Les Pays-Bas comptent 16,8 millions d’habitants, et ce mercredi 15 mars 2017, 12,9 millions d’entre eux sont appelés aux urnes. Pour les uns, il s’agit de voter pour Geert Wilders, pour les autres, de voter contre Geert Wilders. C’est un peu la même chose en France, avec un front pseudo-républicain contre Marine Le Pen. Preuve que les rapports de forces politiques ont changé.
Les Néerlandais – les Oranje – votent pour leurs députés, 150 députés pour 1 114 candidats de 28 partis [1]. La grande interrogation, c’est le score du leader du PVV, le parti populiste ou nationaliste, au choix. Porté par une vague sans précédent qui mélange euroscepticisme, crainte de l’islamisme et refus de la sur-immigration, le Parti pour la Liberté de Wilders est en tête des sondages, avec le Parti populaire libéral du Premier ministre en poste Mark Rutte. Les socialistes, eux, sont largués. Comme toute une partie de la société néerlandaise, autrefois en pointe dans la tolérance sur les mœurs et les libertés. La Hollande a été une terre de progressisme socio-culturel. On y a accepté la drogue, la prostitution, on y a soutenu les expériences sociales alternatives, les écoles différentes, bref, c’était le modèle de la société occidentale avancée. 40 ans plus tard, une partie des habitants de ce pays ne savent plus où mettre les limites, personnelles et collectives, où mettre les frontières, ou plutôt où remettre les frontières.
Quand la consommation de drogue a été légalisée, disons contrôlée, des milliers de junckies ont afflué de toute l’Europe, transformant le centre d’Amsterdam en salle de shoot géante. Quand l’avortement a été légalisé, toutes les femmes qui voulaient se faire avorter faisaient l’aller retour aux Pays-Bas. Quand la pornographie a été libéralisée, tous les pervers se sont retrouvés sur place, et il n’est pas étonnant que la Hollande soit devenue la plaque tournante du commerce pédocriminel européen, voire mondial. Mais, d’un autre côté, l’expérimentation sociale – ces quartiers autogérés sur un modèle écologique plus respectueux des autres, des enfants, du développement personnel – a été une preuve d’intelligence collective.
La Hollande est un pays occidental, libéral, européen, qui paye aujourd’hui la facture de son européisme. À force d’ouvrir ses bras à tous les étrangers, elle a mis en danger son modèle social. Tous les entrants ne s’assimilent pas facilement, par exemple les deux fortes communautés musulmanes, marocaine et turque. Ce pays qui était si ouvert tend à se refermer, et les individus les plus en pointe dans la tolérance prônent aujourd’hui la fermeture, à tous égards. Ainsi, il n’est pas rare de voir des combattants des droits homosexuels souhaiter la victoire de Wilders, du fait de la condamnation de l’homosexualité par la communauté musulmane.
Cependant, ce pays, ouvert sur le monde depuis plusieurs siècles, n’est pas devenu anti-islamiste par hasard. Si les journalistes mainstream insistent sur le choc du 11 Septembre, qui aurait changé la vision des choses des Néerlandais natifs, il n’est pas sûr que ce soit le déclencheur de la séparation des communautés : les Hollandais n’ont pas subi d’attentats sur leur sol. Et puis, dans l’équipe de foot nationale, ça fait plus de 30 ans que les non-Blancs ont droit de cité. Il suffit de savoir que le grand joueur de la formation nationale dans les années 80 était Ruud Gullit, le géant d’origine surinamienne avec ses tresses rasta. Symbolique, mais vrai, à l’image de l’équipe de France. Les Pays-Bas ne sont pas un pays raciste. Mais les ressortissants marocains se plaignent de la discrimination à l’embauche. Et dans cette même communauté, comme chez nous, les « anciens » se plaignent que les jeunes s’appuient sur le système social – très avancé – pour ne rien faire. Et rester glander au café.
Ainsi, la campagne se joue sur le concept d’« hollandité ». Menacé sur sa droite par la poussée du PVV, le Premier ministre a ainsi écrit une lettre dans la presse contenant cette injonction « Agissez normalement ou partez ». Et comme par hasard, alors que les problèmes intérieurs d’intégration étaient déjà bien instrumentalisés, voici que survient la tension diplomatique entre La Haye et Ankara. On pourrait croire à un coup de pouce du destin… Mais aussi à une petite ingénierie bien calculée. Il suffit de savoir que les Pays-Bas comptent une communauté juive influente, installée depuis cinq siècles, et concentrée dans les trois principales villes du pays, Amsterdam (qui a compté deux maires juifs récemment), La Haye et Rotterdam. Peu importante en nombre (30 000 individus), elle a un poids politique important, que ce soit dans les partis de gauche ou de droite. Et si les juifs locaux ont été contrariés par l’amendement voté par Wilders sur les abattages rituels – un amendement dirigé contre les musulmans mais avec des dommages collatéraux chez les juifs – il semble que l’anti-islamisme du leader du PVV les satisfasse. Tout en rappelant à l’occasion que le racisme c’est mal ou qu’il ne faut pas s’en prendre à une communauté, rapport aux heures sombres... Oubliées les accusations d’héritage fasciste, nazi ou autre, dans le pays où 150 000 juifs ont été déportés pendant les années 40 par les Allemands. Wilders, très sionisto-compatible, ne s’en prend plus aux juifs néerlandais, ni directement ni indirectement, il vise principalement la communauté marocaine. Et exhorte les « criminels » et ceux qui le désirent à quitter son pays.
Si la droite libérale du Parti populaire est toujours théoriquement majoritaire au Parlement, une poussée du PVV pourrait l’obliger à des alliances contre nature, comme chez nous le « front républicain », qui ratisse d’un bout à l’autre du camembert politique. Le problème du PVV, à l’image du FN en France, étant celui des alliances (de second tour) pour obtenir la majorité, soit plus de 76 sièges… Le cordon sanitaire mis en place par le Système tient encore. Pour combien de temps ?
Pour ne pas rester sur une comparaison trop simple entre le PVV et le FN, nous dirons que la campagne française reste axée sur le politique et le social, avec un important volet sur l’immigration et l’Europe, mais qu’aux Pays-Bas, l’accent est mis sur l’immigration et les rapports entre communautés. Le pays ne souffrant pas outre mesure économiquement, avec un chômage relativement bas (5 %). Il s’agit donc d’une campagne sur les valeurs. Et les électeurs néerlandais n’oublient pas « leurs » attentats, à savoir l’assassinat de deux représentants politico-culturels, l’homosexuel militant Pim Fortuyn en 2002, et le cinéaste Theo Van Gogh en 2004. Deux événements qui ont révélé la question identitaire, et réveillé la question du multiculturalisme. C’est bien la gauche qui a le plus évolué, si l’on peut dire, sur la question. Celle qui poussait toute la société à s’affranchir de ses propres normes revient aujourd’hui sur ses principes. Il se peut qu’elle soit la grande perdante de ces élections, et de ses propres expériences, si humanistes soient-elles.
Quant à Geert Wilders, qui a passé plusieurs semaines dans les kibboutz étant jeune (il a ramassé des melons et des poivrons dans la vallée du Jourdain), il n’a pas caché son tropisme :
« Les relations avec Israël seront géniales. J’ai encore beaucoup de contacts avec de nombreux dirigeants et responsables de la politique israélienne. Je pense que nous sommes aujourd’hui l’un des meilleurs amis, sinon le meilleur d’Israël, au sein du parlement néerlandais – et, par conséquent, ces connexions ne seront que renforcées si je suis élu. »