Guillaume Duval est rédacteur en chef du mensuel Alternatives Economiques. Il a travaillé pendant plusieurs années dans l’industrie allemande et est notamment l’auteur de Made in Germany : Le modèle allemand au-delà des mythes, paru en 2013.
LVSL : Les débats autour de la loi Travail font rage en France. Au cœur des discussions, on retrouve régulièrement la référence au « modèle allemand » et aux politiques menées par le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder dans les années 2000. Les réformes du marché du travail connues sous le nom de « lois Hartz » sont régulièrement érigées en exemples à suivre. Quels sont les principaux aspects de ces réformes ? Quel a été leur impact sur la société allemande ?
Au cœur des lois Hartz, on trouve la réduction de la durée d’indemnisation du chômage et le renforcement de la pression sur les chômeurs pour qu’ils acceptent des boulots. Après un an au chômage, les demandeurs d’emploi tombent dans une sorte de RSA allemand beaucoup plus contraignant qu’en France : il faut donner des informations sur son patrimoine, on n’a pas le droit de le toucher si on a un trop grand appartement ou une grosse voiture, etc. C’est ce qui a été très mal vécu.
L’autre aspect le plus important de ces réformes, en dehors des lois Hartz, c’est le développement des « minijobs » : lorsque l’on touche moins de 450 euros en Allemagne, on ne paie quasiment pas de cotisations sociales mais on n’a pas non plus de protection sociale. Aujourd’hui, 7,8 millions d’Allemands sont sous ce statut. 5,4 millions ne font que cela et ne pourront percevoir de retraite alors qu’ils ont travaillé. Ce sont essentiellement des femmes qui sont concernées. Les réformes Schröder ont provoqué une forte augmentation de la pauvreté en Allemagne. Elle est aujourd’hui supérieure de trois points à ce qu’elle est en France. Les inégalités ont beaucoup augmenté en Allemagne, davantage qu’en France. L’Allemagne est un des pays de l’OCDE où elles ont le plus augmenté depuis 15 ans. La pauvreté, en particulier, touche beaucoup plus les salariés : 9% de salariés allemands sont pauvres, contre 6% en France. Elle touche aussi particulièrement les retraités, dont 18% sont pauvres.
Une réforme des retraites passée après Schröder – mais également menée par un social-démocrate – a repoussé l’âge de départ à la retraite à 67 ans en 2030 et a réduit les taux de remplacement. Il y a d’ores et déjà beaucoup plus de retraités pauvres qu’en France.
Les minijobs se sont beaucoup développés dans les services à la personne, dans les bars, les restaurants, etc. Les salariés allemands sont donc beaucoup moins couverts par des conventions collectives : seuls 56% d’entre eux sont couverts par une convention collective contre 98% en France. Mais en Allemagne, le droit du travail d’origine étatique est très faible, c’est-à-dire que tout vient quasiment des conventions collectives. Les réformes Schröder ont donc eu pour effet majeur de renforcer les inégalités, et en particulier les inégalités hommes-femmes, car ce sont surtout les femmes qui occupent ces petits boulots à temps partiel.
LVSL : Comment les réformes Schröder ont-elles impacté concrètement le travail des femmes ?
L’un des effets de ces réformes a consisté à amener massivement les femmes sur le marché du travail dans un pays où elles étaient davantage au foyer qu’en France. On a l’habitude de considérer que l’Allemagne est un pays social-démocrate, mais ce n’est pas vrai. L’Allemagne est un pays conservateur, reconstruit par des conservateurs durant tout l’après-guerre et qui se caractérise par le fait que les femmes sont restées beaucoup plus longtemps et beaucoup plus souvent à la maison qu’en France. Guillaume II résumait au début du XXe siècle la place des femmes dans la société allemande par l’expression : enfants, cuisine, église (Kinder, Küche und Kirche). Mais si on demandait à Adenauer au début des années 1960, ce n’était pas très différent.
Cela a beaucoup changé, mais de manière très inégalitaire : un homme salarié allemand travaille une heure de plus par semaine qu’un homme salarié français. Mais une femme salariée allemande travaille trois heures de moins qu’une femme salariée française. L’écart entre les hommes et les femmes en Allemagne est de neuf heures en moyenne chaque semaine. Il est de 4 heures en France, il s’est réduit grâce aux 35h qui ont davantage baissé le temps de travail des hommes, car les femmes étaient plus à temps partiel et n’ont pas vu leur temps de travail diminuer. Ce temps de travail des femmes a augmenté avec Schröder car les réformes ont fait entrer beaucoup de femmes sur le marché du travail, mais à temps très partiel.