Un jour, le grand Marcel Dassault eut envie d’un journal, et d’un journal en face de Paris Match qui trustait l’image (et la pub) en France. Alors il créa, ou fit créer, Jours de France. C’était people, glamour, bourgeois, propre, une façon de redorer le blason royal de la France.
Élégance et désinvolture...
Naturellement, on y parlait aussi avions, et le vieil ingénieur y avait sa chronique hebdomadaire, et personne pour la lui corriger : tout le monde était royalement payé. C’était le Gala d’il y a 50 ans. Pour damer le pion à Match, qui avait la plus belle écurie de dessinateurs avec Chaval, Bosc, Sempé plus tard (et même le communiste Wolinski), il fallait un mec au niveau.
Ce sera Kiraz (1923-2020), le roi du trait mode, du trait parisien, avec ses héroïnes sexy sur hauts talons et petits seins. Mais aussi Hoviv, Morez, Voutch, des vieux de la vieille avec leurs histoires absurdes et gentillettes, légèrement acides, pas plus. Le vieux avait ses limites : pas question de faire bosser les saligauds d’Hara-Kiri en 1960.
Depuis, les choses ont changé, le grand Sempé, plus très lucide, a passé le témoin au médiocre Joann Sfar, qui réussit le tour de force de n’être jamais drôle. On appelle ça du dessin d’humeur, ce qui dénote un casting plus politique qu’artistique ou humoristique.
Kiraz, au moins, avait le talent du dessinateur et du peintre, sa passion première, les deux techniques étant très différentes. Le trait et l’ambiance Kiraz sont si stylés, qu’on les reconnaît en un clin d’œil, et qu’on en oublie son nom. On retrouve l’idée de la Parisienne chic un peu partout, même en publicité. Les affiches des Galeries Lafayette ont longtemps ressemblé à du Kiraz.
Cependant, l’Arménien (Kirazian) n’était pas un enfant de chœur : il a popularisé la Parisienne chic, mais aussi la calculatrice, la fausse ingénue, la meneuse d’hommes, la salope, en un mot. C’était avant le féminisme, et le bougre avait senti le basculement.
D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si Carla Bruni a écrit la préface d’un bouquin sur Kiraz, en ayant bien compris comment fonctionnait la Parisienne, avec son goût du pouvoir (d’influence), de la tromperie, de la manipulation du désir des hommes, armes féminines vieilles comme le monde. Il y avait probablement déjà des Parisiennes sous Cro-Magnon.
Petite sociologie de la salope
Le terme de salope conserve une connotation négative. Il peut désigner une personne méchante, portée sur les coups bas et la trahison. Le terme de salope désigne également une femme avec une sexualité libérée, mais qui reste inaccessible. Elle peut coucher avec des hommes sans avoir de sentiments, juste pour « prendre du bon temps ». Mais la salope peut également subir cette situation. Elle apparaît comme une fille facile, dont on a le droit de profiter sans écouter ses désirs. La salope apparaît encore plus sale que la pute, qui peut subir la contrainte et le besoin matériel.
Sa sexualité est décomplexée car émancipée de toute pression sociale. C’est une femme en pleine possession de sa sensualité et épanouie sexuellement. « Une salope, c’est une femme qui ose. Une femme qui s’en fout. Une femme qui parle trop fort, s’habille trop court, boit trop, chante quand il ne faut pas, répond quand on lui parle mal, drague sans attendre d’être courtisée, fait l’amour quand elle en a envie, exprime ses envies, n’a pas honte de son corps », indique la journaliste Clarence Edgard-Rosa. La salope apparaît donc comme une femme libre. (infolibertaire.net)
En fait, derrière l’image chic et propre, Kiraz désacralise la femme. Sous le vernis social bourgeois grenouille la salope, qui n’allait pas tarder à naître de manière éclatante en 68. Et si on dit salope, c’est bien parce qu’il y aura un manifeste des salopes, et la femme nouvelle le revendiquera. Salope, ça signifie indépendante mais attirante, redéfinissant la relation à l’homme.
Depuis le schisme de 1968-1975, la femme est de plus en plus attirante, pour augmenter son pouvoir sur l’homme, et de plus en plus indépendante, pour faire monter les enchères. Le féminisme a fait monter le prix de la femme : il a valorisé la femme et dévalorisé l’homme, c’est une certitude. On a retrouvé la salope originelle : madame de Merteuil.
« J’ai toujours su que j’étais née pour dominer votre sexe et venger le mien. »