Egalité et Réconciliation
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Crue "historique" de 2016 : retour au sérieux

Analyse d’un emballement politico-médiatico-réchauffiste à grosses ficelles

Mythifiée, référence absolue en matière de débordement de la Seine pour les Parisiens, la crue de 1910, qualifiée de centennale, a donc eu lieu il y a maintenant un peu plus d’un siècle. De quoi alerter les médias depuis une poignée d’années, qui attendent un nouvel événement majeur à couvrir. Les autorités parisiennes et de l’État aussi, ce qui est heureux, puisqu’elles ont organisé en mars dernier la simulation d’une crue majeure à Paris. Alors qu’on ne l’attendait plus cette année, on a finalement cru que c’était arrivé. Chacun allait pouvoir faire son travail : non pas, pour les uns, informer la population et, pour les autres, tirer des conclusions du passé pour mieux appréhender l’avenir en tâchant de le rendre meilleur. Plutôt, pour chacun, servir une cause en se servant de l’actualité. La catastrophe n’a finalement pas eu lieu, en tout cas à Paris, où sont braqués les projecteurs. Mais l’événement a eu le retentissement nécessaire pour faire passer le message voulu à propos de ce marronnier médiatique qu’est le réchauffement climatique, susceptible de revenir à tout moment et qui, de fait, revient constamment.

 

Contexte géographique

 

Paris, situé peu après la confluence de la Seine et de la Marne, recueille en son sein un vaste réseau hydrographique. Le débit de la Seine y est en moyenne de 328 m3/s (pour un bassin versant de 43 500 km²).

 

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Bassin versant de la Seine (source : Wikipedia)

 

Mis à part sur sa périphérie, notamment sud-est (et particulièrement le Morvan), les précipitations moyennes annuelles sont assez faibles sur le bassin versant de la Seine, y compris en amont de Paris. Parfois moins de 700, voire 600 mm/an. Par ailleurs, les précipitations y sont globalement bien réparties dans l’année, voire légèrement plus importantes durant la saison chaude. La Seine connaît cependant des variations de débit non négligeable, d’environ 250 m3/s en août et septembre à plus de 800 m3/s en février (à Poissy, à l’aval de Paris, après la confluence avec l’Oise). Ces variations s’expliquent par l’évaporation (directe) et l’évapotranspiration (par les plantes) estivales qui limitent d’autant l’écoulement. On parle d’étiage pour les basses eaux et de crues pour les hautes eaux. Crue n’est donc pas synonyme d’inondation. Il faut que la crue connaisse un maximum remarquable afin que le cours d’eau déborde, se répande dans son lit majeur, pour que l’on puisse parler d’inondation. Pour cela, il faut que survienne une période particulièrement pluvieuse sur l’ensemble de la région, avec des épisodes intenses, dans un contexte où les sols sont déjà saturés. Le débit de la Seine et de ses affluents gonfle alors, jusqu’à des niveaux critiques entraînant l’expansion de la crue hors de son lit mineur, celui dans lequel elle coule habituellement.

 

La crue de 1910

 

C’est ce qui s’est passé lors de la célèbre « crue de 1910 », survenue en janvier, lorsque le débit de la Seine a atteint 2400 m3/s. On pouvait alors se rendre en barque à la gare de Lyon.

 

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Rue de Lyon, Paris XIIe, 1910

 

L’événement a donné lieu à des scènes aujourd’hui surprenantes, comme sur la photographie ci-dessous, montrant des pavés de bois s’étant désolidarisés de la chaussée, et flottant donc en surface.

 

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Rue Jacob, Paris VIe, 1910

 

Sur ces photographies, nous voyons l’inondation provoquée directement par la crue de la Seine, par débordement. Mais un autre phénomène a joué : la remontée de nappe. Celle-ci n’a pas seulement inondé des caves, mais aussi conduit l’eau jusqu’en surface, parfois assez loin des rives du fleuve, comme à la gare Saint-Lazare (à environ 1,5 km de la Seine à vol d’oiseau).

 

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Remontée de nappe ayant inondé le métro. Gare Saint-Lazare, Paris VIIIe (1910)

 

Dans les lieux situés légèrement plus bas, l’eau a atteint la surface, jusqu’à envahir les rues :

 

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Gare Saint-Lazare, Paris VIIIe (1910)

 

Cette résurgence de l’eau via le réseau souterrain du métro permet d’expliquer cette déconnexion géographique importante de cette partie des inondations vis-à-vis du lit vif du fleuve, mais elle doit elle-même être expliquée.

