies par lesquelles adviennent des drames majeurs : divorces sanglants, arnaques, racket, mais aussi harcèlement ou suicide.
Reste à savoir si une régulation de l’Internet serait nécessaire. Ce qui est sûr, c’est que la régulation de l’Internet en tant qu’espace de « libre marché » préoccupe bien moins nos pouvoirs publics que la régulation de l’Internet en tant qu’espace de « libre expression »…