Quatre mois après les manifestations post-attentats, l’historien et démographe Emmanuel Todd publie un livre réquisitoire contre une France pétrie de bonne conscience, qui a fait sécession de son monde populaire. Entretien coup de poing.
Le 7 mai prochain, l’historien et démographe Emmanuel Todd publiera Qui est Charlie ? (Seuil), charge terrible contre la France de François Hollande. Un texte écrit dans la fièvre, au sujet duquel il a accordé à L’Obs un entretien exclusif. Son angle d’attaque, particulièrement original, consiste à observer l’origine régionale et socio-politique des manifestants du 11 janvier.
Sous les bons sentiments brandis, Todd fait parler les cartes et les statistiques pour comprendre la signification profonde de ce qui restera comme le plus important rassemblement de l’histoire moderne du pays. Et ce qu’il voit n’est pas destiné à plaire. Ce qu’il voit c’est un épisode de « fausse conscience » (Marx) d’une ampleur inouïe. Ce qu’il voit ce sont des millions de somnambules se précipiter derrière un Président escorté par tous les représentants de l’oligarchie mondiale, pour la défense du droit inconditionnel à piétiner Mahomet, « personnage central d’un groupe faible et discriminé ». Ce qu’il voit c’est un mensonge d’unanimisme aussi, car ce jour-là, les milieux populaires n’étaient pas Charlie, les jeunes de banlieue, qu’ils fussent musulmans ou non, n’étaient pas Charlie, les ouvriers de province n’étaient pas Charlie.
Le grand entretien avec Emmanuel Todd est à retrouver en son intégralité dans L’Obs du 30 avril, ou dès aujourd’hui dans la zone abonnés. En voici des extraits.
« Lorsqu’on se réunit à 4 millions pour dire que caricaturer la religion des autres est un droit absolu – et même un devoir ! –, et lorsque ces autres sont les gens les plus faibles de la société, on est parfaitement libre de penser qu’on est dans le bien, dans le droit, qu’on est un grand pays formidable. Mais ce n’est pas le cas. (…) Un simple coup d’œil à de tels niveaux de mobilisation évoque une pure et simple imposture. » [...]
« Ce qui m’inquiète n’est pas tant la poignée de déséquilibrés mentaux qui se réclament de l’Islam pour commettre des crimes, que les raisons pour lesquelles, en janvier dernier, une société est devenue totalement hystérique jusqu’à aller convoquer des gamins de 8 ans dans des commissariats de police. »
« Je ne fais pas dans l’angélisme : l’antisémitisme des banlieues doit être accepté comme un fait nouveau et indiscutable. Ce que je ne peux pas accepter cependant, c’est l’idée qui est en train de s’installer selon laquelle l’islam, par nature, serait particulièrement dangereux pour les juifs. Il n’existe qu’un continent où les juifs aient été massacrés en masse : c’est l’Europe. »
« Qu’on les laisse tranquilles, les musulmans de France. Qu’on ne leur fasse pas le coup qu’on a fait aux juifs dans les années 30 en les mettant tous dans le même sac, quel que soit leur degré d’assimilation, quel que soit ce qu’ils étaient vraiment en tant qu’êtres humains. Qu’on arrête de forcer les musulmans à se penser musulmans. »