 

Du nécessaire éclairage du passé

 

Dans les plaines, le cours des fleuves et rivières n’est pas immuable. Il migre latéralement de manière tout à fait naturelle. C’est ainsi que la Seine, dans sa traversée de l’espace actuellement occupé par la capitale, n’a pas toujours été là où on la connaît de nos jours. La figure ci-dessous montre le tracé d’un ancien méandre de la Seine, qui partait de Bercy, rejoignait la gare de Lyon, puis la Bastille, passait par les Grands Boulevards, et se connectait au cours actuel au niveau de l’Alma.

 

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Ancien méandre de la Seine et réseau hydrographique avant le XIXe siècle
(source)

 

Peu à peu inactif, ce paléoméandre est devenu une zone humide dans l’Antiquité, jusqu’au Moyen Âge central, puis fut converti en égout principal de la rive droite, continuant donc à drainer le secteur, même après avoir totalement disparu de la surface. Malgré les remblaiements réalisés au cours des siècles, la morphologie de ce méandre s’inscrit toujours dans la topographie fine de Paris.

Les grandes crues de l’époque moderne que l’on connaît ont toutes emprunté ces zones de basse altitude relative : 1658, 1740, 1802 et 1910. Mais un phénomène intéressant s’est fait jour. Une étude comparée des crues de 1740 et 1910 a montré la hausse relative de la part des inondations par remontée de nappe par rapport à celle par débordement. La canalisation progressive de la Seine et l’élévation de ses rives a favorisé la circulation souterraine.

 

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A : formations alluviales dans le lit majeur de la Seine (sous la cote 35 m). Le tracé de l’ancien méandre apparaît clairement ;
B : zones inondées lors de la crue de 1910 (par débordement et remontée de nappe)
(source)

 

Sur la figure ci-dessus, on voit très bien à droite que lors de la crue de 1910, les inondations de caves, et plus globalement par remontée de nappe, forment deux bras qui tendent à se rejoindre, en lieu et place de l’ancien méandre, dont les sols, sous l’asphalte, ont conservé la mémoire (formations alluviales – à gauche).

En résumant d’une formule lapidaire et populaire : « la Nature a repris ses droits », qu’elle n’avait en réalité jamais perdus.

 

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Inondation de la rue de Bièvre, en rive gauche. La Bièvre, petit affluent de la Seine, canalisée et recouverte à la fin du XIXe siècle, coule en temps normal sous la rue !

 

La crainte d’une nouvelle crue 1910

 

Par définition, une crue centennale de la Seine survient en moyenne une fois par siècle. En moyenne sur un temps de référence très long, que l’on n’a guère, ce qui n’empêche visiblement pas de fournir des temps de retour pour différents niveaux de crue, y compris très élevés et donc rares. Dit autrement, chaque année, il y a une chance sur cent que la Seine connaisse une crue centennale. Ce qui peut conduire aussi bien à avoir trois crues centennales en un siècle qu’aucune durant 150 ans. Mais « Dieu ne joue pas aux dés », pour reprendre la formule d’Einstein. Les crues remarquables ne résultent pas du hasard et toutes les époques ne sont pas à égalité quant à leurs chances d’en connaître une. Les époques comme la nôtre, qui connaît un petit optimum climatique, sont moins soumises aux événements météorologiques violents (et donc, pour ce qui nous concerne ici, aux épisodes fortement pluvieux) que les périodes plus fraîches. Mais une très forte crue, même moins probable, reste toujours possible.

Un renouvellement du scénario de 1910 est donc bien sûr fortement redouté. Outre les effets directs sur les habitants des zones qui seraient touchées et donc sans électricité, ni eau potable, il faut aussi préciser que se trouvent en zone inondable ou de fragilité électrique des centres aussi importants que la mairie de Paris, le palais de l’Élysée, l’Assemblée nationale, la préfecture de police et le palais de justice, la préfecture de région, le ministère de l’Économie et des Finances ou encore celui des Affaires étrangères, le siège de l’état-major de l’armée, mais encore plusieurs casernes de sapeurs-pompiers.

