Nicolas D., 46 ans, a décidé de s’installer en Russie, dans la ville de Kazan. Cet ancien policier qui a servi à Paris, dans la région parisienne et en Normandie, ne supportait plus son métier qu’il avait pourtant embrassé par passion et pour défendre les valeurs de la France.
Déçu de voir l’évolution de la France et le désastre de la situation du métier de policier, Nicolas D. a décidé d’ouvrir une boulangerie en Russie avec Étienne, qui a vendu sa boulangerie car il coulait sous les taxes et les impôts en France. Dans un entretien, l’ancien policier devenu boulanger nous explique ses raisons et son installation en Russie comme entrepreneur.
LVdlR : Quand et comment avez-vous eu vos premiers contacts avec la Russie ?
Nicolas D. : Le contact a été tout d’abord interne …mon arrière grand-père étant venu de Russie en 1906. Je pense que certains gènes restent et la Russie m’a toujours attiré, la musique me donnant la chair de poule lorsque je l’entendais. Puis je me suis de plus en plus demandé si les horreurs qu’on me racontait depuis mon enfance sur la Russie étaient vraies, si la bête immonde russe était si immonde que ça. J’ai trouvé ces réponses en y allant en 2008 et de plus en plus à chaque fois. J’ai découvert que depuis quarante-six ans je n’avais entendu que des mensonges, des contre-vérités, des ignominies … Que le peuple russe est en fait l’inverse de ce qu’on avait pu me (nous) faire croire.
Pourquoi avez-vous lâché la France pour la Russie ? Pourtant, vous aviez un métier solide ! Policier était pour vous une passion !
En effet, une passion, défendre les gens, les vieux, les enfants, tout le monde … mais à partir des années 2000 cela est devenu impossible. C’était déjà dur avant mais après 2000, les décisions politiques, de droite comme de gauche, ont été basées sur la haine de la police, sur la défense des criminels et il devenait pour moi impossible de poursuivre ce métier et surtout c’était devenu sans intérêt car lorsqu’on a un caractère bien trempé et qu’on veut défendre les citoyens, on est immédiatement mal noté et seuls ceux acceptant de verbaliser à outrance les contrevenants sont l’élite de la police d’aujourd’hui, du moins c’est comme ça que c’est présenté … vous pouvez arrêter cent délinquants en une année, si vous n’avez pas verbalisé un tas de gens vous êtes noté comme « manque d’activité ». De plus le système français donne les chances les plus grandes à ceux qui n’y connaissent rien, c’est en effet ceux qui sont dans des postes « tranquilles » et qui ont le temps de bosser les examens qui ont le plus de chance de monter en grade … si vous faites le métier de police-secours et qu’en plus vous avez des enfants à la maison à vous occuper, vous n’avez jamais de temps pour vous … et donc la plupart des gradés sont aujourd’hui des gens sans expérience. Vous avez des gens qui commandent à des postes importants et qui, il y a quelques années, se traînaient dans leur vomi le matin tellement ils buvaient et qui s’amusent à sanctionner des policiers en usant de mensonges et tout cela pour toucher en fin d’année la prime de 400 euros mise en place par M. Sarkozy. D’ailleurs cette prime a fait énormément de mal à la Police. Certains vendraient leur âme pour la toucher et ils sont de plus en plus. 400 euros pour perdre son âme, non merci.
C’est par dégoût de tout cela que j’ai décidé de quitter cette profession mais le déclic est venu des Renseignements Généraux de Caen… qui, après vingt-quatre ans de métier, ont découvert que j’étais marié à une femme russe. J’ai donc été convoqué et pendant trois heures on m’a expliqué que mon épouse était peut-être une espionne, que je devais me méfier d’elle et les prévenir si je voyais quelque chose de bizarre.
Puis, ne voyant rien venir, on a voulu me dégager de mon poste car, m’ont-ils dit, moi ou mon épouse étions susceptibles de poser des caméras ou des micros dans le commissariat.
