Washington s’est doté d’un nouveau commandement unifié, Africom, pour combattre la menace islamiste qui monte aux confins de l’Algérie et de l’Afrique noire.
Des bâtiments impersonnels, des bunkers où s’activent 1 300 hommes et femmes, militaires et civils : installé à Stuttgart, le nouvel état-major africain du Pentagone, Africom, semble très loin de l’Afrique mais ses spécialistes, placés sous le commandement du général William E.Ward, surveillent en permanence ce qui se passe aux confins du Maghreb et du Sahel, à des milliers de kilomètres de là.
Dans cette région courant sur près de 5 000 kilomètres, des plages de Mauritanie au Nil soudanais, de nouvelles menaces montent, défiant les intérêts occidentaux et la stabilité des États à coups d’attentats et d’assassinats.
Bernard Squarcini, directeur de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur), le confirmait à la revue Politique internationale le mois dernier : « En quinze ans, malgré les efforts des différents services, malgré les progrès de la coopération internationale, l’islamisme militant a gagné de nouveaux pays : le nord du Mali (où se sont installées les katibates sahéliennes d’AQMI qui ont dû fuir Alger sous la pression militaire et policière), le Niger, la Mauritanie et, depuis peu, le Sénégal. Dans quinze ans, le danger sera peut-être descendu encore plus au sud… »
C’est dans cette région qu’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique, nom de guerre depuis 2007 de l’ancien Groupe salafiste pour la prédication et le combat) a tué, le 30 juin, 11 militaires et gardes nationaux algériens. C’est là aussi, dans le désert, qu’un de ses groupes détient depuis le 22 avril un otage français, Michel Germaneau, 78 ans. Ce cadre pétrolier à la retraite est menacé de mort si la France ne répond pas favorablement à un échange de prisonniers islamistes. Nicolas Sarkozy a cité ce dossier “brûlant” dans son interview télévisée du 12 juillet sur France 2.
Africom surveille de près la région et le général Ward ne cesse de s’y rendre. Diplômé de l’US Army War College et titulaire de plusieurs masters en sciences politiques, Ward a servi à la 82e division aéroportée. Ce soldat a posé son sac un peu partout, de la Bosnie à la Somalie en passant par Hawaii et l’Égypte, alternant les commandements opérationnels et les postes en état-major et en ambassade. Afro-Américain, il fut désigné en octobre 2007 pour mettre en place la stratégie américaine pour l’Afrique.
Jusqu’à cette date, l’Afrique dépendait d’Eucom (European Com mand), un des six états-majors régionaux se partageant le monde. Le principal et le plus connu est Centcom (Central Command), centre de commandement basé à Tampa (Floride) assurant la couverture de l’arc de crise, de l’Égypte au Pakistan, avec la gestion des deux guerres en cours (Irak, Afghanistan). « L’Afrique était du ressort d’Eucom parce que ses pays étaient d’anciennes colonies européennes », explique l’ambassadeur J. Anthony Holmes, adjoint du général Ward pour les affaires civilo-militaires.
Petite barbe blanche et lunettes cerclées d’acier, cet économiste a passé de longues années au Kenya, au Zimbabwe et au Burkina Faso, mais aussi en Asie et au Moyen- Orient : « L’attaque terroriste de Nairobi en 1998 et le 11 septembre 2001 ont changé la donne. Nous avons identifié un vrai problème de sécurité et compris qu’il fallait changer les choses. »
La création d’Africom ne se limite pas à une approche strictement militaire, poursuit Holmes : « Un certain nombre de pays africains et moi-même étions sceptiques. Nous craignions une trop grande militarisation de la politique étrangère de notre pays. Il était nécessaire d’intégrer l’économie, la santé, la gouvernance, le réchauffement climatique. Mais il fallait aussi être réaliste : sans la Défense, le budget des autres agences était bien trop faible pour un tel projet. » Lancé avec une enveloppe de 50 millions de dollars en 2007, Africom disposait l’an dernier d’un budget de 310 millions.
Les guerres successives des années 1990, la montée de l’islamisme et la prolifération des réseaux terroristes, le trafic de drogue en provenance d’Amérique du Sud et d’Asie par l’Afrique de l’Ouest et le Sahara ont fait comprendre aux Américains la nécessité de cette réorganisation pour mieux assurer leur sécurité et étendre leur influence dans cette partie du monde. Officiellement, il ne s’agit pas de contrer celle de la Chine. « La question n’est pas là », jure l’état-major d’Africom. Il n’en reste pas moins que cette vigilance active est un signal fort de Washington à Pékin.
Le commandement du général Ward gère près de 700 dossiers et activités sur le continent, des plus ambitieuses aux plus discrètes, de l’opération antiterroriste Enduring Freedom Trans Sahara, aux tâches d’instruction menées par des petites équipes de deux ou trois instructeurs, de la formation des gardes-côtes du Cap-Vert et de Sierra Leone à la lutte contre la pêche illégale et la piraterie maritime. « C’est une manière de contenir et de circonvenir le risque terroriste, explique Holmes. Notre action repose sur qua tre piliers : la résolution des conflits, l’accompagnement vers un processus démo cratique, le respect des droits de l’homme et la recherche de solutions économiques. »
L’opération Enduring Freedom Trans Sahara est menée dans le cadre d’un partenariat antiterroriste transsaharien. Ce programme comprend la lutte contre AQMI, en association avec dix pays de la région : Maroc, Algérie, Burkina Faso, Tchad, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal et Tunisie. À Stuttgart, les analystes de Ward ont identifié un risque principal dans les six prochains mois : la collusion entre les combattants somaliens du mouvement Al-Shabab et Al-Qaïda. Le nombre de “volontaires” étrangers aurait augmenté, avec une centaine de djihadistes venus d’Amérique du Nord, d’Europe, du Yémen, d’Afrique du Sud, partout où se trouve une forte diaspora somalienne. AQMI chercherait pendant ce temps à acquérir un important arsenal d’explosifs pour planifier des actions au Mali.
La formation, l’entraînement d’armées dont les structures ont éclaté, est l’autre priorité. C’est le cas au Rwanda, en Ouganda, au Liberia. Ces armées seront ensuite déployées sous les ordres de l’Union africaine, des Nations unies et des organisations régionales de sécurité. En Républi que démocratique du Congo (ex-Zaïre), Africom mobilise une quarantaine d’Américains sur le programme Olympic Chase, dont l’objectif est de former un ba taillon congolais (500 hommes).
Plus de la moitié des personnels employés pour Olympic Chase sont des contractors, des employés de sociétés militaires privées, ce qui témoigne des difficultés du Pentagone à mener de front les guerres d’Irak et d’Afghanistan tout en continuant à étendre et consolider ses zones d’influence.