Par ailleurs, l’inondation de 1910 a aussi fortement touché les zones avale et amont de Paris, comme le rapporte cette carte d’époque :

 

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Zones inondées de banlieue parisienne (L’Illustration du 5 février 1910)

 

Or, depuis, l’urbanisation s’est développée de manière considérable. L’extension du bâti en 1910 n’est finalement pas très différente de ce qu’elle était dans les années 1820 (carte ci-dessous à gauche). Certes, Paris s’est étendu (on repère sur cette carte et la précédente la ligne de chemin de fer de la petite ceinture, bon point de comparaison), mais les communes de la périphérie n’ont pas beaucoup changé. La situation actuelle (carte de droite) n’a en revanche plus grand chose de comparable : l’artificialisation des sols est générale.

 

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Moitié orientale de Paris et sa banlieue, dans les années 1820 (carte d’état-major) et au début du XXIe siècle (carte topographique actuelle). Source : Géoportail.

 

Là où, en 1910 comme au début du XIXe siècle, l’eau pouvait percoler dans le sol, de nos jours elle ne peut que ruisseler et gonfler les égouts, qui, en cas de trop fort débit, déversent les eaux pluviales directement dans le fleuve. De même, là où ce dernier pouvait librement s’épandre dans son lit majeur, il est maintenant corseté dans ses rives surélevées et artificialisées, ce qui augmente encore le débit et donc la crue vers l’aval.

On peine, de nos jours, à appréhender les changements paysagers qui ont eu lieu dans un passé pas si lointain, et donc les modifications engendrées dans le fonctionnement des milieux « naturels », particulièrement dans les plaines accueillant de grands fleuves. Prenons l’exemple, dans un autre contexte, du Rhin, canalisé au cours du XIXe siècle.

 

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Le Rhin à hauteur de Colmar.
À gauche, dans la première moitié du XIXe siècle (carte d’état-major). N’est représentée que la partie française. À droite, actuellement (carte topographique). Source : Géoportail. Photographie du bas : le même site de nos jours, en regardant vers le sud.

 

Naturellement dans ce secteur : un chenal principal pouvant se déplacer plus ou moins et un lacis de chenaux secondaires déterminant l’existence de bancs de sédiments plus ou moins stables, couverts d’une forêt alluviale pour beaucoup. On parle du Rhin à tresses. Bien sûr, la navigation est grandement facilitée par la « rectification », puis la canalisation du fleuve. Mais, outre le crève-cœur pour le naturaliste et celui qui s’intéresse aux sociétés paysannes qui tiraient profit de ce milieu original, ces travaux d’aménagement du Rhin sont aussi synonymes d’aggravation des crues vers l’aval, le rôle tampon des zones d’expansion du fleuve hors de son lit mineur n’étant plus possible.

Le cas de la Seine est moins extrême, mais, peu ou prou, la presque totalité des fleuves et rivières de France est concernée par ce type d’aménagements.

Nous pouvons ajouter un autre phénomène, dont l’agronome spécialiste des sols Claude Bourguignon parle fréquemment : l’imperméabilisation des sols agricoles, suite à des pratiques culturales agressives et nocives pour son activité biologique. Par rapport à une forêt voisine ou une prairie permanente, la percolation des pluies dans un sol soumis depuis des décennies à une agriculture industrielle est très réduite. Il s’ensuit un ruissellement augmenté, qui va gonfler le réseau hydrographique local et, au final, les rivières et les fleuves. Un phénomène qui resterait cependant à quantifier...

Tout est donc réuni pour aggraver les crues et conférer à celles-ci des conséquences plus importantes que par le passé. Signalons tout de même l’existence de barrages-réservoirs en amont de Paris, au nombre de quatre, capables, en retenant une masse d’eau non négligeable, d’écrêter les crues. Or, compte-tenu de leurs capacités de stockage tout de même limitées et de leur localisation, ils peuvent atténuer quelque peu les dégâts, mais guère plus. Par ailleurs, ils ont aussi pour fonction de soutenir le débit du fleuve en période d’étiage, ce qui les a conduit à être pleins en cette fin de printemps 2016 et donc à n’être d’aucun secours notable.

 

La crue de 2016

 

Le suspens étant nul, puisque chacun sait que la catastrophe n’a pas eu lieu (un politique chevronné aurait dit qu’elle a été évitée !), disons-le sans détour : nous avons assisté à une belle crue, mais somme toute banale. Nous sommes restés légèrement en deçà du niveau de 1982 (6,16 m, mesurés alors au pont d’Austerlitz), soit une caractérisation en crue décennale. Les crues dites exceptionnelles commencent à 7 mètres, c’est-à-dire avec les crues cinquantennales ; a fortiori au-delà de 8 mètres, niveau minimal des crues centennales, comme la fameuse crue de 1910 (8,62 m) et plus encore celle de 1658 (8,96 m).

