« Les Grecs vivent au dessus de leurs moyens. » « L’économie allemande est plus vertueuse. » « L’Euro nous protège de la crise. » Ces trois affirmations font partie du mantra néolibéral répété en boucle par les économistes invités sur les plateaux. L’économiste Jacques Sapir démolit consciencieusement ces pétitions de principe. Dernier volet de cette série.
Il faut, face aux mythes et autres balivernes qui sont colportés d’ici et là rappeler ces faits. Ce n’est pas en se fermant les yeux à ces vérités que l’on pourra construire les politiques qui s’imposent face à la crise. C’est au contraire en les regardant en face que l’on pourra trouver des solutions.
La Grèce est incontestablement dans une situation extrêmement difficile. On peut craindre que l’aide de l’Eurogroupe contribue à empirer les choses au lieu de les améliorer. Cela ne signifie pas qu’il ne faut rien faire, mais qu’il faut le faire différemment. La grève générale du 5 mai devrait à cet égard avoir valeur de test. Il est alors urgent que les conditions mises à l’aide ne soient pas prises en otage par la politique intérieure allemande. Il ne sert à rien d’exiger des Grecs des conditions qu’ils ne pourront pas tenir.
De la même manière, rien ne justifie la fascination morbide de certains pour le « modèle » allemand. Il n’est pas exportable et il n’a d’ailleurs pas les conditions de stabilité internationale à long terme pour constituer un « modèle » (1). C’est là certainement l’un des mythes les plus pervers de la politique et de l’économie française depuis les années 1970, et qui plonge ses racines non dans la réalité mais dans une réécriture de l’histoire que nous avons plus ou moins acceptée sans la discuter. Mais, au lieu de se complaire dans ce masochisme qui tire sa source de la vision convenue du désastre de juin 1940, nous pouvons regarder sans honte la trajectoire économique de notre pays. Elle est certainement bien plus « soutenable » que celle de l’Allemagne.
Enfin, il faut cesser de mythifier l’Euro. Le passage à la monnaie unique a été une tragique erreur, alors que s’offrait à nous la possibilité d’une monnaie commune venant chapeauter nos monnaies nationales. Un tel système, en laissant la possibilité de procéder quand il faut à des dévaluations ou à des réévaluations eut été bien plus robuste. Il n’est pas trop tard pour revenir à la raison et faire marche arrière. En un sens, l’histoire a tranché. Dans sa forme actuelle, la zone Euro n’est pas viable.
(1) Biböw J., « Investigating the Intellectual Origins of the Euroland’s Macroeconomic Policy Regime : Central Banking Institutions and Traditions in West Germany aftre the War », The Levy Economics Institute, Working Paper n° 406, Annandale-on-Hudson, Mai 2004.
(2) Constat que je tirais en 2006 dans, Sapir J., « La Crise de l’Euro : erreurs et impasses de l’Européisme » in Perspectives Républicaines, n°2, Juin 2006, pp. 69-84, texte republié en 2009 sur le blog Horizons.