Ce n’est pas très drôle d’être à Kiev ces jours-ci. L’excitation révolutionnaire est retombée, et l’espoir de voir arriver de nouveaux visages, la fin de la corruption et une amélioration économique, tout cela s’est flétri. La révolte de la place Maïdan et le coup d’État qui s’en est suivi n’ont fait que rebattre le même jeu de cartes biseautées de ceux qui reviennent sans cesse au pouvoir.
Le nouveau président en exercice a été Premier ministre et un grand chef du KGB (appelé SBU en ukrainien). Le nouveau Premier ministre en exercice a été ministre des Affaires étrangères. L’oligarque le plus susceptible d’être élu dans quelques jours a été ministre des Affaires étrangères, directeur de la banque d’État et trésorier personnel de deux coups d’État : en 2004 (pour installer Iouchtchenko) et en 2014 (pour s’installer lui-même). Sa concurrente principale, Mme Tymochenko, a été Premier ministre pendant des années, jusqu’à sa défaite électorale de 2010.
Ce sont ces gens qui ont amené l’Ukraine à son état présent d’abjection. En 1991, l’Ukraine était plus riche que la Russie. Aujourd’hui, elle est trois fois plus pauvre, à cause des vols et de la mauvaise gestion de ces gens-là. Ils se préparent aujourd’hui à jouer un très vieux tour : emprunter au nom de l’Ukraine, empocher l’oseille et laisser le pays se débrouiller avec la dette. Ils vendent tous les actifs de l’État à des compagnies privées occidentales et font appel à l’OTAN pour qu’elle vienne protéger leurs investissements.
Ils jouent à un jeu très dur, avec coups de poings américains et tout. La Garde Noire, la nouvelle force armée de type SS du Secteur Droit, rôde dans tout le pays. Ils arrêtent ou tuent dissidents, militants et journalistes. Des centaines de soudards américains de la compagnie militaire « privée » Academi (précédemment Blackwater) sont déployés dans toute la Nouvelle Russie, c’est-à-dire les provinces de l’Est et du Sud-Est. Des réformes exigées par le FMI ont réduit les retraites de moitié et fait doubler le prix des loyers. Sur le marché, les rations de l’armée US ont remplacé les produits alimentaires locaux.
Le nouveau régime de Kiev ne peut plus prétendre à la démocratie après avoir expulsé les communistes du Parlement. Ceci devrait les rendre encore plus chers au cœur des États-Uniens. Expulsez des communistes, faites appel à l’OTAN, condamnez la Russie puis organisez une gay-pride et vous pourrez vous permettre n’importe quoi, même faire griller vifs des douzaines de citoyens. Ce qu’ils ont fait.
Les formes les plus brutales de répression se sont abattues sur la Nouvelle Russie industrielle, et sa classe laborieuse déteste la clique des oligarques et des ultra-nationalistes. Après le brasier infernal d’Odessa et les fusillades pour le plaisir dans les rues de Melitopol, les deux provinces de Donetsk et de Lugansk ont pris les armes et déclaré leur indépendance vis-à-vis du régime de Kiev. Elles ont été prises sous le feu mais ne se sont pas rendues. Les six autres provinces russophones de Nouvelle Russie ont été rapidement intimidées. Dniepropetrovsk et Odessa ont été plongées dans la terreur par l’armée personnelle de M. Kolomoïsky ; Kharkov a été roulée par son fourbe gouverneur. La Russie n’est pas intervenue et n’a pas soutenu la révolte, à la grande détresse des nationalistes russes d’Ukraine et de Russie, qui parlent de « trahison ». Autant pour la rhétorique va-t-en-guerre de McCain et de Brzezinski.
Le respect de Poutine pour la souveraineté des autres est exaspérant. Je sais que ceci a l’air d’une blague – on en entend tellement sur Poutine « nouvel Hitler »… En réalité, Polutine a eu une formation juridique avant d’entrer dans les services secrets. C’est un adepte pointilleux de la loi internationale. Sa Russie s’est mêlée des autres États bien moins que la France ou l’Angleterre, ne parlons même pas des États-Unis. J’ai demandé à son conseiller principal, M. Alexei Pushkov, pourquoi la Russie n’a pas essayé d’influencer les esprits des Ukrainiens, pendant que Kiev bourdonnait d’Américains et d’Européens. « Nous pensons qu’on n’a pas le droit d’intervenir » m’a-t-il répondu comme un bon petit écolier.