Alors que le cycle électoral est en train de se clore, avec le second tour des élections législatives, et que la victoire du parti du Président, La République en Marche ne fait guère de doutes, les nuages s’accumulent sur la société française.
Ces nuages sont, en partie, ceux que créent les attitudes anti-pluralistes qui se multiplient dans le secteur des médias ou une véritable reprise en mains, on peut même commencer à parler de « chasse au sorcières » contre les adversaires du Président est en train de se dérouler. Mais, ces nuages sont aussi, et peut-être principalement, ceux qui annoncent un véritable « bond en arrière » dans les relations sociales pour les salariés. Il est aujourd’hui clair que la victoire d’Emmanuel Macron a été celle d’un « bloc bourgeois » [1], qui a bénéficié de la division, mais aussi des insuffisances de ces adversaires. Le triomphe sans partage vers lequel il s’achemine laisse présager des orages sur la société française. Car, faute d’expression au Parlement, l’opposition ne pourra s’exprimer que dans la rue.
Une reprise en main
Commençons par la reprise en main des médias. Elle est aujourd’hui évidente, et elle a commencé en réalité l’an dernier avec l’éviction d’Aude Lancelin de la direction de L’Obs, ex Nouvel Observateur. Elle s’est continuée avec la fermeture du service des études macroéconomiques pour La Tribune, une fermeture qui a abouti au départ de Romaric Godin, un journaliste qui s’était distingué par son intelligence et son ouverture d’esprit en particulier dans le suivi de la crise grecque. Désormais, c’est la chasse ouverte à tous ceux qui expriment des idées « souverainistes », que ce soit Natacha Polony, qui a vu son émission de télévision Polonium s’arrêter et qui a été congédiée d’Europe 1, mais aussi de Fréderic Taddéi, de mon collègue Delamarche (BFM) et de Jean-Paul Brighelli dont Le Point a décidé de se séparer. Notons que ceci se déroule dans une atmosphère marquée par des tensions entre le nouveau Président et les sociétés de journalistes [2].
Imaginons qu’une telle succession de licenciements ou de fermetures d’émissions surviennent dans un pays comme la Russie, on entendrait déjà les « belles âmes » démocratiques crier à la dictature, dénoncer la montée d’une tyrannie. Mais, ceci se passe ci, en France, et maintenant. Et les mêmes « belles âmes », sont aujourd’hui bien silencieuses. Est-ce parce que le couperet est tombé sur les « souverainistes » ou supposés tels ?
De fait, le pluralisme des médias, déjà bien marginal, ne sera plus qu’un souvenir, ou alors se réfugiera sur internet, un lieu qu’il est facile pour les « grands » médias de dénoncer comme la matrice de tous les complotismes. Cette mise au pas, bien réelle, de voix dissidentes n’est pas un hasard. Elle survient alors que se prépare un véritable bond en arrière dans les relations sociales et salariales.
Un coup d’État réactionnaire
Le nouveau Président et le gouvernement qu’il a nommé ne font pas mystère de leur volonté de « réformer » les relations sociales. Pour cela, ils entendent user de la procédure des ordonnances, une procédure qui leur garantit que l’Assemblée ne pourra intervenir sur le texte des réformes. Il est donc clair que cette question dominera la vie politique pendant une partie de l’été. Pourquoi cette volonté de réformer à tout prix le code du travail ? Emmanuel Macron prétend qu’il est un obstacle à l’emploi, comme si les questions administratives décidaient de tout. Les projets que notre Président et notre Premier ministre veulent mettre en application vont cependant bien plus loin qu’un simple ajustement au problème du chômage, et vont aboutir à une inversion des normes dans le domaine du droit du travail. J’ai consacré l’une des « Chroniques » que je réalise sur Radio-Sputnik , qui est devenu aujourd’hui l’un des rares espaces de liberté restant dans les médias français, à cette question [3]. Les trois invités de cette émission, Philippe Arondel, David Cayla et Raphael Dalmasso, ont été très clairs sur les conséquences désastreuses que pourraient avoir ces réformes. Raphael Dalmasso a rappelé que « la réforme actuelle cherche effectivement à modifier cet équilibre certainement dans le sens de l’employeur ». Pour Philippe Arondel on peut parler d’une « féodalisation contractuelle. Chaque entreprise va devenir une petite féodalité qui va créer sa propre norme et nous allons avoir une espèce de dumping social en France entre les entreprises ». Enfin, David Cayla estime que l’objectif du gouvernement est de « de localiser le cœur des négociations dans l’entreprise, c’est-à-dire justement à l’endroit où les employeurs sont en position de force ».
Par ailleurs, dans une autre « Chronique » où je recevais deux économistes, Philippe Béchade et Dany Lang [4], les conséquences macroéconomiques du projet Macron ont été analysées. Certaines des réformes que le Président veut mettre en œuvre auront des conséquences économiques importantes, et particulièrement néfastes, sur la demande des ménages, notamment la hausse de la CSG et l’augmentation de la durée légale du travail.
On comprend alors, devant cette offensive réactionnaire, que le gouvernement et le Président cherchent à bâillonner les voix dissidentes avec l’aide des oligarques de la presse.
Unité du « bloc bourgeois », division du camp « souverainiste »
Il faut donc comprendre pourquoi et comment ce « bloc bourgeois », qui unit une partie de la droite traditionnelle mais aussi une bonne partie de la gauche « libérale », et pour s’en convaincre il n’y a qu’à regarder le recyclage d’une partie des cadres du P « S » et des Républicains dans le parti du Président, a pu triompher.
Il est évident qu’il a profité de la division qui règne dans le camp « souverainiste ». C’est ce que constate Jean Marie Pottier dans Slate [5]. Mais, à mon sens, il fait une erreur quand aux causes de cette division. Cette division découle de la confusion que certains font entre « le » politique, autrement dit l’espace d’affrontement majeur, et « la » politique, un lieu d’oppositions, de débats et de confrontations légitimes entre les différents courants du souverainisme. Tant que ces courants ne comprendront pas la différence fondamentale qui existe entre « le » politique et « la » politique, ils se condamnent à des échecs répétés.
Pourtant, il faut avoir l’honnêteté de dire cela n’explique pas tout, loin de là. La division qui règne dans le camp « souverainiste » traduit aussi les imprécisions, voire les erreurs, dans la définition de certains objectifs. De cela nait un manque de crédibilité qui aujourd’hui mine tant les postions de la France Insoumise que du Front national. Face à des adversaires dont nul ne conteste le professionnalisme, même si ce dernier n’a pour but que de faire triompher une politique profondément réactionnaire, ce manque de crédibilité engendre un découragement chez les électeurs qui avaient pu se porter lors du 1er tour de l’élection présidentielle sur l’un des candidats souverainistes.
Et c’est bien cela qui fait une partie de la force du projet d’Emmanuel Macron et de La République en Marche. Les élections législatives, qui vont donner à LREM une importante majorité ne témoignent nullement d’une « vague » en sa faveur, mais traduit à l’évidence un mouvement de retrait d’une partie des électeurs portant l’espoir de ce projet souverainiste, retrait justifié par la division et le manque de crédibilité des acteurs de ce dernier camp.
Le Président et le gouvernement espèrent faire régner un silence de mort où l’on n’entendrait que le chant de leurs louanges. C’est pourquoi il est important de se dresser contre ces méthodes et se rassembler autour de la défense des journalistes attaqués. Mais, sur le fond, il faut aussi mettre en débat la question de la division et celle de la crédibilité des forces souverainistes.