Dans la nuit du 12 au 13 mars 2015, un puissant cyclone tropical a touché la République du Vanuatu, archipel de l’ouest du Pacifique Sud, à 540 km au nord-est de la Nouvelle-Calédonie. Sur un air désormais bien connu, le monde scientifico-médiatico-politique s’est empressé de faire de cet événement météorologique dévastateur une nouvelle preuve du réchauffement climatique en cours. Il est vrai que, dorénavant, en toute occasion, on parle de « catastrophe climatique », expression qui n’a aucun sens puisque le climat se définit dans la durée, mais fort opportune pour faire accroire que chaque aléa météorologique est attribuable au prétendu « dérèglement » du climat.
Le cyclone Pam ne déroge pas à la règle : il a commencé à se faire remarquer sous la forme d’une dépression tropicale, le 6 mars. Deux jours plus tard, celle-ci se transforme en tempête tropicale, puis passe au stade de cyclone le 9 mars, évoluant rapidement, à mesure qu’il se rapproche de l’archipel de Tuvalu, jusqu’à la cinquième et dernière catégorie. Les dégâts ont été considérables, car non seulement le cyclone a été remarquablement puissant, mais de plus le centre du cyclone a touché l’ouest de Tuvalu, et ce au moment où il était le plus destructeur. Le bilan humain est de 16 morts.
Le syndrome du superlatif superfétatoire
Cela n’a pas tardé. Chacun y est allé de sa déclaration à l’emporte-pièce, oubliant tout sens de la mesure. Pour l’Unicef, le cyclone Pam pourrait être « l’un des pires de l’histoire du Pacifique », tandis que le directeur de l’ONG Save the Children estime, avec un certain manque de décence, que les conditions sur place sont pires qu’après le cyclone Haiyan, qui avait touché les Philippines en 2013, faisant 7 350 morts.
Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a déclaré le 14 mars à Sendai, au Japon, lors de la troisième Conférence mondiale des Nations unies sur la réduction des risques de catastrophe :
« Aujourd’hui, on estime en effet que plus de 70 % des catastrophes dites naturelles sont liées au dérèglement climatique. »
Ce qui est déjà bien audacieux. Puis, deux jours plus tard, croyant sans doute au caractère performatif de sa parole, il s’exprimait en ces termes sur le cyclone Pam :
« On sait que 70 % des catastrophes dites naturelles sont liées au dérèglement climatique. Le cyclone Pam constitue un nouveau cri d’alarme pour que la communauté internationale prenne ses responsabilités. »
Le président vanuatais Baldwin Lonsdale n’a pas dit autre chose en déclarant que le changement climatique avait accentué la puissance dévastatrice du cyclone. Message reçu 5/5 par François Hollande, qui a fait savoir que « les autorités françaises répondront aux demandes d’assistance du Vanuatu », avant d’ajouter que « cette tragédie démontre, une fois de plus, l’urgence de lutter contre les dérèglements climatiques et d’aider les pays les plus vulnérables à y faire face ».
La conférence sur le climat devant se tenir à Paris en fin d’année, notre gouvernement est très impliqué sur le sujet. Du côté du protocole de Kyoto, qui a lamentablement échoué à faire diminuer les émissions de gaz à effet de serre, puisqu’elles ont au contraire considérablement augmenté, on cherche un nouvel accord encore plus ambitieux. Du côté de la diplomatie française, à défaut de sauver la face, on tente de sauver la Planète.
La presse, fameux contre-pouvoir, a rapidement emboîté le pas des politiques, quand elle ne les a pas précédés. La palme revient assez probablement à BFMTV qui a relayé la déclaration de l’OXFAM (confédération d’ONG humanitaires) selon laquelle le cyclone Pam serait le plus puissant jamais enregistré. L’un des paramètres souvent mis en avant est la vitesse du vent en rafale, au centre de la dépression. Il n’y a visiblement rien de certain, puisque les journalistes échelonnent cette vitesse « instantanée » entre 320 et 350 km/h. C’est bien sûr considérable, mais ni un record mondial, ni un critère retenu par le monde scientifique.
Pour bien insister sur le caractère totalement hors du commun de cet événement, le journal Le Monde revient sur le supertyphon [1] Haiyan, lui aussi de grande intensité, qui a ravagé une partie des Philippines il y a seulement seize mois.
