Le journal londonien The Independent a révélé dimanche qu’un document « accablant » de deux cent cinquante pages, intitulé « The Responsibility of UK Officials for War Crimes Involving Systematic Detainee Abuse in Iraq from 2003-2008 [1] », a été « soumis à la Cour pénale internationale (CPI) et pourrait entraîner des poursuites judiciaires à l’encontre de certains dirigeants britanniques de la défense pour cause de crimes de guerre « systématiques ».
Le dossier allègue que « les principaux responsables » des crimes de guerre présumés « incluent des personnalités en poste aux plus hauts niveaux » de l’armée et du système politique britanniques.
Selon le journal The Independent, le dossier mentionne notamment deux anciens pontes du ministère de la Défense, Geoff Hoon et Adam Ingram, qui occupaient respectivement les postes de secrétaire d’État à la Défense et de secrétaire d’État en charge des forces armées au cours du mandat de Tony Blair lors de la planification et de l’invasion de l’Iraq et pendant la majeure partie de l’occupation britannique. Le général Peter Wall, chef de l’armée britannique, est également cité.
Des allégations choquantes ont été compilées à partir du témoignage de quatre cents Iraquiens et représentent « des milliers de témoignages de mauvais traitements assimilables à des crimes de guerre, actes de torture ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
Le document, soumis à la CPI de La Haye le samedi 11 janvier 2014, « requiert une enquête sur les crimes de guerre présumés en vertu de l’article 15 du Statut de Rome », et est le fruit de plusieurs années de travail accompli par le cabinet Public Interest Lawyers, basé à Birmingham, et l’ECCHR (Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l’Homme). Ce document « est le plus détaillé jamais soumis au bureau du Procureur de la CPI concernant les crimes de guerre présumés des forces britanniques en Iraq ».
En 2006, la CPI avait estimé qu’il « existait des motifs raisonnables de croire que des crimes relevant de la compétence de la Cour avaient été commis, notamment des homicides intentionnels et des traitements inhumains ». Cependant, les procureurs avaient refusé d’ouvrir une enquête puisque les plaintes concernaient moins de vingt cas.
Par la suite, « des centaines d’autres doléances ont vu le jour, encourageant aujourd’hui l’examen des plaintes. Ceci marque le début d’une procédure qui pourrait placer certains hommes politiques et généraux britanniques soupçonnés d’avoir commis des crimes de guerre sur le banc des accusés ». Les « traitements abusifs généralisés perpétrés par les membres des forces armées britanniques en Iraq se sont poursuivis pendant la durée des opérations militaires, soit presque six ans ». On peut toutefois se demander à partir de quand un crime n’en est pas un, lorsque « seuls » des dizaines de cas ont été recensés ?
Des preuves « de recours systématique à la violence ayant parfois entraîné la mort de prisonniers détenus par les forces armées britanniques » ont été présentées. Les deux entités juridiques prétendent qu’il « existe des preuves d’actes de brutalité, de cruauté et de formes de sadisme incluant des sévices sexuels et des humiliations à caractère sexuel et religieux », associés à une utilisation généralisée du « supplice du capuchon » et à des actes de torture infligés aux prisonniers placés dans des « positions douloureuses, soumis à des bombardements sonores et privés de sommeil, de nourriture et d’eau ».
Ce type de techniques a été interdit dans le cadre du gouvernement d’Edward Heath en 1972 après avoir été utilisé en Irlande du Nord. Selon les accusations, ces techniques proscrites ont été utilisées « au sein de différents types d’installations britanniques [en Iraq] [...] entre 2003 et 2008 ». (Après septembre 2007, les Britanniques avaient d’ailleurs déclaré que seul un nombre réduit de militaires demeurait sur place pour participer à l’entraînement des Iraquiens).
Les actes barbares présumés ont de toute évidence été aggravés par « l’absence de suivi ou de responsabilisation visant à mettre un terme à de telles pratiques qui ont entraîné d’autres sévices. La conclusion logique est que ces mauvais traitements étaient systématiques ».
Le journal The Independent cite le professeur William Schabas, spécialiste des droits de l’Homme : « la soumission de ce dossier constitue un défi lancé à la Cour afin d’illustrer le fait qu’il n’existe pas deux poids et deux mesures. Ce cas nécessite incontestablement une enquête de la CPI ». Il prétend que les crimes de guerre perpétrés par les forces britanniques en Iraq sont « indubitables », et « qu’il y a des raisons de s’inquiéter ».
Les ministères britanniques de la Défense et des Affaires étrangères et du Commonwealth déclarent tous deux que l’ensemble des accusations de sévices ont fait ou font actuellement l’objet d’enquêtes par le biais de voies juridiques ou non. William Hague insiste par ailleurs sur le fait qu’il n’était pas nécessaire d’impliquer la CPI.
La CPI en tant qu’organisme a également fait l’objet de critiques et été accusée de juger et d’examiner en priorité les violations des droits de l’Homme perpétrées en Afrique au détriment d’autres violations présumées.
Le secrétaire général de l’ECCHR, Wolfgang Kaleck, a déclaré au journal The Independent que l’objectif de la transmission de ce dossier à la CPI « est de faire progresser les poursuites pénales à l’encontre des dirigeants politiques et militaires au Royaume-Uni qui sont les principaux responsables des actes de torture systématiques en Iraq ». Il ajoute que « la Cour pénale de La Haye constitue la dernière chance d’obtenir justice pour les victimes de torture et de mauvais traitements ».
« Il faut mettre un terme à la double morale qui existe en matière de justice pénale internationale. Les crimes de guerre et autres violations graves des droits de l’Homme doivent faire l’objet d’une enquête et de poursuites judiciaires, qu’ils aient été commis par des personnes puissantes ou non ».
Selon Phil Shiner du cabinet Public Interest Lawyers, les actions des dirigeants britanniques haut placés impliqués dans l’invasion, la planification, l’exécution et l’occupation feront l’objet d’une enquête. « Je pense que l’examen de ces problèmes est largement justifié. Je serais sidéré et amèrement déçu dans le cas contraire ».
Geoff Hoon, Adam Ingram et le général Peter Wall n’ont pas souhaité s’exprimer sur le sujet.