La comparaison avec 1910, grâce au montage photographique suivant, est sans équivoque :

 

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Quai des Grands-Augustins, 1910 sur fond de 2015 (équivalent à début juin 2016 !). À voir : l’excellent travail documentaire d’où est tirée cette image.

 

L’instrumentalisation politique n’a bien sûr pas manqué. Le président François Hollande, pourtant habitué à prendre l’eau depuis le début de son quinquennat, n’a pas hésité à faire la promotion de l’après COP21, qu’accueillait Paris fin 2015. Évoquant le réchauffement climatique, il a déclaré : « Je ne voudrais pas que les intempéries hélas très graves que connaît mon pays puissent laisser penser que nous ne sommes pas touchés par ce phénomène » (sic !). Sans doute faut-il comprendre que ces intempéries montrent que nous ne sommes pas non plus à l’abri des effets du réchauffement climatique (? !)... Puis d’ajouter : « Quand il y a des phénomènes climatiques de cette gravité, nous devons être tous conscients que c’est à l’échelle du monde que nous devons agir. » Rappelons que la notion de phénomène climatique n’a aucun sens, sachant que c’est sur la durée qu’est défini le climat. On ne peut en vouloir au président, qui avait par ailleurs, comme son ex-compagne (la ministre), déclaré que les tsunamis étaient dus au réchauffement climatique ! Nous nous serions volontiers contentés du peu éloquent mais cependant concis « Que d’eau ! Que d’eau ! » du président Mac Mahon devant les inondations de la Garonne en 1875.

Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, ayant bien conscience que, dans une société occupée par les médias, la réalité importe assez peu et que ce qui compte réellement, c’est bel et bien le discours qui la désigne et prend sa place, a fait sa part elle aussi, en influant directement sur les prévisions météorologiques et l’estimation du risque de crue. Peut-être l’habit de ministre de l’Écologie confère-t-il à celui qui le revêt un savoir inné de prévisionniste...

 

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Ségolène Royal, experte tous azimuts

 

Lors d’un point presse, le 4 juin, tandis que le pic de crue à Paris avait déjà eu lieu, et que, on peut l’imaginer, les prévisionnistes présents pouvaient être satisfaits de venir avec des nouvelles rassurantes, madame le ministre n’envisageait pas les choses ainsi. Apparemment, il fallait maintenir autant que possible une dramaturgie à la hauteur, sinon de l’événement, du moins des enjeux.

Petit extrait d’un échange entre Ségolène Royal et un prévisionniste :

Ségolène Royal – On va passer en vigilance… on est en vigilance orange sur ce secteur ?
Prévisionniste – Sur ce secteur, on n’est pas encore en vigilance orange orages, il est possible qu’on le fasse en cours de nuit.
SR – Moi je pense qu’il faut y passer avant la nuit, hein ?!
P – Mes collègues de Toulouse et des régions sont en train de travailler sur le sujet. On surveille en permanence… dès qu’on va considérer qu’on va passer le risque…
SR – Je pense qu’il faut y passer, en vigilance orange orages, avant la nuit…
P – Bien madame la ministre.

Ségolène Royal aura obtenu sa vigilance orange, contre l’avis des professionnels dont c’est le métier. Elle insistera de même pour que le cours aval de la Seine, dans la région de Rouen, soit placé en vigilance crue rouge. La réponse de l’expert :

« Madame la ministre, nous sommes en vigilance orange et malgré les fortes marées attendues, nous devrions rester largement sous le seuil de déclenchement de la vigilance rouge. [...] Le seuil de la vigilance rouge est de 9 mètres, de mémoire, et nous devrions être sous les 8 mètres, 7,50 mètres. »

Résultat ? Ségolène Royal obtient là aussi gain de cause, la vigilance rouge est annoncée en fin d’après-midi, contre l’avis des centres normalement décisionnaires.

Visiblement, les scientifiques ont un peu trop rechigné à suivre les politiques et les journalistes. Ce qui a tout de même permis de voir Jean Jouzel, d’habitude si prompt à anticiper un réchauffement forcément catastrophique, tempérer les déclarations d’Yves Calvi, souhaitant faire de ces inondations une manifestation avérée de la hausse des températures mondiales. Le démenti des journalistes, lorsqu’ils ne pouvaient faire autrement, a pris une tournure très prudente quand il s’est agi d’exonérer le réchauffement climatique. Pour Le Figaro du 3 juin, celui-ci « ne serait pas responsable des actuelles crues du Bassin parisien ». On apprécierait un tel usage du conditionnel dans l’autre sens, d’ailleurs beaucoup plus justifié.