« Signe des temps, le caractère hors du commun de Haiyan avait conduit certains scientifiques à s’interroger sur la nécessité d’ajouter un sixième niveau à l’échelle de Saffir-Simpson qui indexe la puissance des cyclones tropicaux de un à cinq. (…) Avec des rafales excédant 350 km/h, Pam pourrait relancer ce débat. »
Et d’ajouter qu’avec le changement climatique, la proportion de cyclones destructeurs devrait augmenter, ce qui s’observe déjà sur le bassin Atlantique. « La destruction du Vanuatu vient de remettre en lumière la réalité de cette tendance », qui devrait donc concerner également le Pacifique Sud...
De son côté, le JDD donne la parole à deux experts de Météo-France. Dominique Raspaud, chargée de la communication avec les médias, reste factuelle et précise : Pam est l’un des cyclones les « plus puissants de tous ceux que l’on a connus dans cette région, et en tout cas, le plus fort qui ait jamais traversé le Vanuatu ». Comme l’incontournable Jean Jouzel dans Libération, Serge Planchon, responsable du groupe de recherches climatiques à Météo-France, explique lui que, d’après le GIEC, le nombre de cyclones ne devrait pas augmenter, mais que leur intensité devrait croître « après 2050 ». Et de prendre l’exemple du cyclone Monica, qui a touché le nord de l’Australie en avril 2006, « avec des vents en rafale dépassant les 360 km/h pour une pression atmosphérique en son centre de 879 hectopascals, l’une des plus basses jamais mesurées ! »
Manœuvres journalistiques
Il est rare qu’un cyclone ait l’obligeance de faire passer son centre dépressionnaire à proximité d’une station météorologique, si bien que les valeurs de pression atmosphérique et de vitesse des vents ne sont pas toujours connues avec précision. Des estimations grâce aux satellites sont possibles, mais incertaines. Lorsqu’une donnée est disponible (éventuellement par extrapolation) et pas l’autre, on a recours à des constructions mathématiques reliant les deux variables. Mais chaque scientifique y allant de sa proposition de modèle, les résultats sont variés et discutés. C’est ainsi que pour le cyclone Monica, la première estimation de la pression minimale, en plein ouragan, fut de 905 hPa, avant d’être remontée à 916 hPa par les mêmes scientifiques. Puis vinrent les propositions sensationnalistes : 905 hPa, puis 879 hPa et enfin 868,5 hPa, record battu ! En 2010, la NASA indiqua que la valeur de pression se situait probablement entre 900 et 920 hPa et affirma avec force que Monica n’était pas le plus puissant cyclone tropical observé avec les outils modernes. Le choix de Serge Planchon d’évoquer le cyclone Pam en choisissant volontairement une valeur basse de pression estimée montre la volonté d’orienter le propos dans le sens du catastrophisme, en oubliant pour cela l’obligation de rigueur et d’honnêteté qui devrait caractériser toute entreprise scientifique.
Quant à la technique du Monde pour décrire l’actuelle évolution des cyclones dans le contexte du réchauffement climatique, elle illustre parfaitement une façon de faire très en vogue : le cherry picking, autrement dit « la cueillette des cerises ». Il s’agit de choisir soigneusement les données qui vont dans le sens souhaité et d’ignorer celles qui dérangent. Les auteurs d’un livre sorti en 2007 aux éditions Odile Jacob, Comprendre le réchauffement climatique, avaient procédé exactement de la même manière. Abordant la question des cyclones, ils avaient, pour leur exposé, retenu le seul cas du bassin Atlantique, où la tendance était à la hausse, tant en intensité qu’en nombre. Rien n’était dit sur les autres bassins océaniques, mais le lecteur confiant était naturellement amené à penser que le cas exposé était emblématique. Le problème, c’est que l’exemple pris ne représentait que 20 % des cyclones, qu’il était le seul présentant une telle tendance, qu’il n’y avait aucune tendance générale, ni dans un sens, ni dans l’autre ; il y avait même des bassins où cette tendance était à la baisse. Ce que rapportait un bilan très officiel émanant de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) de cette même année 2007. Le journal Le Monde ne s’est donc pas trompé en choisissant le seul exemple allant dans le sens donné par les modélisateurs pour le futur, mais a tout de même poussé le bouchon un peu trop loin. Car si le cyclone Pam dévastant le Vanuatu était réellement, lui aussi, un reflet de cette tendance, que les journalistes souhaitent vainement générale, les données disponibles pour le Pacifique Sud en feraient état, même timidement. C’est pourtant tout le contraire :
Cet histogramme montre l’évolution du nombre de cyclones dans le Pacifique Sud sur plus de quarante ans, jusqu’à la saison 2012/2013, par catégorie. Il est manifeste qu’il n’y a d’augmentation ni du nombre total de cyclones chaque année, ni des plus puissants d’entre eux.
