Le samedi 7 septembre 2013, nous nous sommes rendus dans une église catholique qui organisait une conférence et offrait le café. Nous avons fait l’agréable connaissance d’une Franco-Syrienne, dont nous avons recueilli le témoignage.
Les médias occidentaux mettent l’accent sur le rôle prépondérant de la minorité alaouite en Syrie. Qu’en est-il vraiment ?
Les Alaouites sont des musulmans à part entière. Leur livre sacré est le Coran, leur prophète est Mohamed. Ils partagent avec les autres branches de l’islam leurs rituels et leurs croyances. La différence entre les diverses branches de l’islam réside dans l’interprétation du texte coranique ainsi que dans les références philosophiques et spirituelles. Chez les Alaouites il y a une forte présence de l’influence de la philosophie grecque et orientale. Leur rapport à la religion est imprégné de leur histoire et de leur proximité géographique avec les chrétiens. Ce rapport à la religion se montre souple, il n’est pas « au pied de la lettre », il est ouvert sur les changements des époques et les changements sociaux. Pour eux la religion est une façon de transcender l’humain, sans vouloir l’enfermer dans une seule et absolue vérité. La seule vérité qui existe c’est Dieu et le reste est variable, changeant.
L’image véhiculée par les médias concernant la Syrie manque malheureusement d’objectivité. Les Alaouites représentent 10 % de la population syrienne et il est impossible (mathématiquement) de prétendre qu’ils occupent majoritairement les places importantes au gouvernement syrien, sachant que la Syrie est un pays d’infrastructures et d’institutions. Donc quasiment les deux tiers de la population sont des fonctionnaires. Si on revient à l’époque du père Hafez al-Assad on remarque que les grands ministères n’étaient pas tenus par des Alaouites. Je peux citer le ministère de la Défense, celui de la Culture, celui de la Santé, celui des Affaires étrangères, le président du Parlement, le conseiller du Président... et les exemples sont nombreux. Et cela n’a pas changé à l’époque du fils, le président Bachar al-Assad.
Il faut savoir que les Alaouites font partie des populations les plus pauvres en Syrie. Il suffit de se rendre dans leurs villages pour s’en apercevoir. Entrer dans l’armée était le seul moyen pour certains jeunes Alaouites d’avoir un salaire. C’est pour cette raison là qu’on trouve beaucoup d’Alaouites dans l’armée mais aussi beaucoup d’autres confessions venant des zones où se les conditions de vie sont difficiles.
Dire que le gouvernement syrien est constitué d’Alaouites est dénué de vérité. D’ailleurs c’est l’argument que l’opposition extérieure a employé pour justifier ses tendances confessionnalistes, et pour semer le schisme au sein de la société syrienne. La Syrie est un exemple unique au monde où toutes les religions et les ethnies vivent en parfaite osmose. Le seul élément étranger à cette mosaïque syrienne est le salafisme qui a été importé de l’extérieur pour participer à la destruction de la Syrie avec le soutien et le financement de l’Arabie Saoudite (le berceau du wahhabisme) et le Qatar ainsi que les États-Unis.
Comment décririez-vous la Syrie dans laquelle vous avez grandi ?
J’ai grandi dans un pays laïc, j’ai appris le dessin, la musique, la littérature grâce aux institutions de ce pays. La femme chez nous occupe une place très importante dans la société et elle a le même salaire que l’homme ! Beaucoup de nos ministres sont des femmes, ainsi que différents membres du parlement.
La femme en Syrie est médecin, ingénieur, écrivain, musicienne, peintre, professeur, femme politique. C’est plutôt la tradition qui lui impose des obstacles mais pas le gouvernement.
La Syrie est un pays moderne. Il a certes, vécu des moments difficiles, coupé du monde, mais ces difficultés lui ont permis de gagner en autonomie et en indépendance. En Syrie on fabrique tout. De l’agroalimentaire jusqu’aux produits électroménagers. Nous avons des universités publiques dans presque chaque grande ville, et durant les dernières années, le gouvernement syrien a ouvert d’autres universités privées pour répondre au nombre grandissant d’étudiants dans tous les domaines.
- Le 15 janvier 2013, un double attentat à l’université d’Alep fait plus de 80 morts
En Syrie, un grand opéra a été bâti il y a une douzaine d’années avec des moyens énormes, une grande bibliothèque nationale, des écoles de musique et un conservatoire supérieur de musique, d’art dramatique et de danse, des centres culturels, des usines, des centres de recherche. Il existe, certes, des lacunes dans le système politique syrien, d’ailleurs des lacunes, il y en a dans tout système politique partout dans le monde, mais cela ne met pas en cause la modernité et l’ouverture de ce pays.