C’est dans ce contexte que Yann Wehrling, ancien secrétaire national du parti écologiste Les Verts, porte-parole du MoDem et conseiller de Paris et d’Île-de-France, a lancé un appel aux scientifiques dans une tribune du JDD. Après bien sûr un court préambule sur les facteurs aggravants propres à notre société moderne (rappelés plus haut dans cet article), et qui vise à montrer qu’il est un homme modéré, il rentre dans le vif du sujet :

« Assumons-nous réellement le lien entre le changement climatique et des événements tels que, par exemple, les actuelles inondations ? Lien qui pourrait pourtant accélérer les prises de décisions. »

Puis d’exhorter les scientifiques à devenir pleinement des activistes, à entrer en politique dans le cadre de leur expertise :

« Si vous ne faites pas, systématiquement et avec force, de ces dramatiques événements climatiques, des occasions de demander à tous, à titre collectif et individuel, de mettre en œuvre urgemment ce que vous dites dans vos rapports internationaux sur le changement climatique, vous serez à côté de vos responsabilités. Ce message doit être sans ambiguïté, et vous seuls, scientifiques et experts du climat, avez la crédibilité pour le porter. Pour accélérer les changements de comportements et les décisions, et ainsi éviter les catastrophes humaines annoncées, il faut que le message soit clair. Ce message, portez-le ! »

Un peu de sérieux !

 

Évidemment, il sera assez difficile, pour les scientifiques, de jongler avec des prévisions catastrophiques contradictoires. Comme le rapportait le JDD du 6 mars 2016, à l’occasion de la simulation d’une crue majeure de la Seine, les modèles, qui en disent moins sur la Nature que sur la vision qu’en ont ceux qui la mettent en équations, prévoient avant tout une baisse de débit du fleuve. L’hypothèse d’une hausse de température de +2 °C, scénario le plus clément envisagé, entraînerait une baisse de 10 % du débit estival et de 5 % en hiver. L’hypothèse la plus sévère (+ 4 °C) serait synonyme d’une baisse de débit de 30 % en moyenne sur l’année ; l’été, une diminution de 20 à 40 %. Mais qu’on se rassure, la violence des précipitations hivernales pourrait provoquer des inondations locales. Bref, trop d’eau en hiver, pas assez en été. Un scénario contre nature, puisqu’un réchauffement implique une moindre différence thermique entre les basses et les hautes latitudes, donc des échanges méridiens (nord-sud) atténués et au final un temps moins contrasté et moins violent. Inversement, un refroidissement signifie un temps plus « chaotique ». C’est durant le Petit Âge glaciaire qu’ont coexisté de très fortes crues et des étiages permettant de traverser la Seine à gué à Paris. La période actuelle est au contraire remarquablement calme.

C’est le sens de l’intervention de l’historien du climat Emmanuel Garnier, interrogé le 3 juin par Patrick Cohen sur France Inter. La perche est tendue de la manière la plus classique :

« Est-ce que, Emmanuel Garnier, les catastrophes naturelles sont plus violentes aujourd’hui que ces dernières décennies ou il y a cent ans ? »

Mais patatras ! L’historien sait bien le type de réponse attendu :

« Je dirais que l’historien n’est pas forcément le meilleur partisan du caractère exceptionnel des catastrophes de ces dernières années, dans la mesure où lui dispose de bases de données historiques qu’il va chercher au plus profond des archives, notamment, dans le cas de la région parisienne, dans ce trésor patrimonial que sont les archives du bureau de la ville de Paris. »

Puis le chercheur de synthétiser ce que ces dernières révèlent à qui veut bien les parcourir patiemment. Depuis un peu plus de 500 ans, on recense une cinquantaine d’inondations majeures, ce qui leur donne une fréquence décennale. Regarder la répartition chronologique de ces événements donne un peu de perspective et remet à sa place la crue de cette année.

