Serge Klarsfeld publie un nouveau "Mémorial de la déportation des Juifs de France", un travail "colossal" de quinze années qui rassemble les familles, souvent déportées séparément, et dresse le bilan "le plus précis possible" de cette immense tragédie humaine.
Cet ouvrage complète le premier Mémorial publié en 1978 par l’avocat et historien, sous l’égide de l’association des Filles et fils des déportés juifs de France (FFDJF), qui a "joué son rôle pionnier pour informer les familles du sort de leurs proches" et "leur permettre d’accomplir leur travail de deuil", souligne à l’AFP Me Klarsfeld.
Mais l’ouvrage contenait "de nombreuses erreurs et lacunes, ce qui est compréhensible puisqu’il s’agissait de publier, convoi par convoi, les listes alphabétiques des déportés", souvent d’origine étrangère, aux patronymes difficiles à orthographier.
Souvent aussi, les dates de naissance manquaient. "Beaucoup de familles avaient été déportées séparément, comme ces 3.000 mères des camps de la zone libre, déportées en août 1942 et dont les enfants sont arrivés à Auschwitz trois semaines plus tard. Elles se sont laissées mourir de désespoir, seules cinq d’entre elles sont survécu, mais il n’y a pas un seul témoignage de ce terrible fait", regrette Me Klarsfeld.
Pour dresser "le plus précisément possible le bilan humain de cette immense tragédie humaine" que fut "la solution finale", "pour lutter contre l’oubli", il était "nécessaire d’aller plus loin" que le mémorial de 1978, explique-t-il.
Grâce à l’ouverture de différents fichiers (camp de Drancy, préfecture de police de Paris, camps de la zone libre de Pithiviers ou de Beaune-la-Rolande, archives départementales), sa documentation s’enrichit au fil des années et lui permet de publier, à partir de 1994, "le mémorial des enfants juifs déportés de France", comprenant 11.400 noms, prénoms, dates et lieux de naissance, ainsi que l’adresse, et la photo, quand c’est possible, de l’enfant.
Ce mémorial a eu un "impact formidable", souligne Me Klarfeld, d’autant que l’ex-président "Jacques Chirac reconnaît, en 1995, le rôle de l’Etat Français dans la déportation des Juifs de France" : des milliers de plaques commémoratives sont apposées dans les écoles de France.
"Les enfants ont revécu, ils n’ont pas été jetés à la poubelle de l’Histoire mais sont redevenus sujets de l’Histoire", assure Me Klarsfeld, lui-même sauvé de la déportation quand il était enfant, grâce au sacrifice de son père Arno Klarfeld, qui s’est laissé arrêter après avoir caché sa famille dans un placard de son appartement.
"Il fallait faire la même chose pour les adultes, en rassemblant les familles, grâce notamment à l’adresse du lieu de leur arrestation", dit-il. Pendant quinze ans, Me Klarsfeld va arpenter inlassablement les archives départementales, regrouper, recouper les informations, photocopier des milliers de documents provenant notamment des camps du sud, Gurs, Rivesaltes, Les Mille...
La tâche est colossale, il y a beaucoup d’homonymes, "plus de 1.200 Lévy par exemple. Comment s’y retrouver ?", s’est demandé l’avocat. "La permanente compilation de cette immense masse documentaire" va lui permettre de combler les lacunes d’état civil ou d’adresses.
"C’est un tonneau des Danaïdes presque entièrement rempli", "un outil d’une très grande richesse pour les historiens", affirme Me Klarsfeld, en confiant que ce travail a réclamé de lui "un profond engagement pour la justice, pour la mémoire et pour l’Histoire".
75.500 Juifs ont été déportés sur les 320.000 qui vivaient en France au début de l’Occupation. 2.500 environ ont survécu.