Dans une interview exclusive au Parisien-Aujourd’hui en France, le nouveau ministre de la Santé fait le point sur ses priorités, et assure qu’elle réfléchit à « rendre obligatoires 11 vaccins ».
C’est dans son bureau ultra-rangé qu’Agnès Buzyn, le nouveau ministre des Solidarités et de la Santé, nous a reçus mercredi, un mois après sa nomination. Si elle affiche clairement ses priorités, « la lutte contre les déserts médicaux » et la « prévention », cette médecin, spécialiste du sang, a sur le haut de la pile l’explosif dossier de l’obligation vaccinale pour les enfants.
Le Conseil d’État exige que le gouvernement revoie sa copie sur les vaccins pour nourrissons. Que comptez-vous faire ?
Agnès Buzyn : Aujourd’hui, seuls trois vaccins infantiles sont obligatoires (diphtérie, tétanos, et polio). Huit autres, dont la coqueluche, l’hépatite B, la rougeole, sont seulement recommandés. Ce double système est une exception française. Cela pose un vrai problème de santé publique. Aujourd’hui, en France, la rougeole réapparaît. Il n’est pas tolérable que des enfants en meurent : dix sont décédés depuis 2008. Comme ce vaccin est seulement recommandé et non obligatoire, le taux de couverture est de 75 % alors qu’il devrait être de 95 % pour prévenir cette épidémie. On a le même problème avec la méningite. Il n’est pas supportable qu’un ado de 15 ans puisse en mourir parce qu’il n’est pas vacciné. Nous réfléchissons donc à rendre obligatoires les onze vaccins [1] pour une durée limitée, qui pourrait être de cinq à dix ans. L’Italie l’a fait la semaine dernière.
Mais une partie des Français y est hostile...
C’est paradoxal. D’un côté, les Français veulent un vaccin dès qu’un virus apparaît, comme Ebola ou Zika. De l’autre, ils sont méfiants face aux existants. Cela me trouble car ils ont sauvé des milliards de vies, mais on l’a oublié. On ne retient que des effets secondaires, dont beaucoup n’ont pas été prouvés. Pasteur, leur inventeur, se retournerait dans sa tombe. Il faut vraiment faire œuvre de pédagogie. La vaccination, ce n’est pas seulement l’intérêt qu’on y trouve soi-même, c’est un enjeu de solidarité, une façon de protéger l’ensemble de la société.
Faut-il vraiment en passer par l’obligation ?
Je déteste la coercition, ce n’est pas dans mon tempérament. Mais là, il y a une urgence. Une quinzaine d’enfants sont hospitalisés à cause de la rougeole, cela m’inquiète. Il y a des fois où l’obligation est une bonne chose pour permettre à la société d’évoluer. Je pense à l’égalité hommes-femmes. On n’aurait jamais réussi à progresser dans la parité sans l’imposer dans les conseils d’administration.
Ne craignez-vous pas de faire la part belle à l’industrie pharmaceutique ?
Je refuse qu’on me colle cette étiquette. Oui, les industriels gagnent de l’argent, mais on ne peut pas réduire la question de la vaccination à l’intérêt des laboratoires.