« Et ce qui est beaucoup, beaucoup plus surprenant, notamment par rapport au débat actuel... euh climatique, c’est que la période la plus intense n’est en aucun cas le XXe siècle. Le XXe siècle serait la période la plus faible, elle compte pour 10 % de ce total d’inondations. En revanche, des siècles comme le XVIe, le XVIIe siècle représentent l’essentiel, c’est-à-dire 50 % des inondations, avec des désastres absolus, comme l’inondation qui a déjà été citée de 1658, qui est intervenue d’ailleurs au printemps, en mars. Le pont Marie avait été emporté avec ses habitants. »

Alors qu’Emmanuel Garnier embraie ensuite sur la survenue de cette crue à la fin du printemps, Patrick Cohen croit enfin tenir un petit quelque chose de croustillant (et allant dans le sens de la doxa catastrophiste). Mais là encore, la réalité est tout autre.

« On parle aussi du caractère exceptionnel de l’inondation en raison de sa situation chronologique, c’est-à-dire qu’elle intervient en juin ; on dit “ça, c’est vraiment un facteur nouveau”, une rupture en quelque sorte. Or, là aussi, les archives nous montrent que 30 % de ces inondations comprises entre les années 1450 et 2000 à peu près, 30 % de ces inondations se déroulèrent entre les mois d’avril et juin. »

Le résumé graphique des hauteurs de crue depuis le milieu du XVIIe siècle, malgré des données lacunaires avant le XIXe siècle pour celles n’atteignant pas six mètres, est sans appel et confirme ce que disait la modiste de Marie-Antoinette dans un tout autre domaine : « Il n’y a de nouveau que ce qui a été oublié. »

 

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Crues de la Seine de plus de 5 mètres à Paris (source)

 

Emmanuel Garnier est d’ailleurs revenu sur cet aspect de la question, en étant toujours aussi direct :

« On vit dans une société sans mémoire. La société a perdu la mémoire des risques. [...] Les populations avaient des repères de crue partout dans le tissu parisien, ces repères ont disparu. »

Il développe cette idée dans le magazine Slate.fr, précisant qu’il y a eu une volonté derrière cette évolution :

« On ne pouvait pas construire tant qu’on maintenait des repères de crue. Maintenir cette mémoire visuelle, c’était selon eux contribuer à empêcher le développement urbain. »

Certains se sont toutefois maintenus et sont répertoriés, mais il est vrai que l’on manque souvent d’égard envers eux, que cela vienne d’une certaine catégorie de la population, ou des autorités elles-mêmes.

 

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Repère de crue de la rue Proudhon, Paris XIIe

 

Tout aura donc été fait pour monter en épingle cette crue décennale de la Seine. Politiques et journalistes auront de concert rappelé « l’urgence climatique », et pointé du doigt le réchauffement, coupable tout désigné. La crue de Paris n’aura pas été si élevée que cela ? Qu’à cela ne tienne, pour une fois, déplaçons quelque peu les caméras et allons vers la lointaine périphérie, si aisément ignorée d’habitude. Le Loing, affluent de la Seine, est en effet sorti de son lit et a envahi nombre de zones habitées. On n’aura pas manqué de nous dire que la hauteur de crue y a été équivalente à celle de 1910. Et d’ailleurs, le mois de mai n’a-t-il pas été extrêmement pluvieux ? En effet, et de manière très remarquable. À Paris-Montsouris. Mais cette station n’est pas tout le bassin versant de la Seine. Mais un petit tour dans les données de cumuls de pluie pour les mois ayant connu d’importantes crues permet de constater que n’y sont pas systématiquement associés de très hauts niveaux de précipitations dans cette station et qu’inversement des mois très pluvieux n’ont pas entraîné de crues remarquables, voire quelconques. Quant au Loing, si la hauteur atteinte par l’eau est comparable à celle de 1910, le débit, lui, est nettement inférieur : 150 m3/s... contre 1800 m3/s en 1910.

C’est là qu’est l’information ! Notre société s’est construit un cadre de vie qu’elle a voulu et qu’elle croit déconnecté de son environnement. Or, c’est tout le contraire. Nous avons considérablement rendu vulnérables au risque d’inondation des populations entières. La comparaison des hauteurs de crue est une chose. Mais l’on sait qu’à débit égal, le niveau atteint actuellement est plus haut que par le passé. Cela signifie d’une part qu’il en faut moins qu’autrefois pour obtenir la même chose (et exonère d’autant les météores et le pseudo-rôle du réchauffement) et, d’autre part, qu’avec un débit égal à celui d’une grande crue d’autrefois (1658 ou 1910, par exemple), on obtiendra (car cela arrivera) une hauteur d’eau beaucoup plus importante. Fluctuat nec mergitur, dit la devise de Paris : « Il est ballotté par les flots et ne coule pas. » Gare ! Une prochaine fois, il se pourrait bien que l’on constate qu’il a sombré. D’aucuns prétendent que c’est déjà le cas...