Grâce à un matraquage incessant, les médias ont sans peine orienté la représentation du réel de ceux qui les écoutent encore, et même de ceux qui ne les écoutent plus guère. Il n’y a qu’à entendre ce qui se dit et lire ce qui s’écrit dès qu’il pleut plus qu’habituellement ou que le vent souffle plus fort que d’ordinaire en France pour mesurer la perte de familiarité de beaucoup avec le monde dans lequel nous vivons. Les écrans, qui auraient pu tant apporter, portent donc bien leur nom.
Les faits sont têtus
Pour prendre un peu de distance avec les présentations peu honnêtes des journalistes mainstream, un retour au réel peut aider, par la médiation de quelques cartes et graphiques n’ayant rien à cacher.
La carte ci-dessous présente les trajectoires des cyclones tropicaux dans le monde entre 1945 et 2006. Le code couleur indique l’intensité de chacun d’entre eux aux différents stades de leur développement et permet donc de différencier clairement les zones où ils sont les plus destructeurs.
Le Pacifique Sud est à l’image du reste de l’hémisphère austral : beaucoup moins concerné que les bassins océaniques de l’hémisphère nord. Peu fréquents, les cyclones des catégories les plus élevées n’y sont cependant pas inexistants. C’est en 2002 que fut observé le plus puissant de la région, le cyclone Zoe, qui passant à environ 500 km à l’est du Vanuatu, sans toucher de masse continentale, ni de grandes îles : il n’y eut aucun mort et des dégâts minimes, bien que localement importants.
Le Vanuatu est concerné par deux cyclones par an en moyenne. Cyclones peu destructeurs touchant parfois l’archipel ou cyclones de forte intensité ayant jusqu’à présent gardé leur distance. Le caractère exceptionnel de la situation actuelle pour le Vanuatu tient à la réunion de deux facteurs aggravants : la survenue d’un cyclone d’intensité peu fréquente mais ne relevant pas du jamais vu et une trajectoire particulièrement défavorable. Les phénomènes très peu fréquents, pour exceptionnels qu’ils soient, n’en sont pas pour autant nécessairement anormaux.
Le secteur ouest du Pacifique Nord est celui qui connaît à la fois les cyclones les plus nombreux et les plus violents. Il est donc particulièrement intéressant de regarder l’évolution des quatre dernières décennies pour cette région. Le nombre de tempêtes tropicales (tropical storms) et de cyclones (hurricanes) n’y connaît aucune tendance à la hausse :
L’indice ACE (Accumulated Cyclone Energy) est communément utilisé pour évaluer l’intensité tant d’un cyclone pris isolément que d’une saison cyclonique. Son évolution pour l’ouest du Pacifique Nord ne montre là non plus aucune tendance à la hausse :
Regarder ces évolutions au niveau mondial conduit précisément aux mêmes conclusions :
- Évolution du nombre total de cyclones (bas) et de tempêtes tropicales (haut) au niveau mondial
- Évolution de l’indice ACE au niveau mondial (haut) et pour l’hémisphère nord (bas)
À la lecture de ces graphiques, on comprend aisément pourquoi les médias font constamment référence aux prévisions des modèles, plutôt qu’à ce qui se passe réellement. Ils auraient beaucoup plus de mal à vendre de la peur ! En annonçant le pire et en isolant du passé des phénomènes météorologiques qui ont pourtant une histoire, ils tentent de nous faire accroire qu’aujourd’hui, c’est déjà demain. L’ennui pour les Cassandre, c’est que, certes, il y aura des cyclones destructeurs à l’avenir, mais ils furent par le passé bien pires que ceux que nous connaissons depuis l’ère des satellites.
Éclairage historique
Un cyclone tropical est d’autant plus puissant que la dépression est creuse, autrement dit que la pression atmosphérique en son centre est faible. On se sert donc communément de cette valeur pour les classer. La pression moyenne sur Terre au niveau de la mer est de 1013 hPa. En France, le record de basse pression date de 1821 (947 hPa). Au niveau mondial, c’est près du centre du typhon Tip que le record a été enregistré : 870 hPa ! Ce cyclone est à ce jour le plus puissant qui soit documenté, le plus vaste aussi, avec un diamètre excédant 2 000 km. Lui non plus n’est pas très récent, puisqu’il date de 1979. Le tableau suivant montre que de très intenses cyclones ont eu lieu avant les années 1980, atteignant des valeurs jamais retrouvées depuis.
