François Hollande en Amérique, comme Tintin autrefois ? Aux sommets du G8 et de l’OTAN. Véritable baptême du feu, après celui de la foudre ayant frappé son avion lors de son premier voyage à Berlin. On dit qu’il s’en est bien tiré. Lui, sûrement. La France et sa politique étrangère, c’est moins sûr.
Évidemment, ces grands rendez-vous internationaux n’ont rien de combats de catch. Et, pour affutés qu’ils soient, les couteaux ne se plantent qu’en douceur dans les dos et encore, seulement en coulisses. Officiellement donc, tout s’est bien passé. Avec Barack Obama ou, quelques jours avant, Angela Merkel. Tout le monde fait comme si de rien n’était. Pour nous écouter, on nous écoute. On fait semblant, tout au moins. Hollande n’est pas Mitterrand qui lui-même n’était pas De Gaulle.
En Afghanistan, la France a les mains liées…
Premier dossier épineux là-bas traité : nos troupes en Afghanistan. Il était prévu qu’elles quittent le bourbier en question en 2014 ; François Hollande veut avancer le calendrier de deux ans. Fondamentalement, cela ne dérange pas les USA, sachant que nos soldats ne forment que 3 % de la coalition. D’un point de vue opérationnel, ce sera déjà plus compliqué, puisque nous n’avons pas les avions gros-porteurs susceptibles de rapatrier hommes et matériels, avions gros-porteurs que les Américains, eux, possèdent.
Pis, nos soldats devront malgré tout demeurer sur place, histoire d’honorer l’initial mandat français : soit former une éventuelle police afghane et une incertaine armée locale. C’est ce qui avait été voté au Parlement après l’invasion de ce pauvre pays, ayant par ailleurs résisté à toute forme d’invasion, anglaise, soviétique ou américaine. Cet accord d’origine, c’est celui que Nicolas Sarkozy avait renié, au grand dam d’un Jacques Chirac et d’un Lionel Jospin, en changeant de politique en cours de route. Ainsi, nos compatriotes se sont retrouvés, sans accord préalable de l’Assemblée nationale, à passer du statut de « formateurs » à celui de « combattants » engagés dans une guerre sans nom et sans fin n’ayant jamais engagé les intérêts stratégiques de la France.
En termes de visibilité médiatique, il s’agit donc d’une victoire de François Hollande, qui pourra toujours assurer sur les plateaux télévisés avoir affronté le géant américain. En termes diplomatiques, il s’agit d’un simple pas de deux, un en avant, l’autre en arrière. En politique tout court ? Juste la laisse sur laquelle on accorde un peu de mou, histoire de faire croire au chien qu’il peut se prendre pour un lion.
Avec Pierre Lellouche, on n’est jamais déçus !
Pour continuer de filer la métaphore animalière, certains singes savants ont au moins l’insigne avantage de ne jamais nous décevoir. D’où cet entretien accordé par Pierre Lellouche au Parisien de ce dernier dimanche : « Moi, je remarque surtout que François Hollande a maintenu une promesse électorale – retirer les soldats français d’Afghanistan d’ici décembre 2012 – au mépris de l’intérêt national et du respect de la parole donnée par la France à ses alliés. »
Magnifique. À lire ces lignes, il y a de quoi tomber de l’armoire. Quel « intérêt national » ? Et surtout, quels « alliés » ? Car ces « intérêts nationaux », on peut les trouver à peu près partout, hormis en Afghanistan. Quant à ses « alliés », n’en parlons même pas ; avec eux, plus besoin d’adversaires. La puissante Amérique qui nous maintient sous tutelle politique, tandis que l’Allemagne, par égoïsme national renaissant, est en train de mener l’Europe à la ruine économique… Quant à Pierre Lellouche, très vague “monsieur géopolitique” de l’UMP, que même Sarkozy ne parvenait à prendre au sérieux, il est aussi plausible en patriote français qu’un BHL en porte-parole du Hezbollah libanais.
Des missiles américains qui nous protègeront de tout, de rien, mais peut-être pas des Américains…
Le dossier le plus important de ces deux rencontres internationales a été, en revanche, peu relayé par la machine médiatique, plus occupée à nous dire si, entre le nouveau résident élyséen et le possible ancien locataire de la Maison blanche, le courant était bien passé. Ce dossier, c’est l’éternel “Bouclier antimissiles” censé protéger l’Europe de futurs dangers encore mal définis. Là, un petit retour en arrière s’impose. Ce concept de parapluie antimissiles ne date pas d’hier, puisque remontant à 1957, date à laquelle les USA, entendant se protéger contre une URSS qu’ils ont pourtant contribué à financer en 1917 et 1941, lancent le bidule susnommé. Ballistic Antimissile Boost Interceptor, un peu mieux connu sous l’acronyme de Bambi ; il y a des choses qui ne s’inventent pas. Sept ans et 3,5 milliards de dollars dépensés en vain plus tard, un nouveau machin, le programme Safeguard, vaguement mis en place en 1975, avant d’être mis en sommeil un an après. Why ? Because que tout simplement, après avoir coûté la coquette somme de 23,1 milliards de dollars au contribuable américain, le trucmuche ne semble toujours pas fonctionner.
