Comme chaque année à l’approche de la date anniversaire des massacres, une énième tribune publique de personnalités françaises a appelé début avril à « briser le silence ». Une quarantaine de parlementaires ont demandé au gouvernement l’envoi d’une délégation ministérielle aux commémorations à Kigali. En vain.
Paris, cible de déclarations incendiaires du président rwandais Paul Kagame il y a deux ans, s’est contenté dans un bref communiqué de « s’incliner devant la mémoire des victimes ».
En avril 2014, l’homme fort du pays et ex-guérillero, dont les hommes avaient mis fin au génocide, avait accusé les soldats français de l’opération militaro-humanitaire Turquoise d’avoir été « complices » des génocidaires hutu et même « acteurs » des massacres.
Depuis 20 ans, l’attitude de la France, qui avait soutenu jusqu’au bout le pouvoir hutu responsable du génocide, est l’objet de vives controverses, et les tumultueuses relations bilatérales sont empreintes d’une grande méfiance. Kigali accuse Paris d’avoir formé les forces génocidaires, exfiltré des extrémistes et accueilli des fugitifs impliqués dans les massacres.
- Opération Turquoise, juin 1994, des militaires français arrivent dans un camp au Rwanda
Après des années de tension, le Rwanda a rompu ses relations diplomatiques avec la France en 2006. La présidence de Nicolas Sarkozy avait permis leur reprise. Le retour au pouvoir des socialistes en 2012 a été marqué par un net refroidissement, malgré une prudente réserve de François Hollande dans ce dossier.
Il y a un mois, Paul Kagame jugeait dans l’hebdomadaire Jeune Afrique que la réconciliation n’était « probablement » pas pour demain, dénonçant les lenteurs de la justice française. « Jouer au jeu de la normalisation apparente (...), cela ne nous intéresse pas », prévenait-il, justifiant le refus depuis six mois d’agréer un nouvel ambassadeur français. « La France doit d’abord clarifier sa position sur le Rwanda. »
Au coeur du contentieux, l’enquête française sur l’attentat contre l’avion du président hutu Juvénal Habyarimana, point de départ du génocide des Tutsi, est passée des mains du juge Jean-Louis Bruguière à Marc Trévidic. Après avoir pu se rendre à Kigali, ce dernier l’a clôturée mi-2014 sans désigner les auteurs du tir de missile ayant détruit l’appareil présidentiel, et sans suite judiciaire à ce jour.
- Le 30 mai 1994, des milliers de réfugiés rwandais traversent la frontière tanzanienne
Pour une source proche du dossier, « il est clair, vu du Rwanda, que c’est surtout le sujet des génocidaires réfugiés en France qui déterminera l’avenir des relations ».
Car en 22 ans, malgré de multiples procédures, la création en 2012 d’un pôle « génocide » pour traiter des affaires rwandaises, une seule condamnation a été prononcée, en mars 2014. Un second procès s’ouvre mardi.