 

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  • #1509312
    Le 13 juillet 2016 à 14:50 par Le roi nu
    Crue "historique" de 2016 : retour au sérieux

    Un très bel article de vulgarisation. Très éclairant ! Merci beaucoup.

     

    Répondre à ce message

  • #1509326
    Le 13 juillet 2016 à 15:07 par greg
    Crue "historique" de 2016 : retour au sérieux

    Précision à apporter : les fleuves ont été canalisés afin de permettre le passage des bateaux. Outre le tracé il y a aussi le niveau qui a été régulé sinon la profondeur pose problème. On a donc construit de nombreux mini barrage partout le long de ces axes fluviaux.
    Précision concernant la "crue" de 2016 : Paris a été sauvé, certaines villes en amont inondées et celles en aval zéro. Ils se sont donc servis de ces barrages pour inonder volontairement les villes en amont pour sauver Paris.
    Dernièrement, comme évoqué dans cette article depuis 50ans le paysage français a été "bétonné" : urbanisation extraordinaire, routes, autoroutes, parkings énormes, etc. au profit d’un sol perméable. Donc quand il pleut (même un tout petit peu), les eaux pluviales ne s’infiltrent plus dans le sol vers les nappes phréatiques mais tombent sur l’asphalte, vont dans le caniveau, dans les égouts et ressortent directement ou indirectement (traitement des hydrocarbures) dans les cours d’eau.
    Donc même 10mm de pluie multiplié par XX hectares de surface et on se retrouve avec une mini-crue.
    Paris souffrira beaucoup plus dans l’avenir

     

    Répondre à ce message

    • #1509574
      Le Juillet 2016 à 21:37 par Hacène AREZKI
      Crue "historique" de 2016 : retour au sérieux

      Ils se sont donc servis de ces barrages pour inonder volontairement les villes en amont pour sauver Paris.




      Comment inondez-vous des zones amont sans répercussion sur l’aval ?
      (...) Ça y est, je crois avoir compris votre idée : les barrages ont inondé des zones (peuplées) en retenant l’eau, pour qu’elle n’aille pas vers l’aval et donc Paris. Ce n’est pas comme cela que ça marche. Les barrages réservoirs servent à retenir l’eau pour qu’elle n’aille pas alimenter le réseau en aval, oui. Mais ces réservoirs ont un volume limité, qui ne peut être dépassé. Aucune chance d’inonder qui que ce soit en les remplissant (il y a dans le fond de certains les ruines de quelques villages détruits suite à l’expropriation ayant eu lieu pour mener à bien ces projets).
      Le problème est que ces réservoirs ont deux buts : prévenir les crues et soutenir les étiages. Ce qui implique que l’on ne peut agir que sur les crues hivernales. Car si vous êtes prêt pour une crue tardive comme cette année, vous n’avez pas assez de réserve pour relâcher de l’eau en été. Ce pourquoi ils n’ont pas servi à grand chose avec cette crue de début juin.

       
  • #1509365
    Le 13 juillet 2016 à 15:51 par d51432
    Crue "historique" de 2016 : retour au sérieux

    1910 : crue historique.
    2016 : crue hystérique.

     

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    • #1509497
      Le Juillet 2016 à 19:36 par rectificateur
      Crue "historique" de 2016 : retour au sérieux

      Bien trouvé !

       
    • #1509861
      Le Juillet 2016 à 12:34 par L’heure la plus nulle
      Crue "historique" de 2016 : retour au sérieux

      @ dw51432

      "1910 : crue historique.
      2016 : crue hystérique".

      Celle de 2016 a vu s’exposer les limites de la psychiatrie. Et toujours le psychiatre fait payer sa clientèle le prix fort, de n’être qu’un avorton. Il est naturel que cela soit minable puisque c’est un minable qui s’intéresse plus à son image qu’à la compréhension du psychisme et qu’à ceux qu’il appelle ses patients. Ces analystes si sûrs de la clarté de leurs perceptions en sont même à (se)revendre (entre eux) des portefeuilles de clientèle, pour faire gagner de l’argent à ceux qui leur en font gagner ;
      Et vont jusqu’à se fâcher quand un client (un vulgaire être humain) ne veut pas être vendu au plus offrant. C’est assez rare, toutefois, cela survient dans les pathos-logiques les plus sévères, de type : Lisse-tes-rites (Selon la bible psy. : ToTem & ToTaime).

