Présents en France, comme partout en Europe, depuis des siècles, les Roms (ou Tziganes autre appellation préconisée par les ethnologues) forment une communauté particulière qui nourrit régulièrement les débats sur l’insécurité et l’immigration. Mais de qui parle-t-on quand on évoque les Roms ?
L’appellation Rom, qui signifie être humain en Hindi, a été revendiquée par certains cercles militants [1] « pour la reconnaissance du peuple Rom », dans une démarche d’affirmation identitaire, lors de leur premier congrès international à Londres en 1971, car ce terme se réfère à l’origine commune indienne de ces populations à culture nomade. L’ONU l’a alors adoptée pour désigner l’ensemble de ce peuple. Malencontreusement, l’adoption de ce nom générique est source de confusion entre le tout (les Roms comme ensemble des populations nomades) et la partie (les Roms comme ceux de ces populations qui vivent dans l’est européen).
Il n’y a pas de nation de Roms. Ce groupe présente cependant une solide construction culturelle non générée par les caractères habituellement unificateurs d’une nation. Avec une diaspora de 15 millions d’individus dispersés à travers le monde, ils constituent la plus forte minorité ethnique mais n’ont jamais exigé le moindre territoire bien que les persécutions ne les aient pas épargnés, des galères espagnoles aux camps de concentration nazis. Les historiens s’accordent à dire que les noyaux d’origine sont probablement partis d’Inde [2] aux alentours du 11e siècle. Leurs trajectoires variées et les influences diverses expliquent les différences culturelles observées aujourd’hui entre ces ethnies. Ainsi, les Manouches sont arrivés par le Nord de l’Europe et sont imprégnés de culture germanique. Les Gitans viennent du pourtour méditerranéen et leur culture est hispanique. Les Roms quant à eux ont fait souche dans l’Est de l’Europe.
Mais qu’on les appelle roms ou tziganes, gitans, manouches, romanichels, bohémiens, sintis…, (la plupart de ces derniers termes sont exonymes [3]) leur mode de vie lié à l’itinérance originelle est le ciment qui les lie et qui les oppose fondamentalement aux populations majoritaires rencontrées au cours de leur périple. En milieu européen, leurs normes culturelles ne furent jamais en harmonie avec le système des normes dominantes.
Les roms s’affirment identitairement par rapport aux populations autochtones qui les entourent par l’opposition entre eux et les autres : ils ne sont pas des gadgé, terme par lequel ils désignent tous ceux qui ne sont pas roms. La méfiance naturelle des populations des régions qu’ils traversaient a conforté cet atavisme en encourageant en réaction la cohésion du groupe face au monde extérieur vécu comme hostile. Ils raillent le paysan, lequel est considéré comme esclave de sa terre, et idéalisent de façon romantique la notion de liberté qu’ils associent au voyage. Ils ont ainsi développé un communautarisme et des protections identitaires forts, le rejet réciproque des sédentaires et des nomades se renforçant au contact l’un de l’autre.
Ils établissent des liens avec la société environnante pour ce qui leur est strictement nécessaire. Ainsi ne conçoivent-ils l’acquisition des savoirs de base que comme un moyen permettant d’améliorer leur vie quotidienne. Cette forte résistance à tout ce qui est vécu comme une ingérence susceptible de saper leur identité (le système scolaire par exemple) leur a permis de protéger leur culture, leurs traditions, mais les a par là-même isolés et marginalisés.
Dans la culture romani, les individus vivent depuis toujours en groupes clos dont les limites sont le clan représenté par la famille élargie au lignage issu d’un ancêtre commun. Ils n’existent que par leur position dans le lignage et le clan est déterminant pour leur conduite. La solidarité familiale, la virginité des filles et leur mariage précoce, le respect des ancêtres et de l’autorité paternelle, les familles nombreuses, la religion, une notion toute particulière de la propriété privée sont des traits fondamentaux pour le peuple Rom qui assurent la cohésion du groupe. Cependant, immergés dans la société matérialiste, les roms, qui ne sont pas hermétiques à leur environnement, sont comme les autres populations vulnérables à ses sollicitations et à ses tentations. Ainsi malgré des dynamiques vivaces qui participent au maintien des traditions (fêtes et musique propres, forte religiosité, dialecte…) les nouvelles générations ne semblent pas insensibles aux attraits de Mc Donald et d’Hollywood, et les intrusions de la société de consommation se font de plus en plus pernicieuses pour leur culture ancestrale.
