Yanis Varoufakis est ce ministre des Finances appelé en renfort fin 2014 par Tsipras pour négocier la dette contractée par la Grèce, un financier hors système pourtant adoubé par les européistes et les eurobanquiers (dont le ministre Macron, et Pigasse de Lazard, qui aurait placé Varoufakis), qui démissionnera il y a un an, en mars 2015, le lendemain du référendum grec.
Ce financier de gauche, qui se déclare ouvertement « marxiste », critique durement dans cette interview l’organisation européenne, qui selon lui va dans le mur : elle aurait échappé à ses maîtres, qui sont objectivement Angela Merkel et Mario Draghi (issu de Goldman Sachs). Le monstre serait lâché, et les technocrates qui édictent des règles supranationales auraient perdu la laisse…
En conséquence, Varoufakis propose de réformer le système – il ne parle pas de le détruire – et prône la création d’un parti européen transnational, qui serait une véritable démocratie en marche, et partirait d’en bas en prenant en compte le mécontentement des peuples. Car il admet que, comme aux États-Unis, le peuple est fondamentalement l’ennemi de la dite démocratie (tout est fait pour l’écarter, au fond, de la dominance). Ou plutôt, que la démocratie politique que l’on connaît, en occident, se méfie du peuple comme de la peste.
Nanti de son expérience « Syriza » (il n’est pas adhérent), Varoufakis, un pied dedans un pied dehors, va jusqu’à justifier la politique de Margaret Thatcher en matière monétaire, qui n’a jamais voulu inféoder sa monnaie à une monnaie européenne éventuelle. Il s’agit donc d’un libéral de gauche, qui entend la démocratie comme un pouvoir moins technocratique que ce qu’il est devenu aujourd’hui, notamment dans l’Union européenne…
Il y a dans cette interview fleuve, des parties critiques lucides envers l’Union européenne et sa fausse démocratie, mais la solution libérale de gauche de Varoufakis ne va pas vraiment dans le sens d’une souveraineté retrouvée, pour les nations qui composent cette Europe. La sortie, pour lui, de l’eurocrise, c’est encore plus d’Europe, sinon une mutation de l’européisme…
Il prédit pour ceux qui seraient tentés par un retour à l’État-nation une inflation galopante, une poussée du chômage (si c’était encore possible), et une coupure de l’Europe en deux, avec une zone située à l’est et une zone à l’ouest d’une ligne de démarcation qui serait le Rhône. Sans oublier le déclenchement de guerres intra-européennes… générant une dévastation de l’économie mondiale (un effondrement de la Chine), avec une montée des fascismes et autres nazismes !
Yanis Varoufakis, interviewé par Nick Buxton, raconte qu’il veut sauver l’Europe avant qu’il ne soit trop tard, en lançant un mouvement paneuropéen pour une véritable démocratie européenne. Il nous raconte aussi sa difficile expérience personnelle face au monstre qu’est l’Union européenne. Une interview pleine de leçons.
Nick Buxton : Quelles sont les principales menaces à la démocratie de nos jours ?
Yanis Varoufakis : La menace contre la démocratie vient toujours du dédain que les élites ont envers elle. Par nature, la démocratie est fragile et l’antipathie que les élites éprouvent pour elle est toujours très marquée, si bien qu’elles cherchent toujours à s’en débarrasser.
Cette histoire remonte aux Grecs anciens à Athènes, où le défi pour installer une démocratie fut immense. L’idée que les pauvres libres, qui formaient la majorité de la population puissent contrôler le gouvernement a toujours été contestée. Platon a écrit La République comme un traité contre la démocratie, plaidant plutôt pour un gouvernement d’experts.
Dans le cas de la démocratie américaine, il en va de même. Si vous lisez les Federalist Papers et Alexander Hamilton, vous verrez qu’ils ont été écrits dans une tentative pour contenir la démocratie et non pour la booster. L’idée derrière une démocratie représentative est d’avoir des marchands comme représentants démocratiques, car la plèbe était considérée comme n’étant pas à la hauteur d’une tâche aussi importante que de décider des questions d’État.
Les exemples sont innombrables. Regardez seulement ce qui est arrivé au gouvernement de Mossadegh en Iran dans les années 1950 ou à celui d’Allende au Chili. Chaque fois que le résultat des urnes ne convient pas aux élites en place, le processus démocratique est soit renversé soit menacé de l’être.
Donc si vous vous demandez qui sont et ont toujours été les ennemis de la démocratie, la réponse est : l’élite économique.
Il semble que, cette année, la démocratie soit sous attaque de puissances et plus acculées que jamais. Est-ce votre impression ?
Cette année fut spéciale car nous avons eu l’expérience grecque, où une majorité de Grecs ont voté pour un parti antisystème, Syriza, qui, en parlant franchement aux puissances en place, a défié l’ordre établi en Europe.
Quand la démocratie produit ce que le système aime entendre, alors la démocratie n’est pas une menace, mais quand elle produit des forces antisystème, alors elle devient une menace. Nous avons été élus pour défier la Troïka de créditeurs et ce fut à ce moment que cette Troïka décida clairement que l’on ne pouvait permettre à la démocratie de changer quoi que ce soit.
Que vous a appris votre expérience de ministre des Finances sur la nature de la démocratie et du pouvoir ? Est-ce que cela vous a surpris ?
Je suis arrivé les yeux grands ouverts, sans illusions. J’ai toujours su que les institutions européennes de Bruxelles, la BCE et les autres ont été installées comme des zones hors d’atteinte démocratique par décision des élites. Il n’y a pas eu de déficit démocratique qui aurait balayé l’Europe soudainement. Depuis les années 1950, l’Union européenne a été en réalité montée comme un cartel d’industries lourdes, ayant, plus tard, coopté les agriculteurs, surtout les agriculteurs français. Et son administration est celle d’un cartel. Il n’y a jamais eu d’intention d’en faire une république ou une démocratie où nous, le peuple européen, aurions les rênes en mains.
Pour en revenir à votre question, quelques points m’ont frappé. Le premier est l’audace avec laquelle on m’a fait comprendre que la démocratie était considérée hors sujet. Au cours de la première réunion de l’eurozone à laquelle j’ai assisté, lorsque j’ai essayé de leur faire comprendre que je représentais un gouvernement tout récemment élu dont le mandat devait être respecté, qu’il devait être écouté dans le débat sur les mesures économiques appliquées à la Grèce, point que je ne m’attendais pas à être contesté ; je fus étonné d’entendre le ministre des Finances allemand me dire, mot pour mot, que des élections ne pouvaient se permettre de changer une politique économique déjà établie. En d’autres termes, que la démocratie est valable tant qu’elle ne menace pas de changer le statu quo. Même si je savais déjà de quoi il retournait, je ne m’attendais pas à ce qu’on me le rappelle si ouvertement.
Le second point auquel, je dois le reconnaitre, j’étais moins préparé, pour citer les mots d’Hannah Arendt sur la banalité du mal, fut la banalité de la bureaucratie. Je m’attendais à ce que la bureaucratie de Bruxelles soit pleine de dédain pour la démocratie, mais je m’attendais aussi à ce qu’elle soit suave et techniquement compétente. J’ai été surpris de la trouver si ordinaire, et, d’un point de vue technique, de faible niveau.