Dans les années à venir, l’Arctique promet d’être une région disputée. D’une part, ses ressources naturelles, notamment en hydrocarbures, sont prometteuses (comparable à celle de l’Arabie Saoudite des années 1920, selon l’ethnologue et géographe/physicien Jean Malaurie, grand spécialiste des espaces polaires). D’autre part parce que le changement climatique permettra l’ouverture de nouvelles routes maritimes qui réduiront considérablement les liaisons entre l’Asie et l’Europe, avec tout ce que cela comporte en matière de sécurité (lutte contre les trafics, pollution, etc…).
D’où l’importance qu’accordent à cette région de nombreux pays, dont la Chine, qui a d’ailleurs obtenu une place d’observateur au Conseil de l’Arctique en mai dernier. Récemment, la Maison Blanche le Pentagone ont publié une stratégie pour cette zone d’intérêt. "Nous commençons à réfléchir et à planifier la façon dont notre flotte navale et d’autres capacités et moyens devront s’adapter à l’évolution et aux besoins de la région", a expliqué Chuck Hagel, le secrétaire américain à la Défense, lors du récent Forum sur la sécurité internationale d’Halifax.
La stratégie définie par le Pentagone repose sur la dissuasion, une meilleure compréhenion de l’environnement arctique et la préservation de la liberté de navigation, ce qui suppose la capacité de relever "des défis communs" en matière de sécurité avec les 7 pays riverains. Cette coopération en est la "pierre angulaire", a fait valoir Chuck Hagel.
Seulement, la coopération s’annonce difficile à mettre en oeuvre étant donné que les pays qui bordent l’océan Arctique se livrent une bataille scientifique et juridique pour déterminer leurs zones de souveraineté. Selon la Convention des Nations unes sur le droit de la mer, chacun sera autorisé à étendre ses droits pour l’exploitation des ressources natuelles au-delà de 200 milles marins, à condition de pouvoir établir que cette extension est la "prolongation naturelle du plateau continental".
C’est en vertu de cette disposition que, par exemple, la France entend étendre la superfice de ses eaux territoriales autour de Saint-Pierre-et-Miquelon pour les porter à 47 000 km2. En jeu : 10% des 600 à 700 millions de barils de pétrole du bassin laurentien. Ce qui, comme on peut l’imaginer, n’est pas du goût du Canada… Le dossier sera examiné par l’ONU, plus précisément par la Commission des limites du plateau continental, tout comme le sera celui déposé par Ottawa pour le pôle Nord géographique, objet de contentieux avec la Russie et, dans une moindre mesure, le Danemark (avec le Groenland).
Ainsi, Ottawa a envoyé un dossier, le 9 décembre, à la commission spécialisée des Nations unies afin de faire valoir ses arguments au sujet de la dorsale de Lomonossov, une chaîne de montagne sous-marine qui traverse l’océan Arctique sur 1 800 km de long, des eaux sibériennes jusqu’à l’île canadienne d’Ellesmere. Seulement, la Russie a également des prétentions. Si sa requête avait été rejetée en 2002, Moscou avait toutefois organisé une expédition sous-marine très médiatisée 5 ans plus tard en déposant, par 4 200 mètres de fond, son drapeau à la verticale du Pôle Nord.
Cette affaire ne fit qu’accroître les revendications canadiennes, avec la mise au point d’une stratégie spéciale pour l’Arctique, prévoyant la construction d’un port en eaux profondes et d’une station de recherche ainsi que le renforcement de ses moyens militaires dans cette région, avec notamment de nouveaux navires, des drones HALE et des véhicules blindés chenillés.
Depuis longtemps déjà, Moscou a annoncé un renforcement de ses capacités militaires dans les régions arctiques. Mais la demande canadienne au sujet de la dorsale de Lomonossov a été aussi dure à avaler qu’un verre de vodka frelatée pour le président russe, Vladimir Poutine. Ce dernier a donc annoncé, dans la foulée, avoir ordonné d’augmenter la présence des forces armées russes dans la zone.
"Je demande d’accorder une attention particulière au déploiement d’infrastructures et d’unités militaires dans l’Arctique", a-t-il affirmé, lors d’une réunion au ministère de la Défense retransmise à la télévision publique, le 10 décembre. "La Russie s’investit de plus en plus dans cette région d’avenir, y revient et doit y disposer de tous les leviers pour assurer sa sécurité et défendre ses intérêts nationaux", a-t-il ajouté.
“J’espère que nous signerons un contrat public sur le rétablissement de l’aérodrome à Tiksi et la réalisation des travaux de construction et de montage sur l’aérodrome Severomorsk-1 d’ici la fin de l’année”, a encore dit Vladimir Poutine lors de la réunion télévisée.
"Nous comptons rétablir les aérodromes et les ports sur l’archipel François-Joseph et les îles de Nouvelle-Sibérie, ainsi que les aérodromes de Tiksi, de Narian-Mar, d’Alykel, d’Amderma, d’Anadyr, de Rogatchevo et de Nagourskaïa", a, de son côté, précisé Sergueï Choïgou, le ministre russe de la Défense.
La veille, le quotidien Izvestia avait affirmé qu’il était question "d’améliorer l’efficacité des sous-marins russes en Arctique" d’ici 2015, en les dotant de "nouveaux éléments" et en renforçant leur coque, ce qui leur permettrait "de percer une épaisse couche de glace sans être endommagés lors de la remontée à la surface". Il y est prévu d’augmenter le nombre de patrouilles de submersibles afin d’y “assurer la sécurité de la Russie dans les régions du Grand nord” et d’y renforcer l’aviation navale.
Et, fin novembre, l’état-major russe avait annoncé le déploiement de nouveaux systèmes de détection dans la région. "Élargir la zone couverte par nos radars est une mission importante. Cela concerne surtout l’Arctique. Nous avons déjà commencé à déployer des unités radiotechniques dans la zone arctique", a ainsi expliqué le général Alexandre Golovko, le commandant des troupes aérospatiales russes.
Le 3 décembre, le président russe avait également parlé des "grands intérêts" de la Russie dans l’Arctique, et évoquer une possible menace militaire américaine dans la région, tout en jugeant improbable un éventuel conflit. "Il y a des sous-marins lance-missiles (américains) là-bas (…) Il suffirait de 15 ou 16 minutes pour que des missiles américains atteignent Moscou à partir de la mer de Barents. Alors, devons-nous renoncer à l’Arctique ? Nous devons au contraire l’explorer", avait-il expliqué devant des étudiants russes.
Et dire que, sans rire, l’ambassadeur russe au Conseil de l’Arctique Anton Vassiliev, a affirmé au début du mois que "si l’on met à part les armements nucléaires stratégiques, il est difficile de parler de militarisation de l’Arctique". Et d’ajouter : "Il n’y a plus rien à se partager, toute la région l’est déjà".