Alors que la chaîne cryptée s’apprête à fêter ses trente ans, son fameux « esprit » ne s’est jamais trouvé autant en butte aux critiques.
Incarnation de l’arrogance bobo pour les uns, du prêt-à-penser matraqué avec autant de certitude satisfaite que l’atmosphère qui l’enrobe bourdonne de dérision permanente pour les autres, la chaîne subit depuis deux ans des attaques de toute part et sur tous les plans. Qu’on s’en prenne au manque de professionnalisme des « journalistes » du Petit Journal de Yann Barthès privés de cartes de presse, à sa ringardise structurelle (Léo Scheer), à son fanatisme idéologique (Alain Finkielkraut), au cynisme de ses coulisses (Olivier Pourriol) ou à l’épuisement de son souffle (constat qui mena la chaîne à rembaucher Antoine De Caunes lors de la dernière rentrée, comme pour le retrouver à travers l’une de ces anciennes figures mythiques), aucun procès ne lui est épargné. C’est donc, pour cette chaîne à part, l’occasion d’un bilan critique, et, pour l’OJIM, celle de poser cette question : « C’est quoi, l’“esprit Canal+”, en clair ? »
Émergence de la gauche branchée
Lancée en 1984, la quatrième chaîne de télévision française et première chaîne payante n’a occupé le réseau hertzien qu’après une longue maturation. Annoncée dès 1982 par François Mitterrand, elle témoigne d’un paradoxe caractéristique de cette période. C’est en effet le pouvoir « socialiste » qui se trouve à l’origine de la première chaîne privée, une chaîne qui va devenir culturellement emblématique de la mutation de la gauche française, quand le parti des « prolos » va devenir celui des « branchés ». En effet, si cette mutation va bouleverser la ligne de Libé, elle va également se trouver à l’origine de Canal+.
Une fois abandonnée la dimension culturelle que Jack Lang entend d’abord donner à la chaîne, celle-ci va se constituer comme un montage complexe devant répondre à des impératifs économiques précis. Tout d’abord, freiner la croissance du marché de la vidéo (et du magnétoscope japonais) en proposant, par un système de péage, une multidiffusion de films récents, stratégie soutenue par des mesures du gouvernement : une TVA « de luxe », à 33 %, est appliquée pour tous les appareils vidéo et les vidéocassettes préenregistrées (Mark Hunter, Les Jours les plus Lang, Paris, éditions Odile Jacob, 1990, p. 159), quand les décodeurs de Canal+ sont eux assujettis à la TVA la plus réduite, à l’instar de celle appliquée pour les téléviseurs. Autre argument commercial décisif : Canal se présente comme le premier diffuseur de matchs de football. Un troisième, plus étonnant, sera la diffusion de films X qui débute le 31 août 1985.
Comme l’affirmait dans une récente interview au Point l’éditeur Léo Scheer, développeur du projet avant l’arrivée de Pierre Lescure :
« Tout le monde fut pris à contre-pied. Personne ne pouvait imaginer que Mitterrand et les socialistes pourraient autoriser des aventures aussi libérales dans un secteur sensible comme celui des médias. »
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Voir aussi, sur E&R : Le Zapping d’ERTV