C’est dans une contradiction interne délicate que s’ouvre l’année 2014 pour la caste politico-médiatique : la vindicte portée par le gouvernement contre l’artiste Dieudonné fait naître une configuration inédite pour le système. En effet, la constante d’un ralliement unanime au politiquement correct, exigeant diffamations et approximations, a enfin traversé une turbulence, provoquée par une réalité trop manifeste, devenue incompressible dans l’idéologie télédiffusée.
Pour bâtir la légitimité de Valls, les émissions à succès et « tendance » ont dû rompre purement et simplement avec leur tradition de dérision niaise et totale, en se contraignant à positionner le public jeune contre l’humour par respect de l’histoire, contre le second degré par respect du réel, soit exactement le contraire de leur ligne éditoriale traditionnelle, celle qui conduit les déracinés vers l’horizon de la consommation stupide.
La télévision de cette génération a vidé les mots de leur sens, a retiré des corps leur sacralité, a réprimé les désirs de comprendre le monde et tari les champs de la connaissance accessible. Comment peut-on nier le but politique de cet abrutissement, quand cette même télévision peut, du jour au lendemain si cela est nécessaire pour le corps politique, se faire le relai d’un très sérieux ultimatum entre le rire et le respect ?
L’irruption, d’un côté, de la réalité du phénomène Dieudonné, de l’autre, des débats sur le caractère exceptionnel des mesures prises à son encontre, va inévitablement exercer sur le politiquement correct médiatique un réajustement vers l’intelligence satirique. Parmi les conséquences concrètes, il y a fort à parier que les comiques ratés de la télé auront désormais le feu vert pour piller Dieudonné de ses spécificités sans craindre de se faire réprimander. Ils se déringardiseront non pas parce qu’ils auront osé braver les codes du système auquel ils ont prêté allégeance, mais parce qu’ils y auront été obligés par l’évolution du système ; et ils se déringardiseront non pas en puisant dans leur génie, puisqu’ils n’en ont pas, mais en singeant le peu qu’ils comprennent du vrai génie de Dieudonné.
Car c’est la seule méthode que ces requins-clowns auront trouvé pour survivre après que tout le monde les aura comparés à l’homme qui les surpasse sans artifice.
C’est d’ailleurs peut-être la simple anticipation de ce rehaussement du barème qui perturbe le très narcissique et faux impertinent Nicolas Bedos, au point d’en appeler à le « tuer » artistiquement en le banalisant, le 9 janvier chez De Caunes ; et de prouver immédiatement chez Ruquier que le système en revient toujours, après s’être livré à une attaque en règle contre celui qui ne s’est pas soumis, à la bouffonnerie vulgaire et à l’attaque ad hominem, en ramenant en guise de conclusion Dieudonné à son « gros cul de Breton inculte ». Bedos ne doit sa place qu’à deux choses : l’invention du prompteur et le travail de son père, aujourd’hui ringard des ringards, sénile au public mort.
Les uns après les autres, après avoir passé deux mois à confiner la quenelle à une signification inventée pour générer la peur et justifier la condamnation, changent de stratégie en sachant que cela ne perturbera pas les moins éveillés, qui s’adapteront à la télé pro-quenelle, à la mode des références à l’affaire Dieudonné, qui feront les heures les moins sombres de ces comiques pillards. Un jeu dans lequel un honnête Semoun ne se sent plus la force d’entrer, lui qui, ayant perdu l’énergie du clown ridicule qui fonctionnait puissamment avec son physique, n’a plus de crédibilité comique, et transmet malencontreusement son mal-être au point d’enchaîner les annulations de spectacles.
Dieudonné n’a pas eu le droit de déringardiser le système ; ce sont tous les cabotins de l’humour qui recevront ce droit en le plagiant, jusqu’à en faire une sauce systémique aussi imbuvable que toutes les autres. Ils feront des Dieudonné de synthèse, des Dieudonné au service de la politique qui flingua le vrai. Car ils ont besoin de séparer dans les mémoires cette affaire de son fond, par le martelage de pitreries une fois encore, pour qu’à terme l’inventeur Dieudonné soit accusé d’être le ringard, et que le système résiste à ce choc en fanfaronnant.
Patrick L.
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