L’image médiatique des musulman(e)s ne fait que cultiver d’avantage de craintes et de questionnements. Cette image est à l’origine de tensions chez les musulmans et non musulmans. Comment parvenir à la changer ? Qui la cultive ? Les différences entre musulmans et non musulmans sont-elles réellement un obstacle ou au contraire est-ce une opportunité pour (ré)agir ensemble pour une réforme de nos sociétés ? Entretien avec Tariq Ramadan, philosophe, islamologue et président de l’organisation European Muslim Network à Bruxelles.
L’islamophobie est-ce une question sociale ou une question religieuse ?
D’abord, il est important de préciser que les questions relatives à l’Islam ne relèvent pas d’un acte islamophobe. Il est légitime de se questionner sur un sujet qui nous est étranger. Alors dans ce cas, qu’est-ce que l’islamophobie ? Il s’agit du fait de s’attaquer, de cibler des musulmans par le seul fait qu’ils soient musulmans, en termes de discrimination sociale, de discrimination à l’emploi ou en terme de racisme.
C’est aussi une vraie question religieuse puisqu’aujourd’hui les populistes et un certain nombre de politiciens ont normalisé l’idée que l’Islam c’est l’autre, que l’Islam ne peut pas être une religion belge ou française sans penser qu’il y a un phénomène d’altérité intrinsèque. Raison pour laquelle certains, en parlant des pays arabes en pleine révolution disent : « le problème c’est que ces pays ne sont jamais libres tant qu’ils se réfèrent à l’islam car l’Islam porte en lui le germe de la soumission. On ne peut pas être libre et soumis en même temps ».Or, les populations en Egypte, au Bahrein, en Tunisie ou au Yémen restent des populations majoritairement musulmanes. Et lorsqu’elles expriment le droit de liberté, de dignité et de justice, elles ne le font pas contre l’Islam. C’est éminemment islamique de revendiquer des valeurs qui sont universellement partagées. Je dirais donc que l’islamophobie est à la fois une question sociale et religieuse.
Face à la peur et à la stigmatisation des musulmans et des non musulmans, vous préconisez « le manifeste du nouveau nous ». Pouvez-vous nous dire de quoi il s’agit ?
Le « nouveau nous »est l’association de citoyens, sujets de leur histoire qui ont décidé de se prendre en charge et qui transversalement, quelle que soit leur culture ou leur religion, se retrouvent autour de principes. Ce qui constitue « le nouveau nous » est la communauté des principes et des objectifs. Des principes de justice, d’égalité et des objectifs de réformes sociales qui permettent de réaliser ces principes. Et transversalement, ce manifeste réuni des athées, des agnostiques, des musulmans, des juifs, des chrétiens, des indous, des bouddhistes. Ce qui est possible. Si seulement par exemple les musulmans étudiaient un tout petit peu plus le confucianisme, la tradition asiatique, on se rendrait compte des similitudes qui existent entre nous.
D’autre part, ce « nouveau nous », contrairement à ce que l’on pense, rencontre des adversaires. Il s’agit de ceux qui veulent nous diviser sur nos religions, nos cultures, sur de l’islamisation ou sur des distractions stratégiques pour ne pas venir au fond des questions. C’est en cela qu’il est important de se retrouver. Se rencontrer également dans les luttes que l’on partage sur la question palestinienne, la question des pays du Sud, de l’Afrique ou de l’Asie. C’est ce que j’appelle le « nouveau nous ». Mais c’est un « nouveau nous » de sujets qui se déterminent par rapport à une conscience des principes et une conscience de leurs responsabilités et non un « nous » des passifs ou des victimes. Il se construira d’abord sur un plan local, avec des visées internationales. C’est finalement se demander de quelle façon peut-on être le plus actif en tant que sujet de son histoire, au niveau local avec une compréhension des phénomènes globaux.
Ce qui se déroule actuellement dans le monde arabo-musulman peut-il avoir un impact sur la population musulmane résidant en Europe ?
Il y a trois éléments qui font écho dans le monde occidental à travers cette révolution. La première chose est que les musulmans résidant dans le monde arabe et en Europe aspirent aux mêmes espoirs et aux mêmes attentes. Ils revendiquent un droit à la dignité, à la justice et à la liberté. La seconde chose consiste à affirmer que certains actes violents ne sont pas à l’origine du peuple mais sont provoqués par le gouvernement. Le peuple s’est efforcé à l’unanimité à mener une révolution non violente.
Enfin, les musulmans occidentaux doivent refuser un gouvernement qui nie leurs revendications et qui les prive de leurs droits, à l’image de leurs confrères dans le monde arabe. En réalité, les politiques tentent de banaliser les événements dans cette partie du monde pour éviter toute répercussion sur leur territoire. C’est pourquoi, David Cameron affirme que le multi- culturalisme a échoué. Il détourne l’attention des citoyens quant aux vrais problèmes auxquels ils sont confrontés quotidiennement. Cette révolution est donc une opportunité qui doit inciter les musulmans d’Europe à faire entendre leur voix entant que citoyens plutôt que de simplement affirmer que les évènements actuels sont une bonne chose.
Etes-vous optimiste quant à l’avenir du monde arabo-musulman ?
Je suis ravi pour ces révoltes qui se font entendre un peu partout dans le monde. Une chaine s’est brisée. En revanche, je reste très vigilant car nous avons vu comment les américains étaient impliqués en Tunisie et comment ils le sont avec l’armée de l’administration de Moubarak.
En réalité nous avons deux dictateurs qui sont partis mais deux systèmes restent à réformer. Nous devrions tendre vers une démocratie transparente et incorruptible. Or, qui souhaite cela aujourd’hui ? Surement pas le gouvernement américain et encore moins les européens qui n’ont cessé de cautionner et de profiter des avantages des dictateurs. Et les Etats-Unis ne voudraient pas d’une vraie démocratie « transparente ». Même si Barack Obama clame le contraire, son administration a un tout autre programme.