Après un long sommeil, soit le temps de laisser les ingénieurs atterrir après rapide montée de patriotisme mal placé et longue descente de LSD, reprendre leurs esprits, la boîte à coucou se réveille en 1983, en pleine Guerre froide. Ronald Reagan, qui vient d’Hollywood, rebaptise le tout Star Wars. Quelques années plus tard, cela aurait pu être Harry Potter… Entre-temps, quelques autres milliards de billets verts jetés par les fenêtres. En 1991, fin de Guerre froide et George Bush, Président fraîchement élu, obligent, le projet est jeté aux oubliettes avant d’être officieusement oublié. On rappellera que l’affaire a déjà coûté, depuis 1957, la bagatelle de 122 milliards de dollars. Pour faire quoi ? Pour rien, ou, pour être plus précis, pour continuer comme avant…
En 1999, le Président Bill Clinton, sous la possible pression d’un éventuel lobby militaro-industriel (si, si…) accepte de signer le National Missile Defense Act, aidé en la manœuvre par la quasi-totalité de la Chambre et du Sénat. Son successeur, Bush fils, celui qui est devenu chrétien en voyant le Christ, au petit matin, au fond d’une bouteille de whisky vide, relance la machine. En 2008, Barack Obama n’est pas très pour, mais n’a pas forcément le choix. Gag absolu, tous les scientifiques, civils ou militaires, s’accordent pour dire que ce bouclier antimissiles pourrait peut-être fonctionner, mais pas forcément, et pas toujours les jours de mauvais temps. En un mot comme en cent : c’est le vendeur de voitures d’occasion qui, du pied, coince la porte du futur pigeon pour lui fourguer une chignole dont la carrosserie ne tiendrait plus que par la rouille.
Mitterrand et Chirac n’en voulaient pas !
Même en pleine Guerre froide, époque où le danger soviétique pouvait être pris au sérieux, quoique… François Mitterrand, s’il avait aidé à l’installation de missiles américains Pershing en RFA, ne voulut jamais entendre parler du bouclier foutraque plus haut évoqué. Pas plus d’ailleurs que son successeur, Jacques Chirac. Cela n’étonnera personne, Nicolas Sarkozy y était déjà plus favorable. Et François Hollande ? Là, ça se complique, se prononçant pour une « approche pragmatique », à en croire le Nouvel Observateur du 20 mai dernier : « Nous n’y faisons pas obstacle, mais il y a quatre éléments décisifs. (…) Le fait qu’il n’y ait pas opposition mais complémentarité entre dissuasion nucléaire et défense antimissiles. Les conditions d’engagement des forces (…) Savoir qui appuie sur le bouton et quand. » Les deux autres conditions sont d’ordre plus financier que politique : « Cela ne doit pas nous exposer à des dérives financières (…) et il faut que des industriels américains, mais aussi européens puissent y trouver leur compte… »
Comment collaborer à sa future collaboration…
Beurk… Si l’on résume, sous mine de résister, l’actuel gouvernement est déjà en train de préparer sa collaboration. Si bouclier antimissiles il y a, la dissuasion nucléaire française n’a plus de raison d’être. Pis que la fin du gaullo-mitterrandisme qu’on enterre, c’est la souveraineté française dont on signe l’acte de décès. Savoir qui appuiera en premier sur le bouton, c’est plus une question de protocole que de fond. Et quant à savoir qui tirera les marrons financiers de cette imposture, mieux vaudrait encore que les industriels français ne s’y salissent pas les mains, fût-ce au prix de trente deniers…
Au fait, pourquoi une telle polémique sur un projet baltringue, en son temps jugé « trop cher, dangereux et irréaliste » par messieurs Nixon, Kissinger et Brejnev ? Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, Institut de relations internationales et stratégiques et un peu poussé hors des instances socialistes pour avoir dénoncé le tropisme atlantico-sioniste de ce Parti, nous en dit plus, toujours dans le Nouvel Observateur du 17 mai dernier : « L’idée, aujourd’hui, est de se protéger d’une éventuelle attaque iranienne. (…) La vérité, c’est que ce programme n’est qu’une relance de la course aux armements, inutile, coûteuse et dangereuse. Ce système est contraire à l’idée de dissuasion. Il implique que la menace de représailles n’est pas efficace pour dissuader un adversaire potentiel et qu’il faut dès lors mettre en place un système d’interception et de protection. Alors pourquoi la France devrait y adhérer et conserver une force de dissuasion ? L’une des deux est inutile. »
La guerre à l’Iran, pour quoi faire ?
L’Iran, envoyer des missiles sur la vieille Europe ? Pour quoi faire ? « Ce serait suicidaire face aux capacités de représailles des Occidentaux », ajoute Pascal Boniface. Lequel poursuit : « Le but des dirigeants iraniens n’est pas de mourir en martyrs, mais de rester au pouvoir… » Comment conclure ? Chirac nous aura fait regretter Mitterrand et Sarkozy Chirac ! L’avantage de François Hollande est qu’il ne nous fera pas regretter Nicolas Sarkozy. C’est peu, mais trois fois rien, c’est toujours mieux que rien.
En attendant, vu l’état de santé de nos armées, pourquoi un tel bouclier ? Car s’il s’agit d’arrêter des talibans afghans ou des mollahs iraniens venus nous envahir en ULM, nos éoliennes devraient suffire à les faucher en plein vol. À en juger de ce que l’on sait de ces rencontres au sommet, nos hommes et femmes politiques seraient mieux avisés de faire le distinguo entre invasions réelles – bases de l’OTAN partout installées en Europe – et invasions hypothétiques, surtout lorsque venues de Téhéran…