       
  • #1509367
    Le 13 juillet 2016 à 15:54 par Poisson
    Crue "historique" de 2016 : retour au sérieux

    Mais l’on sait qu’à débit égal, le niveau atteint actuellement est plus haut que par le passé. Cela signifie d’une part qu’il en faut moins qu’autrefois pour obtenir la même chose et, d’autre part, qu’avec un débit égal à celui d’une grande crue d’autrefois, on obtiendra une hauteur d’eau beaucoup plus importante.

    Votre formulation est bizarre.
    A débit égal, c’est la même quantité d’eau qui descend la rivière, la vitesse et la hauteur varient en proportions (grande vitesse = petite hauteur ; petite vitesse = grande hauteur).
    Donc il faut certes un débit plus faible pour monter à 8m, mais les dégâts ne seront pas forcément comparables puisque le courant sera plus faible.

     

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    • #1509566
      Le Juillet 2016 à 21:21 par Hacène AREZKI
      Crue "historique" de 2016 : retour au sérieux

      Il s’agit ici de crues lentes et non de crues éclairs. Les dégâts sont dus au niveau d’eau, non au courant, faible dans la zone d’expansion des crues.

       
  • #1509378
    Le 13 juillet 2016 à 16:05 par H
    Crue "historique" de 2016 : retour au sérieux

    Meilleur article du mois, tout simplement remarquable et passionnant.

     

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  • #1509477
    Le 13 juillet 2016 à 18:48 par L’artilleur de Metz
    Crue "historique" de 2016 : retour au sérieux

    depuis quelques années les"source Wikipédia" prolifèrent au détriment des vraies études qui étaient référencées dans l’Encyclopedia Universalis, E. Britannica , E. Larousse etc... en plus d’avoir pillé ces spécialistes sans contrôle aucun, c’est pas ceux qui ont supprimé le site de Pierre Jovanovic ?

     

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  • #1509635
    Le 13 juillet 2016 à 23:19 par TeddyTed
    Crue "historique" de 2016 : retour au sérieux

    Merci Hacène Arezki pour la pertinence de vos articles : opportuns, remis en perspective, bien écrits et documentés... Et merci à ER de laisser de l’espace à de tels sujets.

     

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  • #1510077
    Le 14 juillet 2016 à 18:27 par culotte
    Crue "historique" de 2016 : retour au sérieux

    cet article est limpide, clair comme de l’eau de roche..merci E&R pour le partage !

     

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  • #1513539
    Le 17 juillet 2016 à 23:09 par oumi
    Crue "historique" de 2016 : retour au sérieux

    Ce à coté de quoi tout le monde passe est que la crue de 2016 est historique , elle ne s est jamais produite depuis que l on mesure le niveau d eau de la seine car elle a eu lieu en JUIN alors que les grosses crues ont lieu en fevrier/mars .... pour un mois de juin, jamais une crue pareille n avait été enregistrée .....cet article intéressant est trop lapidaire malheureusement dans ses conclusions ... Olivier Berruyer (les crises .fr) a fait un tres bon papier aussi la dessus , plus sur le versant analyse de statistique ...

     

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    • #1513757
      Le Juillet 2016 à 11:06 par Hacène AREZKI
      Crue "historique" de 2016 : retour au sérieux

      Relisez ce qu’en dit Emmanuel Garnier : depuis 1450, 30 % des crues majeures ont eu lieu en avril-mai-juin.
      Olivier Berruyer pense que nous vivons un réchauffement anthropique, catastrophique et sans précédent. Sa conclusion du caractère sans précédent de cette crue s’inscrit fort bien dans ce cadre de pensée.
      Juin n’est pas un mois habituel pour une crue remarquable, c’est entendu. De là à dire que c’est historique... À moins que toute chose qui s’écarte un tant soit peu de la moyenne soit qualifié d’historique. Pourquoi pas, mais pour cela il y a la télé, les journaux... et l’article d’Olivier Berruyer, qui complète bien ces médias, en apportant pas mal d’infos, lui.

       
  • #1514514
    Le 19 juillet 2016 à 07:38 par Bambs77
    Crue "historique" de 2016 : retour au sérieux

    Excellent.
    Merci pour l’analyse.

     

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