C’est le pays des grandes cultures, le berceau de la civilisation et le berceau du christianisme. D’ailleurs en Syrie on parle encore la langue du Christ. Aujourd’hui, dans ce que les rebelles appellent « zones libérées » en Syrie, on applique la loi islamique. On impose aux filles de 8 ans de porter le voile et on sépare les garçons des filles au sein des écoles ! Et au lieu de chanter l’hymne syrien tous les matins, on leur fait réciter des versets du Coran !
Bachar al-Assad est-il un dictateur ?
Ce qui est étonnant dans le double discours de certains hommes ou femmes politiques c’est qu’à un moment donné et selon leurs intérêts, un président est considéré comme un homme moderne, ouvert et réformateur et à d’autres moments ce même homme devient un dictateur ! Ce double discours, nous en avons l’habitude aujourd’hui et nous connaissons ses motifs et ses raisons. Avant d’accuser un président d’être un dictateur, il faudrait prendre en considération l’avis de son peuple, surtout dans un contexte comme celui de la guerre en Syrie.
Il faut savoir que le président Bachar al-Assad a une grande popularité en Syrie. Il faut savoir également que plus de la moitié des morts en Syrie sont des soldats de l’armée loyaliste syrienne qui ont péri en faisant face à des groupes terroristes venant de partout dans le monde pour libérer le peuple syrien au nom du djihad ! Vous vous rendez compte de cette absurdité ? L’armée syrienne combat tous ces monstres endoctrinés, financés, soutenus par tous les gouvernements du monde et qui ont quel objectif ? Instaurer la charia (la loi islamique) dans un pays laïc ! Mais quelle régression ! Quelle immoralité ! Il ne faut pas croire que la Syrie a pu résister à cette invasion barbare uniquement grâce à ses alliés stratégiques. C’est le peuple syrien qui refuse qu’on lui impose un gouvernement avec une idéologie réactionnaire comme celle des Frères musulmans ou des salafistes. Et si le peuple syrien n’avait pas conscience de la gravité de la situation, s’il n’avait pas vu avec ses propres yeux comment ces salafistes détruisent les églises et les mosquées et s’il n’avait pas vécu dans sa propre chair les atrocités de ces groupes obscurantistes, la Syrie serait tombée depuis les premiers mois des événements.
Les Syriens ont un profond respect pour la notion d’État, ils ont conscience de l’importance de la présence d’un homme fort qui tient cet État pour empêcher le chaos et le désordre. Une grande majorité de Syriens soutient Bachar al-Assad et l’armée loyaliste syrienne, tout en critiquant certains problèmes et certaines lacunes dans le système politique.
La grande question à se poser est la suivante : les problèmes et les lacunes d’un gouvernement sont-elles des raisons suffisantes pour justifier une destruction massive d’un pays, d’une culture et d’une civilisation ? De toute façon, ce qui se passe en Syrie actuellement est la continuité du projet du « Nouvel ordre mondial ». Donc, cette guerre était déjà préparée et planifiée depuis plusieurs années, ce qui explique naturellement l’ampleur des événements en Syrie et le désastre que le soi-disant « Printemps arabe » a causé dans la région. (cf. les déclarations du Général Wesley Clark en 2011 : « Les guerres étaient planifiées : 7 pays en 5 ans - Irak, Syrie, Liban, Libye, Somalie, Soudan, Iran »).
Pouvez-vous nous décrire « l’opposition » ? Qui sont les « rebelles » ?
Je me rappelle très bien des débuts de cette crise syrienne. J’étais encore en Syrie à ce moment-là. Les quelques manifestations organisées dans certains quartiers sortaient systématiquement des mosquées ! C’est tout de même un détail étrange si on prend en compte la pluralité religieuse et confessionnelle en Syrie. En prenant les mosquées comme lieu de rassemblement, ces quelques « rebelles » écartaient automatiquement les chrétiens, les musulmans sunnites modérés, les minorités (druzes, alaouites, ismaélites..) … où est donc la représentativité de la société syrienne ? Et qui sont les personnes qui participent à ce genre de manifestations ? Une grande question que nous Syriens, nous nous sommes posés.
Ces manifestations ont été organisées par des personnalités dont les Syriens ont découvert l’appartenance idéologique plus tard. Les organisateurs sont des gens qui travaillent pour certains états qui n’ont rien à voir avec la liberté et les droits de l’homme, d’autant plus que dans ces états il n’y a même pas de constitution ! Et là je parle de l’Arabie Saoudite et du Qatar. Mais il ne faut pas oublier le rôle et le soutien de la Turquie, et malheureusement de certains pays occidentaux.
