Il y a un an, la Biélorussie faisait la une du mainstream médiatique : Le pays traversait une crise économique profonde, les réserves de change étaient en chute libre, passant de 5 milliards de dollars en décembre 2010 à 4 milliards de dollar en mars 2011.
Dans le même temps la monnaie locale (le rouble biélorusse) s’était effondrée, l’état ayant procédé à une dévaluation en mai 2011. En 2008, avant le début de la crise financière mondiale, un dollar américain valait 2.130 roubles biélorusses et en novembre 2011 le même dollar en valait 8.900 (!).
En conséquence de ces évènements, le ralentissement économique avait mis au chômage près de 600.000 personnes ce qui avait fait craindre des troubles sociaux de grande ampleur. Pour certains commentateurs cette situation aurait même pu faire tomber le régime Biélorusse, le pays paraissait être au bord du gouffre.
Cette grave crise économique tombait au pire moment pour le mouton noir de l’union européenne, puisqu’elle faisait suite à une autre crise, politique celle là, que le pays a connue à la fin de l’année 2010. En effet suite à la réélection du président Loukachenko avec près de 80% des voix pour son quatrième mandat, le pays a connu une vague de manifestations très importantes.
La proclamation des résultats du scrutin a provoqué de violentes manifestations, le siège du gouvernement a été attaqué, et des centaines de manifestants d’opposition violemment dispersés. Sept des neuf candidats de l’opposition biélorusse ont été arrêtés le même jour. L’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a rapidement dénoncé le scrutin comme bien loin des principes démocratiques, jetant de l’huile sur le feu et incitant clairement la vague de contestation à s’amplifier.
De son coté, Alexandre Loukachenko avait déclaré au cours de la campagne électorale que ses opposants étaient des ennemis du peuple à la solde de l’occident, surtout après que ceux-ci se soient déclarés être inspirés par les manifestations via les réseaux sociaux ou encore par la révolution de couleur orange qui avait eu lieu en Ukraine quelques années avant.
Cette élection, ces manifestations et ces arrestations avaient considérablement assombri l’image déjà très mauvaise de la Biélorussie en occident et jeté un froid dans les relations avec l’UE. L’UE a alors prononcé une nouvelle vague de sanctions contre le pouvoir biélorusse, en l’espèce des gels d’avoirs et surtout des interdictions de visas vers l’UE pour 245 personnalités biélorusses.
En outre, la demande de prêt de la Biélorussie au FMI (3 à 7 milliards de dollars) est toujours suspendue à la situation politique intérieure et à la libération d’activistes de l’opposition qui se fait attendre. Bien sur la personnalité du président Biélorusse est pour beaucoup dans cette situation, et particulièrement sa liberté de ton, bien éloignée du politiquement correct de l’UE.
Ses déclarations sur les homosexuels ("mieux vaut être dictateur que homosexuel") ou son soutien presque affectif au programme nucléaire iranien ont sans doute grandement contribué au fait que la Biélorussie de Loukachenko soit le seul pays qui ait en Europe une image plus mauvaise que la Russie de Poutine.
Mais stratégiquement, ce froid entre l’UE et la Biélorussie arrive au plus mauvais pour des européens qui n’ont finalement pas exploité les quelques tensions entre russes et biélorusses, lors de la guerre en Géorgie (la Biélorussie ayant refusé de reconnaître l’indépendance de l’Ossétie) ou encore lors des discussions sur la fixation du prix du gaz russe.
Quel a été le résultat de cette avalanche de sanctions de l’UE et de cette guerre médiatique anti Loukachenko ? Elles ont incité la Biélorussie à prendre ses distances vis-à-vis de l’Ouest et à se tourner vers l’Est, c’est à dire vers la Russie et l’Asie.
En mai 2011 c’est la Communauté économique eurasiatique (CEEA) qui a accordé à la Biélorussie un crédit de 3 à 3,5 milliards de dollars, dont les deux premières tranches ont déjà été versées. Fin 2011 c’est Pékin qui a accordé un prêt d’un milliard de dollars à la petite Biélorussie.
Le premier voyage du président Poutine après son élection en mars dernier a été en Biélorussie, le pays faisant partie de l’union douanière eurasiatique avec la Russie et le Kazakhstan, entrée en fonction le 01 janvier 2012. La Russie a récemment racheté la société gazière Beltransgaz, qui gère le transfert du gaz russe en Biélorussie et vers d’autres pays voisins, en échange du maintien de la vente du pétrole et du gaz à un tarif préférentiel (165 dollars les 1000 mètres cubes de gaz contre 265 dollars en 2011 et 450 dollars pour l’Ukraine a titre de comparaison).
C’est une aide directe de grande ampleur. La Russie devrait également rapidement entamer la construction d’une centrale nucléaire sur le territoire de la Biélorussie. Pendant que l’économie de l’UE hésite sur la situation de la Grèce, l’économie biélorusse se ressaisit, notamment grâce aux prêts russes et chinois, et grâce à l’union économique Russie Kazakhstan Biélorussie.
Le rouble biélorusse est remonté à 8.140 roubles pour un dollar, contre 8.900 au cœur de la crise, mi 2011. Les échanges avec la chine ont atteint en 2011 prés de 3 milliards de dollars. En mars 2012 la balance du commerce extérieur biélorusse a affiché en mars 2012 un solde positif record, le meilleur des dix dernières années. En avril 2012 les réserves de change biélorusses étaient remontées à 8 milliards de dollars.
En dépit du blocage politique affiché par l’UE, et loin des discours moralisateurs, le volume des échanges commerciaux entre l’Union européenne et la Biélorussie affiche bien au terme de l’année 2011 un essor de 69%, le pays bénéficiant de son statut d’exportateur de matières premières (russes) vers l’UE, et nul doute que ce phénomène devrait s’amplifier rapidement.
Alexandre Loukachenko a commencé cette année à faire libérer des prisonniers politiques (voir ici et la), et l’un de ses principaux opposants en exil, Alexandre Borodach, a affirmé que soutenir l’opposition a Loukachenko était inutile. Des propos similaires ont été tenus par le ministre des affaires étrangères lithuanien, Audronius Azubalis.
Pourtant c’est peut être politiquement que la rupture semble être consommée entre la Biélorussie et l’UE. Vadim Gigin, le célèbre politologue et le rédacteur en chef de la revue « pensée biélorusses », a récemment publié un article intitulé : La fin de l’histoire, dans lequel celui ci qualifie le modèle de démocratie de l’union européenne de "dictature de la médiocrité", symbolisée selon lui avant tout par les présidents français François Hollande et Nicolas Sarkozy, ainsi que par Catherine Ashton et Herman Van Rompuy.
Pour ce dernier, c’est la raison pour laquelle l’UE ne peut accepter les leaders nationaux forts qui dirigent nombre d’états postsoviétiques, qu’il qualifie d’hommes vivants et avec des visages vrais. Il estime que la Russie, la Biélorussie ou encore le Kazakhstan sont des jeunes nations avec un avenir, contrairement aux vieilles nations européennes de l’ouest, épuisées. Un discours très similaire finalement de celui de nombre d’intellectuels russes comme par exemple Nikita Mikhalkov.
En contradiction avec les discours moralisateurs et les sanctions de l’UE, un symbole du dégel des relations avec la Biélorussie : La fédération internationale de hockey sur glace a confirmé que Minsk organiserait la coupe de monde de Hockey en 2014, son président René Fasel affirmant le 18 mai a Helsinki que "le sport ne pouvait être utilisé comme un instrument politique".