Il faut noter toutefois que le Joint Typhoon Warning Center, qui dépend de l’armée américaine, a attribué à plusieurs cyclones du Pacifique Nord-ouest au cours de années 1990 des valeurs de pression reconstituées de 872 hPa, très en deçà de ce qui a été retenu par la suite (valeurs supérieures ou égales à 900hPa), mais que l’on trouve néanmoins fréquemment citées lorsque l’on fait des recherches sur le sujet.
N’en déplaise aux journalistes et aux scientifiques dont la notoriété vient de leur posture de sonneurs d’alerte, les plus forts cyclones que la Terre ait connu ces dernières décennies ne doivent rien au réchauffement climatique, puisqu’ils sont survenus au contraire lors d’une période plus fraîche. En prenant encore plus de recul grâce à des reconstitutions paléoenvironnementales dans le bassin Atlantique [2], on parvient à une conclusion similaire. Les cyclones les plus violents ont en effet diminué de fréquence des années 1760 au début des années 1990, l’activité des décennies 1970 et 1980 apparaissant comme exceptionnellement basse. La hausse temporaire du début des années 1990 n’est donc qu’un retour à une situation plus normale. De même, si l’on se penche sur les plus puissants cyclones ayant touché les côtes nord-américaines, l’on constate que le petit âge glaciaire a été une période pourvoyeuse de puissants cyclones jusqu’à 1893, sans que cela ait été revu depuis.
Des faits en totale contradiction avec la théorie admise au sein du GIEC, selon laquelle la température de l’océan où ces cyclones se forment doit être d’au moins 26-27 °C sur une épaisseur de plus de 50 mètres, conditions de l’apport en énergie au sein du système. En bonne logique, la situation actuelle est donc plus propice que le passé récent à des cyclones puissants, et le passé récent plus que le passé ancien, ce qui jusque-là est contredit par les faits. Il est donc légitime de douter des projections du GIEC qui, prolongeant la tendance au réchauffement de la fin des années 1970 à celle des années 1990, annoncent pour les décennies à venir un renforcement de la puissance des cyclones grâce à de plus chaudes eaux équatoriales en surface. C’est certes là où les eaux sont les plus chaudes que s’amorce, pour une autre raison, le tourbillon qui pourra devenir tempête tropicale, puis par la suite cyclone, mais celles-ci ne fournissent qu’une infime partie de son énergie, l’essentiel provenant de latitudes plus élevées, grâce à la circulation des alizés se chargeant de chaleur et d’humidité au-dessus des régions tropicales. Et c’est justement durant les périodes plus fraîches que cette circulation est la plus intense, donc l’alimentation en énergie la plus performante [3].
Alors que le GIEC s’enfermait, au sujet des cyclones, dans un catastrophisme difficilement justifiable, le spécialiste de renommée mondiale Christopher Landsea s’est retiré en 2005 du processus d’élaboration du quatrième rapport. Il a longuement expliqué son départ dans une lettre adressée à la communauté des chercheurs, espérant un sursaut de leur part. Selon lui, le comité chargé d’examiner l’influence du réchauffement sur l’activité cyclonique n’avait pas la neutralité requise, souhaitant absolument mettre à jour un lien entre ces deux phénomènes avec des données ne le permettant pas. Après de vifs débats, l’OMM a publié en 2007 le rapport dont il était question plus haut, infiniment moins catastrophiste, comme finalement le GIEC dans son rapport de la même année.
Puisque nos journalistes pensent avoir là une vérité révélée inattaquable bien que potentiellement amenée à évoluer, renvoyons-les vers le Rapport spécial du GIEC sur les phénomènes extrêmes, paru en 2012 :
« L’attribution à une influence humaine de tout changement décelable dans l’activité des cyclones tropicaux ne bénéficie que d’un faible degré de confiance, pour diverses raisons : incertitudes qui entachent les relevés historiques, compréhension imparfaite des mécanismes physiques qui lient les paramètres des cyclones tropicaux au changement climatique et degré de variabilité de l’activité cyclonique. »
Il est vrai que, dans ces conditions, l’habituelle pirouette que sait si bien exécuter Jean Jouzel, qui consiste à affirmer que « tel événement destructeur n’est pas directement attribuable au réchauffement climatique, mais que c’est néanmoins ce à quoi nous devons nous attendre à l’avenir », ne devrait alors pas être possible. Les journalistes ne se privent pourtant pas. Ils ont suffisamment façonné la perception qu’ont leurs concitoyens de la réalité dans le sens de leurs propos, qu’ils peuvent désormais mentir sans vergogne. C’est le contraire qui choquerait.