Dans ces manifestations on parlait du « djihad », un terme moyenâgeux qui renvoie à l’époque des conquêtes ! Et rapidement, ces quelques personnalités qui s’occupaient de l’organisation des manifestations, ont facilité l’infiltration des groupes armés étrangers en Syrie via la Jordanie, le Liban, mais surtout la Turquie.
Des milliers de miliciens étrangers de toutes les nationalités confondues ont fait de la Syrie leur destination première afin de combattre Bachar le président « impie » et afin d’atteindre le paradis ! Ils sont prêts à détruire, violer, tuer, couper les têtes et les membres, égorger avec un sang-froid des hommes, des femmes et des enfants. Tout cela au nom de la liberté ! Dans les médias et dans la presse internationale, on nous fait croire que c’est le peuple syrien qui veut sa liberté, que ce sont les soldats loyalistes syriens qui tuent leurs propres frères, leurs propres voisins, leurs cousins et cousines, tandis que les rebelles djihadistes, salafistes, takfiristes, les protègent ! C’est juste surréaliste !
L’autre branche des rebelles sont les membres de l’opposition extérieure (Le conseil national syrien, la coalition syrienne) : ils se prétendent laïcs, pourtant ils soutiennent ouvertement les groupes salafistes, ils ont exigé l’intervention militaire en Syrie à plusieurs reprises et ils ont demandé le découpage de la Syrie en régions (chrétienne, sunnite, alaouite, druze, kurde...). Le chef de la coalition syrienne, Al-Jarba, accueilli à bras ouverts par les hommes politiques occidentaux, est un homme fabriqué par l’Arabie saoudite, un inculte, incapable de lire un texte en arabe littéraire, et il n’a aucune expérience politique. La grande majorité de ces gens n’a jamais vécu en Syrie, n’a jamais participé à la vie sociale ou politique syrienne. Ces personnalités soutenues par le monde entier sont d’autres nationalités que syrienne, ils ont des agendas extérieurs et des promesses d’obtenir le pouvoir en Syrie si Bachar al-Assad tombe, c’est pourquoi ils ont refusé tout dialogue pour sortir la Syrie de la crise. Ils ont gagné des fortunes sur le dos du peuple syrien profitant de la misère causée par cette guerre sanglante.
Par ailleurs, le chef de la coalition syrienne, Al-Jarba est un trafiquant de drogue et il a été condamné à 3 reprises, ce qui n’est jamais mentionné dans les médias internationaux.
Cette opposition-là, à l’inverse de celle intérieure à la Syrie, n’a aucune popularité chez les Syriens et aujourd’hui, ces opposants savent que leur retour dans leur pays d’origine est quasi impossible. Il ne leur reste que le mépris et le rejet.
- François Hollande et Ahmad Al-Assi Al-Jarba (août 2013)
Comment s’organisent les Syriens pour continuer à vivre au quotidien ?
Le peuple syrien est un peuple fort et attaché à la vie. Malgré les difficultés, il tient à vivre normalement et à trouver des solutions pour aménager le quotidien. Mais le blocage économique imposé sur la Syrie a causé beaucoup de tort au peuple syrien.
Dans les zones sécurisées par la présence de l’état et de l’armée loyaliste syrienne la vie se déroule plus au moins normalement. Les fonctionnaires touchent toujours leur salaire, c’est plus difficile pour les commerçants et les libéraux car le pouvoir d’achat a considérablement baissé. La population s’organise pour aider les plus démunis, ceux qui ont perdu leur maison, leur travail, ou des membres de leur famille. Les initiatives sont nombreuses.
Les Syriens ont conscience de la nécessité de protéger leur tissu social et religieux et ils ont conscience également de la lourde tâche que chacun doit assumer pour aider le pays à sortir de cette crise sans précédent. Les Syriens attendent impatiemment une solution politique, ils attendent de l’armée syrienne qu’elle continue le combat pour expulser ces groupes salafistes hors du pays. Ils veulent retrouver leur pays comme il était avant, un des pays les plus sécurisés au monde, un pays de paix et de tolérance. Ils attendent de tourner la page de cet épisode douloureux de l’histoire de la Syrie, pour reconstruire ce qui a été détruit.
La Syrie et les Syriens n’ont jamais rien demandé à personne. Ils demandent à être libre de choisir leur destin, leur président, leur avenir. Ils crient : « Halte à l’intervention extérieure en Syrie ! »