« Ça ne sert à rien de dire “We shall overcome” lorsque la capitale de notre pays brûle... »
« Non, Stockholm ne brûle pas, la Suède ne brûle pas ! », martèle vendredi un porte-parole de la police suédoise en écho à certains titres de la presse étrangère et des mises en garde de la Grande-Bretagne à ses ressortissants de faire preuve de prudence et d’éviter les rassemblements de foule dans le royaume scandinave.
Les autorités suédoises cherchent à relativiser la flambée de violences dans les banlieues populaires du nord et du sud de Stockholm, chaque nuit, depuis dimanche dernier. Des voitures, des écoles et un poste de police ont été incendiés par des centaines de jeunes, le visage masqué pour la plupart. La police de Stockholm, qui a demandé des renforts des autres régions du pays, a procédé à de nouvelles arrestations de « casseurs », dit-elle, « connus de (ses) services, et au casier judiciaire chargé ».
À Husby, où tout a éclaté dans la nuit de dimanche à lundi, les habitants ont manifesté pour réclamer le retour au calme et la fin des hostilités et dire non au vandalisme. Des Sages de la cité ont sillonné les rues pour parler aux jeunes et pour les convaincre de renoncer à la violence, les exhortant à ne pas détruire la ville où ils sont nés, où ils ont grandi et de ne pas incendier leurs écoles ou les voitures de leurs voisins.
Débat au Parlement
Au Riksdag, vendredi, lors d’un débat houleux à l’initiative des Démocrates de Suède (droite populiste), le Premier ministre conservateur Fredrik Reinfeldt, a maintenu sa position des derniers jours, réaffirmant la fermeté de son gouvernement face aux casseurs.
Les émeutes sont « le fait d’une minorité qui veut changer la société par la violence » , dit-il, estimant « important de souligner que nous ne laisserons pas la violence prendre le dessus de la démocratie ». « Il est aussi essentiel de montrer notre fermeté. Nous ne laisserons pas les casseurs faire la loi », insiste-t-il.
Ce discours ne semble pas avoir convaincu les députés notamment de la droite populiste (anti-immigrés). Son président, Jimmie Akesson (qui est bien du parti des Démocrates de Suède et non de la social-démocratie comme nous l’avions indiqué par erreur dans notre édition de jeudi, NdlR), a accusé le chef du gouvernement de passivité et d’inefficacité dans cette crise. Il est allé jusqu’à le qualifier de « Néron », et de comparer sa gestion de la crise à « la catastrophe du Titanic ». « Ça ne sert à rien de dire “We shall overcome” lorsque la capitale de notre pays brûle », lance-t-il à l’adresse du chef du gouvernement qui a rejeté sèchement ces accusations de passivité.
Face à ces émeutes qui perdurent et ébrèchent le modèle suédois d’égalité, d’ouverture et de tolérance, la population s’interroge sur l’échec de la politique d’intégration des immigrés dans un royaume qui a été depuis les années soixante, et continue de l’être, dans une moindre mesure, le port de l’espoir des immigrés et réfugiés fuyant les dictatures et les guerres.
Un pays accueillant
La Suède, qui compte 15 % d’habitants d’origine étrangère, est le pays d’Europe du Nord qui a accueilli le plus de gens venus d’ailleurs. Mais cette large ouverture des frontières a entraîné aussi des tensions et favorisé la naissance, ces dernières années, d’un courant populiste qui a bâti son succès sur le rejet de l’immigration, parvenant même à entrer au Parlement. La Suède est « en train de devenir comme les autres pays » d’Europe avec ses problèmes d’immigrés et ses révoltes, constate Mourad, 40 ans, qui a vécu une partie de sa vie en France.
Car les émeutes d’aujourd’hui ne sont pas un phénomène passager, même si elles ne sont pas les premières à bouleverser et choquer la paisible Suède. En 2008, les troubles du même genre, alimentés par les mêmes frustrations d’une frange de jeunes immigrés sans perspectives d’avenir, avaient éclaté à Rosengaard, un ghetto dans la banlieue de Malmö (sud du pays), mais aussi dans d’autres villes en 2009.
En 2010, le vent de la révolte soufflait à son tour sur Rinkeby, une ville-satellite dans une banlieue sensible de Stockholm avec son lot de voitures brûlées, de magasins saccagés et d’affrontements violents avec la police.
« Ce qui vient de se passer à Husby et ailleurs n’est pas une surprise », dit Rouzbeh Agah, qui prépare la sortie de son premier roman cet été. Ce résident iranien de Husby est arrivé en Suède en 1993 à l’âge de 14 ans. « Tous les facteurs de risques d’une explosion sont réunis : ségrégation socio-économique, chômage, isolement », dit-il. « Les immigrés sont une nouvelle sous-classe », délaissée, marginalisée, selon lui, un constat approuvé par nombre de chercheurs.
À qui la faute ? « Aux hommes politiques qui portent une grande responsabilité dans ces troubles, tout comme les hooligans », pense le criminologue Manne Gerell. Et il n’est pas le seul.