J’ai refusé de partir, leur riant au nez de la stupidité de leurs propos. Alors ils ont trouvé le moyen de monter une affaire de toute pièce et de m’envoyer devant un tribunal … où j’ai été relaxé avec un petit mot du juge qui a expliqué en me regardant qu’il ne comprenait même pas ce que je faisais devant lui. Pour moi, après vingt-quatre ans de police, ç’a été une honte immense, de voir les gens en qui j’avais confiance manipuler les procédures, mentir, m’envoyer sans motif devant un tribunal et m’y faire condamner. J’ai compris alors que le système était pourri et que s’ils arrivaient à me faire ça à moi c’est qu’ils l’avaient déjà fait à des tas de personnes, policiers ou pas… que peut-être des tas de gens qui sont en détention ne devraient pas l’être. J’ai donc donné ma démission et même, à quelques jours de mon départ, alors que la ministre de la justice visitait la Cour d’appel, on m’a demandé d’emmener au commissariat de police un couple avec petits enfants qui avaient leurs papiers au motif qu’ils avaient un tee-shirt de la Manif Pour Tous… j’ai refusé.
Quel regard portez-vous sur la France depuis votre installation en Russie ?
Un regard très critique depuis l’extérieur. Je me rends compte maintenant à quel point la France a été vendue à des lobbies ou à des États riches. Lorsque je reviens quelques jours, j’ai une boule au ventre rien qu’à me dire que je dois prendre le RER C pour aller prendre mon train à Paris. Du coup j’ai depuis peu découvert le merveilleux « Roissy bus » qui permet d’éviter cette faune. Politiquement je vois que l’idée que je me faisais d’un État « mauvais » a changé de côté.
Maintenant que je suis ici et que je vois un autre mode de vie, je me rends aussi compte qu’en France nous sommes très casaniers, un peu une vie de robot… ici c’est l’inverse. Les gens profitent de chaque moment libre pour s’amuser, rencontrer la famille, visiter, faire des croisières sur la Volga… pourquoi ? Parce qu’en Russie, tout est peu cher. 500 euros de salaire ici peuvent être comparés à 3 000 euros en France. Faites le total de vos charges, de la TVA, sur tout ce que vous payez comme le loyer, les impôts, l’essence, les assurances, etc., à la fin, il vous reste 500 euros. Ici je paye 60 euros par mois pour le gaz, électricité, la télévision, internet, l’eau, le chauffage (qui marche à fond six mois d’hiver), l’entretien des communs et donc au final, il reste environ le même budget sauf que si on compare l’essence qui est a 50 centimes d’euros, un resto qui coûte 6 ou 7 euros, une bière d’un demi litre à 2 euros, un musée à 2 euros, une croisière de deux jours sur la Volga à 80 euros, etc., on comprend pourquoi les gens profitent, vivent et bougent.
Et sur le traitement des médias français sur la guerre en Ukraine ?
Je ne regarde plus les médias français, juste un peu les sites Internet mais c’est tout. De toutes les manières, dès que je regarde je lis des mensonges. Je regarde les médias russes qui, eux, ne parlent pas de politique mais de la vie des gens. Les journalistes prennent le temps de s’arrêter sur ce que devient une famille qui a perdu un de ses proches dans la guerre ou sur de belles choses comme un mariage pendant les combats. J’y trouve très peu de « propagande » comme je l’ai lu dans un média français.
Je vois aussi des journalistes russes aller filmer directement au contact des combats et non pas faire des articles en lisant juste les dépêches de l’AFP qui elle-même s’est renseignée auprès des autorités de Kiev par exemple… Les médias français devraient parler des collectes faites pour envoyer de la nourriture au Donbass, de la solidarité des gens envers leurs frères ukrainiens. Pour avoir parlé avec des Ukrainiens, on peut dire que la vérité est dite par les médias russes. Les gens se font vraiment massacrer et seule l’armée des résistants combat, aucune troupe russe n’est là-bas. La seule aide que j’ai vue c’est de l’aide alimentaire que nous donnons à la sortie du supermarché, c’est tout. Lorsque j’analyse un peu se qui se passe là-bas, j’ai à l’esprit l’idée d’Ouradour-sur-Glane.