En France, depuis 1972, administrativement, ces groupes hétérogènes, sont tous confondus sous l’appellation de « gens du voyage » [4] – afin de gommer les critères ethniques - laquelle entretient l’idée d’un nomadisme qui n’est plus vraiment une réalité dans les faits. Les gens du voyage sont classés comme des « sans résidence fixe », la caravane n’étant pas considérée comme un logement. A partir de 16 ans, un membre de la communauté des gens du voyage doit être rattaché administrativement à une commune et être titulaire d’un titre de circulation [5].
Notre pays est le quatrième pays de l’Union européenne, après la Roumanie, l’Espagne et la Hongrie, pour ce qui concerne l’importance de cette communauté, laquelle est estimée entre 400 000 et 500 000 individus présents sur notre sol, difficile d’être plus précis puisque la loi interdit le recensement ethnique. 95% d’entre eux sont de nationalité française depuis plusieurs générations.
Une grande majorité des « voyageurs » comme ils aiment à se désigner eux-même [6], a depuis longtemps pourtant un mode de vie sédentaire, ils sont présents par exemple dans le centre historique de Perpignan où l’ancienneté de cette communauté et son importance numérique lui donnent la capacité de peser sur le choix de l’équipe municipale. Pour un tiers d’entre eux qui ont conservé des habitudes de déplacements, pour des raisons économiques essentiellement (artisanat traditionnel itinérant, travaux agricoles saisonniers, commerce sur les marchés, entreprises foraines…), ils sont semi-sédentaires, leurs déplacements se limitant dans la plupart des cas à une région et à une saison. En dehors de leurs séjours sur les aires municipales [7], ils cherchent à se fixer en achetant en famille des terrains afin d’y installer à l’année leurs caravanes. Partout où cela leur a été possible, car ils sont en butte dans ce processus de sédentarisation aux oppositions locales, ils ont dû obtenir une autorisation de stationnement dès lors que celui-ci est d’une durée annuelle supérieure à trois mois [8]. Sans place en aire d’accueil [9], ils errent d’un campement sauvage à un autre, lesquels génèrent des conflits inévitables avec les populations et les autorités locales. Les voyageurs sont ainsi tiraillés entre un nomadisme revendiqué et un nomadisme infligé.
Pour ajouter à ces problèmes de marginalité récurrents, les roms français pâtissent, depuis l’adhésion de nouveaux pays de l’Est à l’Union européenne, de la mauvaise image véhiculée par les roms roumains, bulgares ou hongrois auxquels ils sont couramment assimilés dans l’esprit du public comme par les instances dirigeantes. Les changements géopolitiques survenus dans les pays de l’ancien bloc soviétique à la fin des années quatre-vingt ont en effet fragilisé la situation de ces derniers (40% vivraient en dessous du seuil de pauvreté). Et depuis 2007, ils n’ont plus besoin de visa pour venir en France et émigrent donc facilement profitant du cadre de la libre circulation octroyée aux citoyens européens dans l’espace de Schengen. Ils érigent alors en périphérie de nos villes des campements de fortune qui ont tout du bidonville, puis investissent nos carrefours et nos trottoirs recourant à des expédients pour survivre et pratiquant la mendicité à laquelle leurs jeunes enfants prennent une large part. L’amalgame fait entre les roms étrangers (qui étaient eux aussi majoritairement sédentarisés avant leur départ de leur pays) et les gens du voyage français favorise une politique publique homogène peu judicieuse pour traiter de problématiques différentes.
Ces roms étrangers seraient 15 000 à 20 000 selon les chiffres des associations qui les suivent sur le terrain, chiffre stable mais le restera-t-il au su de la générosité française ? En 2009, presque 10 000 roms ont en effet été reconduits dans leur pays d’origine avec billet d’avion et 300 euros de pécule, plus 100 euros par enfant. Mais les deux tiers d’entre eux sont revenus rapidement en France, les conditions de vie qu’ils trouvent chez nous, bien que très dégradées selon nos critères, étant toujours meilleures que celles qu’ils ont chez eux. Ils sont ressortissants européens, rien ne les empêche donc de revenir quand ils le veulent profiter des dons de l’état français financés par les impôts de ses citoyens. Prenant enfin en compte la carence de contrôle, le gouvernement vient d’annoncer la prise d’empreintes digitales des bénéficiaires de l’aide au retour à partir de septembre pour éviter qu’ils ne la perçoivent une seconde fois.