Géopolitique de la Syrie. Face à la crise syrienne, l’Occident apparait affaibli, divisé, déstabilisé dans ses stratégies de résolution de ses propres crises internes et en repli sur ses stratégies de projection de puissance face à un Orient qui se « poutinise » dans ses postures aussi bien à Ankara, qu’à Téhéran ou à Jérusalem, explique X. Guilhou.
DEPUIS la mort de Kadhafi, toutes les chancelleries sont désormais « sur le chemin de Damas ». Nous assistons au même matraquage médiatique et aux mêmes gesticulations diplomatiques que pour l’affaire libyenne avec une mise en scène quotidienne des horreurs perpétrées par le régime syrien. Il est évident que Bachar el Assad et le premier cercle de la communauté alaouite qu’il représente [1] ne sont pas des démocrates et que la défense de leurs intérêts passe par une démonstration de force impitoyable, comme cela l’a toujours été au Levant. Pour autant ce serait un leurre que de prendre ses opposants pour des démocrates et leurs pratiques sur le terrain laissent augurer les mêmes chaos politiques qu’en Libye [2]. Une fois de plus la saturation médiatique autour des gesticulations de nos émissaires empêche toute réflexion approfondie alors qu’une multitude de zones d’ombres et d’agendas cachés interpellent les praticiens de ce terrain complexe et sensible qu’est le Proche-Orient.
Bachar el Assad doit partir !
A priori il est entendu dans toutes les chancelleries occidentales que cette affaire syrienne devrait être réglée rapidement, que les jours du « dictateur » Bachar el Assad sont comptés et qu’un changement de gouvernance est imminent. Les relais du CNS (Conseil national syrien) à Istanbul ne cessent d’abonder en ce sens en mettant en scène avec Al Jazeera les victoires de l’ASL [3] sur le terrain à Alep ainsi que les défections de dirigeants (la plupart du temps sunnites) à Damas. Une fois de plus, personne n’évoque l’environnement de ces quelques dirigeants du CNS, très proches des frères musulmans, qui sont sponsorisés par des financements du Qatar et des pétromonarchies, cela avec la bénédiction de nos chancelleries... Le dossier syrien n’échappe pas à la règle des opérations géopolitiques et cristallise toutes les formes possibles de désinformation et de manipulation. Etant donné que les jeux d’acteurs sont denses et complexes, autant dire que ces formes de guerre psychologique se jouent à plusieurs degrés souvent indéchiffrables pour un observateur non averti aux subtilités orientales.
Pour ceux qui se situent dans l’alignement de la diplomatie américaine, il n’y a plus l’ombre d’un doute : au nom de la démocratie, la dynastie alaouite qui règne à Damas doit subir le même sort que celui réservé depuis quelques années aux despotes et tyrans qui sévissent depuis 30 ans au sein du monde arabo-musulman. Rappelons discrètement que l’Occident a soutenu ou entretenu des relations très ambigües avec tous ces régimes qui garantissaient d’une certaine façon nos intérêts stratégiques aux lendemains de la Guerre froide (1947-1990). Dans ce contexte, nous n’avons pas été très regardants sur les pratiques des partis baas irakiens et syriens face à l’Iran et au Liban dans les années 1980… A présent il est clair que nous sommes entrés dans un autre jeu de rôles et qu’il faut faire évoluer les castings politiques face à des sociétés qui aspirent à la fois à une certaine modernité, à plus de décence et à d’autres modes de gouvernance. De Saddam Hussein jusqu’à Mouammar Kadhafi, en passant par tous les népotismes locaux en Tunisie, en Egypte, nous assistons au même processus de destitution des pouvoirs en place avec une délégation de maitrise d’œuvre ambigüe aux pétromonarchies, dont tout le monde connait l’appétence démocratique, notamment l’Arabie saoudite avec le wahhabisme … L’islamisation en cours de tous ces régimes est loin d’être rassurante et parait de plus en plus éloignée des souhaits schizophrènes de nos chantres des droits de l’homme, qui verrouillent les plateaux de télévision, ou des discours pontifiants de nos ministres des Affaires étrangères qui se complaisent dans des litanies humanitaires que nous connaissons trop bien face aux drames humains qui se jouent sur le terrain.
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