Qu’est-ce qui vous a poussé à partir vivre en Russie et surtout à vouloir monter une boulangerie ?
J’ai la chance de connaître beaucoup de monde à Kazan et, sans toutes ces personnes, c’est impossible pour un étranger de venir s’installer ici. L’administration est un vrai sac de nœuds et il est très facile de perdre tout son argent et de repartir sans rien si on n’a pas un caractère que les gens respectent ou des gens qui vous aident sincèrement. Il faut aussi ne pas faire de sentiments et c’est avec ça que j’ai eu le plus de mal. La première chose à comprendre c’est que les Russes ne sont pas des Français. S’adapter un temps à leur mode de fonctionnement et comprendre comment ils font du business est primordial. Une fois cela fait, tout va bien. J’ai passé des années en France à râler après les étrangers qui ne parlaient pas la langue au bout de dix ans, qui vivaient en communautés, sans s’intégrer, etc. J’ai donc appliqué mes ronchonneries à moi-même et je m’adapte, m’intègre, participe aux fêtes religieuses et folkloriques. J’aide les mamies de mon immeuble ou les gens dans la rue. Je laisse ma place dans le bus comme le font tous les Russes et comme j’étais un des rares à le faire en France. C’est au final très plaisant et c’est un très bon moyen de se faire apprécier et de s’intégrer.
Vous êtes à Kazan. Pourquoi ne pas avoir choisi la capitale russe ?
Trop gris, trop de monde, trop de bouchons, trop cher. Kazan est superbe. Les gens sont tolérants, qu’ils soient musulmans, juifs ou chrétiens. Tout le monde vit en harmonie. Il y a beaucoup de couples inter-religions où le mari attend 21 heures en période de ramadan pour manger avec son épouse et où la femme musulmane prépare le « kulitch » ou des œufs de Pâques pour son mari et fait des petits plats à Noël. C’est à en rêver de voir ça en France un jour mais je n’y crois pas. Les Français ont été trop longtemps passifs et gentillets avec les autres religions et ils se sont aujourd’hui fait « manger ».
Kazan permet de voir le ciel. On a avec ces routes à quatre ou cinq voies une sensation de liberté. Le soir vous pouvez décider de rentrer du restaurant avec votre épouse à n’importe quelle heure, à pied. Personne ne viendra vous agresser. Les femmes sont belles et personne ne les traite de « sale pute blanche ». Les hommes regardent, essayent de placer un regard pour séduire et je trouve ça beau. Dans chaque chose je vois une âme russe poétique et rêveuse, ce qui est très bien mais pas dans leur travail. Pour ça c’est une autre histoire.
Quelles ont été les étapes à suivre pour s’installer en Russie et pour y avoir le droit d’ouvrir une boulangerie ?
Cela a été très dur psychologiquement, surtout au début de se lancer et de ne jamais s’arrêter même en cas de doute malgré les critiques. Les gens qui vous disent qu’on ne va pas y arriver, essayer de peser les décisions, de connaître au mieux les gens, d’apprendre à connaître le milieu ou j’allais m’installer. Je n’ai compté sur personne. J’ai demandé de l’aide. On m’a reçu mais je n’ai jamais reçu aucune suite à ces rendez-vous. J’ai donc tout fait par moi-même. Ensuite, une fois le système enclenché, tout se fait lentement mais sûrement, contrairement à ce qu’on m’avait dit (encore des clichés). On ne m’a pas demandé d’argent. On m’a plutôt bien reçu. Je me retrouvais même parfois devant des chefs de certains services qui voulaient me voir car comme j’avais été policier et eux aussi, nous avions des choses à nous dire, c’était très enrichissant et intéressant.
Quel budget faut-il pour ouvrir une boulangerie en Russie ?
