Pour prendre les choses dans l’ordre, il est possible de rappeler que la figure habituellement retenue comme fondatrice du sionisme est Théodore Herzl, journaliste austro-hongrois qui fonda le mouvement en 1897 lors du Congrès de Bâle. Mais avant lui, un certain nombre d’auteurs avaient pu parler du retour en terre de Palestine des Juifs [1], cette volonté de retour pouvant se justifier – mais pas seulement – par le racisme [2] spécifique envers eux, connu sous le nom d’antisémitisme, ce racisme pouvant se manifester de manière violente à travers des pogroms et atteignant son paroxysme durant la Seconde Guerre mondiale à travers une législation spécifique.
Et il est tout à fait compréhensible que ces épisodes tragiques de l’histoire aient pu rendre les Juifs tout à fait sensibles à ce type de question [3].
Pour en revenir à la naissance du sionisme, il y eut dès le XVIIème siècle un sionisme chrétien, essentiellement protestant, visant à faire migrer les Juifs vers la Palestine, dans le but de les convertir au christianisme et de hâter la parousie, le retour du Christ sur Terre. Ainsi est-il possible de noter l’existence d’un sionisme antijudaïque, ce qui n’est qu’en apparence un paradoxe. De même, l’accord Haavara, passé en 1933 entre le gouvernement allemand, déjà nazi, la Fédération sioniste d’Allemagne et la banque Leumi, afin de transférer des juifs vers la Palestine, montre que certains antisémites ont aussi pu soutenir, au moins un temps, le sionisme. Ce qui invalide la thèse selon laquelle l’antisionisme est nécessairement de l’antisémitisme, puisqu’il exista un sionisme antisémite. Cyniquement, un antisémite peut envisager l’aliyah [4] comme le moyen le plus efficace et le moins violent, de voir les Juifs quitter un pays.
S’il y a eu un antisémitisme institutionnalisé par le passé, il est à noter qu’en Occident, l’antisémitisme est confiné à de la délinquance – vivement sanctionnée, ce dont on ne peut que raisonnablement se réjouir – et aux discours de quelques groupuscules marginaux. Les Juifs ont ainsi une place dans la société contemporaine tout à fait acceptable, ne leur infligeant nullement un statut de citoyen de seconde zone et leur permettant, selon les talents de chacun, de mener la carrière qu’ils souhaitent.
Mais alors, en éradiquant, ou peu s’en faut, l’antisémitisme, il est possible de se demander ce qui justifie encore l’existence du sionisme politique. En effet, si les politiques antisémites passées justifiaient la volonté d’un foyer national pour les Juifs, qu’en est-il une fois cet antisémitisme disparu ? C’est alors qu’il faut se pencher sur le conflit israélo-palestinien.
De nombreux juifs se sont installés en Palestine, devenu Israël en 1948. Sur ce territoire cohabitent donc difficilement des Juifs et des Arabes. Le projet de certains ultras du sionisme de faire partir tous les Arabes du territoire correspondant à Eretz Israël est tout à fait condamnable moralement. En considérant même que les Juifs reviennent sur leurs terres, ce ne serait qu’en vertu de la promesse qui leur a été faite par Dieu ; or, on ne peut raisonnablement attendre de quelqu’un qui ne pratique pas le judaïsme de croire qu’une terre a été spécifiquement accordée aux Juifs par Dieu. Pour quelqu’un qui n’est pas de tradition abrahamique, cela n’a pas de sens. Pour un chrétien, l’Ancienne Alliance est rendue caduque par la Nouvelle. Pour un musulman, le juif est appelé à devenir musulman. Donc cela est difficile à soutenir.
Mais il faut bien constater que des Juifs vivent en Israël, et il n’est pas non plus raisonnable de penser les en faire partir comme le soutiennent certains forcenés de l’antisionisme. Ils sont là, pour certaines familles, depuis trois ou quatre générations, et on peut raisonnablement dire qu’ils y ont fait souche. Il serait tout à fait injuste d’en faire de nouveaux Pieds-noirs.
Mais vouloir continuer à faire venir des Juifs en Israël, en vertu d’une promesse à laquelle seuls des juifs au sens religieux [5] peuvent croire, ne peut que rendre encore plus difficile la question des colonies, qui est bien souvent la pierre angulaire des négociations de paix.
De plus, le statut des citoyens israéliens d’origine arabe pose problème. En effet, le statut juridique des citoyens varie en Israël suivant l’origine ethnique. Un Israélien arabe n’aura pas les mêmes obligations militaires – par exemple – qu’un Israélien juif. Or, le service militaire peut être vu comme la preuve de la confiance d’un État envers ses citoyens. En n’imposant pas les même obligations militaires, l’État israélien montre à ses citoyens arabes qu’il ne leur fait pas confiance. De plus, en créant une citoyenneté à deux vitesses, l’État israélien donne du grain à moudre aux antisionistes, notamment dans le monde arabe. En effet, cette citoyenneté à deux vitesses peut facilement être comparée avec l’apartheid en Afrique du Sud, qui a été la cause de la mise au ban des nations de cet État, ou encore à la ségrégation aux États-Unis. Et en incitant toujours des Juifs à faire leur aliyah, l’État israélien montre son manque de confiance envers le reste de la communauté internationale, alors même que les législations antisémites ont disparu de la plupart des pays.
Pour finir, en réclamant le fait d’être reconnu en tant qu’État juif, l’État israélien constitue le dernier État au monde voulant être une Volksgemeinschaft, c’est-à-dire un État reposant sur une ethnie – ce lien avec les anciens Hébreux – et une spiritualité – le judaïsme. Or de nombreux Juifs (avec une majuscule, au sens ethnique) israéliens ne sont pas juifs (avec une minuscule, au sens religieux) ; il est même probable que du fait des conversions à travers l’histoire – de Berbères par exemple – de nombreux juifs ne soient nullement Juifs. De nombreux Israéliens arabes ne sont pas non plus Juifs, et pour la plupart, pas non plus juifs, mais musulmans, chrétiens ou druzes. C’est un pays qui n’est ni homogène ethniquement – à moins de faire de l’épuration ethnique, ce qui est tout à fait condamnable – ni religieusement – à moins de procéder à des conversions massives, ce qui est peu probable.
Pour assurer sa survie, dans la paix et la sécurité, il faut donc tenir compte de la réalité ethnique et religieuse d’Israël. En l’absence d’un antisémitisme institutionnalisé, il n’est plus raisonnable de vouloir faire venir tous les Juifs en Israël. De plus il faut tenir compte de la présence des Arabes, chrétiens, musulmans et druzes, et des Juifs laïcs. Il serait donc probablement temps de passer d’un sionisme se focalisant sur la création d’un foyer national juif, centré sur l’identité juive des arrivants, à un post-sionisme, prôné par les Nouveaux Historiens israéliens, se focalisant sur l’identité israélienne de ceux qui sont déjà là, qu’importe leur ethnie ou leur religion. En somme, faire d’Israël un État laïc, pluri-ethnique et multi-confessionnel de fait. L’appartenance à la nation ne serait alors plus ethnique, mais civique. L’Irlande a ainsi réussi à établir durablement la paix, en accordant à tous les citoyens, catholiques comme protestants, un statut d’égalité des droits. Ce modèle pourrait être suivi.
Cette solution renvoie dos à dos les plus forcenés des sionistes comme des antisionistes, mais c’est probablement celle qui assurera le plus la paix et la sécurité à long terme.
E&R Aquitaine
Rappel – Alain Soral sur l’escroquerie de la solution à deux États (interview du 20 juin 2011) :