Il est beaucoup trop tôt pour analyser la politique du président Macron qui n’est aux affaires que depuis un mois. Il est cependant possible d’observer la manière dont il ré-organise le système politique, les nominations auquel il procède, et de prendre en compte l’annonce de ses prochaines réformes pour évaluer son orientation : la France se dirige vers une dictature administrative au service de la Commission européenne.
L’élection du candidat « anti-système » Emmanuel Macron, au poste de président de la République, ne révolutionne pas le système, ni les « valeurs » politiques. Les réformes présentées s’inscrivent dans une tendance existante depuis des dizaines d’années, telle l’absence de toute alternative possible à la mondialisation libérale. Cette politique est consacrée par la primauté des marchés et des organisations internationales sur les politiques nationales, ainsi que par la volonté d’être, en même temps, de gauche et de droite , une modernisation du « ni gauche, ni droite » de la « troisième voie », déjà en partie adoptée par les partis continentaux.
Surtout, cette élection finalise une crise aiguë de la représentation partisane. L’organisation des primaires enlevait déjà aux membres d’un parti la possibilité de désigner leur candidat. En outre, nombre de dirigeants socialistes réclamaient le démantèlement de leur propre parti. L’effondrement du système de représentation politique, ainsi que sa « réorganisation » par le mouvement En Marche ! n’est donc pas une surprise, mais l’aboutissement d’une tendance lourde. Il s’agit, comme le slogan de campagne de Georges Pompidou l’exprimait, d’un « changement dans la continuité ».
Le Législatif désigné par l’Exécutif
Cependant, la succession rapprochée de modifications d’ordre quantitatif aboutit à une mutation qualitative. Il suffit que rien ne change dans la tendance imprimée aux réformes pour que celles-ci aboutissent à une transformation profonde de l’organisation du pouvoir.
La plupart des prérogatives ont déjà été transférées aux mains de l’exécutif, au détriment des pouvoirs législatif et judiciaire. Cependant, c’est la première fois que le Président a la possibilité de choisir directement une partie importante des membres de l’Assemblée nationale. Le premier tour place l’alliance d’En Marche ! et du Modem [1] en tête des votes exprimés. Plus de 30 % des suffrages devraient lui assurer une confortable majorité, nettement au-dessus de la majorité absolue, à l’issue du 2ème tour. Ce résultat a donné à Emmanuel Macron la possibilité de désigner une grande partie des élus, celle composant sa majorité parlementaire. En effet, la structure d’En Marche ! est particulièrement centralisée. Le mouvement présente une spécificité : les candidats à l’élection législative ne sont pas élus par les bases locales du mouvement, mais désignés, d’en haut, par une commission dont les membres sont choisis par Emmanuel Macron [2]. Les élus n’apparaissent plus comme représentants, de sections locales de partis et d’électeurs d’une circonscription électorale, mais comme des agents du Pouvoir exécutif légitimés par le vote des citoyens. Remarquons que le projet présidentiel de réduire le nombre de députés, de 577 à 300, ne pourra que renforcer la fragilité des députés face à un président, auquel ils sont redevables de leur poste et de son éventuel renouvellement.
Si le Président n’a pas encore la possibilité « d’élire le peuple », il a néanmoins la capacité de choisir nombre de ses représentants.
Emmanuel Macron veut supprimer toute possibilité de résistance du Pouvoir législatif. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre sa volonté de renouvellement de la classe politique. Désirant mettre de côté les « professionnels » de la politique, c’est-à-dire ceux qui ont une bonne connaissance des arcanes du pouvoir et qui auraient ainsi d’avantage de moyens pour lui mettre des bâtons dans les roues. Ainsi, le président veut qu’un élu ne puisse accomplir plus de trois mandats successifs. Pour lui, la fonction élective ne serait pas un savoir-faire, mais une « vocation ». Afin de faire pression sur les partis qu’il ne contrôle pas, il propose que le financement public des partis soit partiellement conditionné par le renouvellement des candidats investis.
Annihilation du pouvoir législatif
La volonté de réduire le Pouvoir législatif à une simple chambre d’enregistrement est confortée par le désir d’Emmanuel Macron de légiférer par ordonnances. L’article 38 de la Constitution stipule que « Le gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. » Après avoir donné une habilitation législative au gouvernement, pour un domaine tel que la réforme de la loi du travail, le parlement ne pourra qu’accepter ou refuser le projet présenté, mais en aucun cas l’amender. Ainsi, il aura perdu sa compétence législative, pour une période déterminée et dans les domaines définis par le projet d’habilitation [3].
Comme les réformes envisagées, telle celle du Code du travail, sont particulièrement impopulaires, le pouvoir exécutif ne se contente pas de choisir des élus d’une grande docilité et veut anticiper toute velléité de résistance, en retirant, pour ces matières, la compétence législative au parlement. La capacité de neutralisation des Chambres est également renforcée par la proposition de transformer la procédure accélérée en une procédure de droit commun [4]. Cette opération, déjà existante, permet de réduire le nombres de navettes entre les deux chambres et réduit ainsi le temps consacré au débat parlementaire. Le changement consiste en ce que la procédure d’exception deviendrait la règle. Même si cette réforme, nécessitant une révision de la Constitution, aboutit, le nouveau président n’entend pas renoncer à la procédure dite du « vote bloqué », bien connue sous le nom de 49/3, une technique permettant au gouvernement d’engager la confiance, afin de faire adopter un projet de loi sans vote de l’Assemblée. Bref, même si l’exception devient la norme, les procédures d’urgence seront maintenues.
Ainsi, la séparation des pouvoirs, chère à Montesquieu, mise à mal par des dizaines d’années de réformes concentrant les pouvoirs au sein de l’Exécutif, est ici complètement annihilée.