C’est un fait nouveau dans la crise syrienne, pour l’heure isolé, mais peut-être annonciateur de quelque chose. Mercredi, à l’occasion d’une deuxième rencontre à Damas d’une vingtaine de factions de l’opposition tolérée, un groupe d’une dizaine de déserteurs de l’armée syrienne (photo ci-dessus), passés à l’ASL, a fait, en quelque sorte, repentance en annonçant leur renonciation à la lutte armée et leur désir de reprendre leur place au sein de l’armée régulière.
Globalement, ces hommes estiment que la lutte armée contre le gouvernement était une faute et une impasse et que le seul moyen pour reformer la situation en Syrie ne peut être que politique et passe par le dialogue, et non l’attaque de l’État.
C’est ce qu’a notamment exprimé leur porte-parole, un officier, naguère dissident, qui a ajouté que le recours aux armes ne doit avoir lieu que contre l’ennemi israélien : « Nous avons décidé de regagner les rangs de l’armée et de coopérer avec le ministère de la Réconciliation nationale » a déclaré le lieutenant-colonel Khaled Abdel Rahman al-Zamel, présenté comme le responsable de l’ASL pour la région sud du pays, plus exactement « vice-président du Conseil militaire de l’ASL pour la région sud ». L’officier a lancé un appel à tous les soldats et officiers déserteurs pour qu’ils rejoignent leurs anciens camarades. Un autre ASL repenti, Yasser al-Abed, a présenté ses excuses et condoléances aux familles des victimes de ses ex-compagnons d’arme.
L’action d’Ali Haidar
Rappelons que le ministère nouveau de la Réconciliation nationale a été institué en juin dernier, après les législatives de mai, et confié à Ali Haidar, un dirigeant du Parti social national syrien (PSNS), formation nationaliste longtemps alliée au Baas, mais critiquant, à la faveur de la crise, certaines dérives économiques libérales et la corruption.
Les trois ambassadeurs russe, chinois et iranien à Damas étaient présents à cette deuxième « Conférence nationale de sauvetage de la Syrie » (la première ayant eu lieu les 22 et 23 septembre, qui a failli être reportée du fait du double attentat à la voiture piégée contre le QG des forces armées, survenu le même jour.
C’est certainement à Ali Haidar qu’on doit aussi la tenue de cette conférence de l’opposition modérée, qui n’est pas qu’un « coup politique » du régime, mais l’expression d’une aspiration de certains secteurs à la réforme, l’apaisement et, bref, au dialogue préconisé par le ou les plans de paix onusiens. Le repenti Yasser al-Abed a d’ailleurs déclaré que son ralliement avait été facilité par un appel d’Ali Haidar aux rebelles.
Pour Ali Haidar, ce combat fait sens, un de ses fils ayant été assassiné le 2 mai dernier à Hama par un groupe terroriste. Depuis sa prise de fonction, Haidar a tenu des réunions à travers le pays, tentant de détacher des opposant patentés du radicalisme du pôle CNS/ASL. Avec quels résultats ? Difficile à dire. Il est certain que le ministre de la Réconciliation nationale peut espérer « surfer » sur la lassitude et la peur suscitées dans de larges couches de la population par le caractère violent et sectaire des bandes armée, et le chaos et les difficultés que leurs actions génèrent.
Cette désertion de l’ASL est en tous cas une manifestation inédite de ce revirement. Si les civils en ont assez des tueries et des destructions, un certain nombre de rebelles et de déserteurs doués de patriotisme et d’un minimum de lucidité ne peuvent que se sentir mal à l’aise face à la radicalisation religieuse et à l’internationalisation de la rébellion. Les tensions, parfois violentes, entre djihadistes et ASL stricto sensu sont un fait constaté par plusieurs médias mainstream. Cela a pu faciliter les négociations entre le groupeal-Zamel et les autorités. On ignore à ce stade comment et avec qui se sont organisés les contacts. N’oublions pas aussi les réunions, organisées et médiatisées par le gouvernement, d’opposants (civils) repentis, qui déclarent renoncer à la violence et rendent leurs armes aux forces de l’ordre ; deux réunions de ce type, concernant en tout 29 personnes, ont encore eu lieu le 25 septembre à Damas et à Idleb.
C’est en tous cas un petit succès médiatique pour le gouvernement : dans l’espace francophone, l’AFP et des médias occidentaux ou pro-occidentaux comme, en France, Libération, ou au Liban, L’Orient-Le Jour, ont rendu compte (succintement) de l’événement.
Alors, est-ce que le lieutenant-colonel al-Zamel et ses hommes sont les premiers d’une vague de « déserteurs » de l’ASL ? Clairement, beaucoup de combattants syriens doivent se rendre compte que leur affaire et mal engagée – et bien mal entourée. Le patriotisme – et la lassitude – seront-ils plus forts que le ressentiment – ou l’or du Golfe ?