Le budget c’est 30 % du tout. Le plus important étant le caractère qu’on a et l’envie de réussir car une fois lancé, il ne faut jamais stopper. Donc pour le budget je dirais qu’avec 2 500 000 roubles, quelqu’un peut matériellement s’installer, mais… car il y a un mais… il doit être très professionnel et savoir se débrouiller comme nous le faisons avec les fours russes… et ça c’est une autre paire de manches. Le four russe coûte 1 000 euros. Le four européen de boulangerie est à 25 000 euros. J’ai donc mon ami boulanger, Étienne, qui est venu avec moi en Russie et qui sait magiquement tout faire avec tout ce matériel. Et j’en profite pour le remercier encore une fois.
Est-ce difficile de s’installer comme entrepreneur en Russie ?
Oui et non… comme je l’ai dit, tout dépend de votre caractère. Si vous êtes timide, hésitant, n’y pensez même pas. Si vous n’avez pas des connaissances parmi les élites (je parle d’amis, pas de corruption) ou des amis qui font tout pour vous, n’y pensez pas non plus. Même si vous êtes riche et que vous pensez payer quelqu’un en Russie pour tout faire pour vous, arrêtez d’y penser. Je dirais qu’il y a de grandes chances pour que votre budget s’amenuise chaque jour sans voir de résultat.
La solution c’est la famille, les amis. Il ne faut pas avoir peur de pousser les portes quelles qu’elles soient ou de faire confiance à un européen. Mais là encore ce n’est pas gagné. Le premier européen que j’ai rencontré à Kazan était un Italien et il a essayé de m’escroquer.
Quels conseils donneriez-vous à des Français qui seraient tentés par cette aventure russe ?
Me téléphoner ou venir me voir ! Venir vivre ici et se tisser un réseau d’amis et de connaissances pendant huit-dix mois puis se lancer dans son projet avec en tête les gens en qui ils peuvent faire une confiance aveugle, des gens testés avant bien entendu.
Quels produits voulez-vous vendre dans votre boulangerie ?
Nous produisons exactement la même chose que dans une boulangerie française en France. Malgré le four russe (et je dis ça pour tous les boulangers en Russie qui m’ont dit qu’on n’arrive à rien avec la farine russe), mon ami Étienne arrive à sortir des pains et des baguettes splendides. Mais nous préférons utiliser de la farine française que j’importe de France et nous vendons ces pains-là au public. Pour le reste ce sont des macarons 100 % faits maison, des croissants, des pains au chocolat, des galettes, des gâteaux comme des fraisiers, des mousses chocolat-pistache, des financiers, des petits sablés pour les enfants ou, comme je dis, des croissants avec des « trucs » dedans. C’est comme une hérésie mais les Russes aiment beaucoup ça. Donc j’y mets du jambon, du fromage, de la salade, des tomates et parfois du camembert.
Pensez-vous à un retour en France pour y vivre ? Pourquoi ?
Non, c’est trop dangereux, de plus en plus de gens quittent la France. Les Français que je rencontre en Russie, car ils sont là pour le travail ou les vacances, me disent tous qu’ils pensent aussi à partir. Les Français sont surchargés de taxes. Ils en ont marre de ne pas être protégés et de la dangerosité des rues, etc. Imaginez que des amies à moi en France se sont teintes en brunes car elles en avaient assez d’être accostées dans la rue par ce que j’appellerais des « jeunes »… qui ne sont pas des auvergnats.
Après, ces gens sont taxés de racistes. Même avoir le drapeau français à la main est devenu raciste en France. Lorsque je vois tous les ans en Russie les enfants apporter des fleurs aux grand-pères et aux grand-mères médaillés ou ayant fait la guerre, je vois ces gens pleurer. C’est une grande émotion. Lorsque je vois les maîtresses d’école crouler sous les fleurs le jour de la rentrée ou crouler sous les cadeaux durant l’année, comme pour le « jour des professeurs » où les parents d’élèves se cotisent pour payer une journée de voyage en bateau sur la Volga à l’enseignante de leurs enfants pour la remercier de ce qu’elle fait … ça aussi c’est des émotions. Je me dis que les Français feraient bien de retrouver des valeurs et du patriotisme car la France c’est toujours le pays où je suis né et que j’aime. Mais cela fait très mal de voir ce qu’ils en font en ce moment.